
Manuel Tardits, architecte français cofondateur d’une agence – Mikan, qui signifie mandarine – au Japon, et voyageur impénitent nous propose, au travers de ses carnets de dessins, un ‘Road trip’ architectural dans le Sud-Ouest américain (II/III).
Vingt jours en août avec un ami américain au fil des Interstates et des Freeways : Arizona, Nouveau-Mexique, Texas de l’ouest. Tout découvrir sans oublier les prédécesseurs ; Européens : Chateaubriand, Tocqueville, Morand, Baudrillard, Wenders, etc… ou Américains : Frederic Remington, Albert Bierstadt, Georgia O’keefe, Ansel Adams, Laura Gilpin, Donald Judd, Ridley Scott, etc. ; sans oublier que nous passerons par des routes où d’autres passèrent et que nos étonnements et nos découvertes du Sublime ne sont ni premiers ni ultimes. Surtout, sans oublier pour autant de jouir de ses propres moments dans la grandeur du South West. Route, route, route et merveilles.

De la ville
Les grandes – Phoenix, Tucson, Albuquerque, El Paso – m’ont déprimé par leur vastitude vide. Monde de la grille qui organise les plans pour la voiture, reine des centres-villes dépeuplés et des banlieues kilométriques où chacun s’isole dans sa propriété. Les petites comme Taos ou Santa-Fe, quand le tourisme ne rehausse pas le charme indéniable de leurs vieux centres au risque de le vitrifier, centres parfois marqués par une place carrée hispanique, sont émiettées, tout aussi vides. Plus petites encore – Marathon, Marfa – ne sont que des bribes constituées de quelques blocs : seule change l’étendue de la grille.
La crête du Grand Canyon, quelques belles églises en adobe aux rondeurs très sculpturales et les restaurants sont les seuls lieux, les seuls moments où j’ai eu le sentiment de voir des gens, quelque chose d’une communauté. Par opposition la ville européenne ou japonaise est un éloge de la densité et de l’espace public extérieur. Ici le vide suburbain du sud-ouest américain, tout humain qu’il soit, semble déshumanisé, très neuf ou très cabossé.
Cette vacuité fait le prix du confort accueillant des maisons, quand le standing le permet, ou des intérieurs publics : à Phoenix la magnifique bibliothèque de Will Bruder est un vrai havre de fraîcheur où se réfugient de nombreux lecteurs… dont nombreux sont ceux qui n’y lisent rien ; il faut dire qu’il fait 44°C à l’extérieur, certainement plus au ras du bitume !

De l’utopie
Celles qui sont réalisées, autrement dit construites, si elles restent toujours belles, ont vieilli et l’écologie du désert est pleine de rides : Taliesin West de Frank Lloyd Wright est un corps de bois, de rochers et de béton, presque troglodyte, superbe d’enthousiasme et de persévérance, pourtant vidé par les ans et le Covid.
Arcosanti de l’Italo-américain Paolo Soleri, avec ses amphithéâtres et ses voutes de béton aux accents prométhéens, domine avec puissance et grâce un canyon… Mais, prévue 5 000 habitants, elle n’en compte que 80 et les cloches en bronze fondues sur place par la communauté d’artistes et mises en vente dans la boutique sont les sœurs bigotes de celles de … 1970 ! Emouvants quoique peu compatibles avec l’écologie du lieu, de splendides cyprès sont plantés entre les bâtiments : Soleri, Turinois perdu dans le nord de l’Arizona, devait avoir ses moments de déprime pour se permettre un tel import !


Earthship de Mike Reynolds, dont les murs des résidences sont en terre et en pneus recyclés face au nord, utilisent aussi d’épaisses planches de polystyrène comme isolant… Earthship, suite de vaisseaux posés dans les rigueurs du nord du Nouveau-Mexique, que certains visitent comme un catéchisme, fourmille de paradoxes. L’architecte Rick Joy à Tucson, concepteur et constructeur de sobres et beaux projets en adobe, a abandonné cette technique devenue trop onéreuse selon ses propres dires…
Anthropocène : la fortune du mot est récente quoique la génération actuelle ne soit pas la première à se préoccuper de notre rapport au monde fini… Mais les rêves communautaires et écologiques inachevés du Nouveau-Mexique et de l’Arizona sont à méditer.
(À suivre)
Manuel Tardits
* Lire Passage du Sud-Ouest : l’ami américain, les paysages… (I/III)
** Lire Passage du Sud-Ouest : de l’architecture sublime et sacrée (III/III)
Remerciements aux amis Christopher Kaltenbach et à ses parents, Christopher Mead et Michele Penhall, et aux architectes qui nous ont reçus Bart Prince, Rick Joy et son assistant Bernardo Hernandez.
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