
Manuel Tardits, architecte français cofondateur d’une agence – Mikan, qui signifie mandarine – au Japon, et voyageur impénitent propose, au travers de ses carnets de dessins, un ‘Road trip’ architectural dans le Sud-Ouest américain (III/III).
Vingt jours en août avec un ami américain au fil des Interstates et des Freeways : Arizona, Nouveau-Mexique, Texas de l’ouest. Tout découvrir sans oublier les prédécesseurs ; Européens : Chateaubriand, Tocqueville, Morand, Baudrillard, Wenders, etc… ou Américains : Frederic Remington, Albert Bierstadt, Georgia O’keefe, Ansel Adams, Laura Gilpin, Donald Judd, Ridley Scott, etc. ; sans oublier que nous passerons par des routes où d’autres passèrent et que nos étonnements et nos découvertes du Sublime ne sont ni premiers ni ultimes. Surtout, sans oublier pour autant de jouir de ses propres moments dans la grandeur du South West. Route, route, route et merveilles.
De l’architecture et de l’authenticité
Tous les grands noms de l’art et de l’architecture déjà cités et d’autres plus anciens comme Mary Colter – conceptrice dans un monde d’hommes des bâtiments en pierre aux relents Navajos qui parsèment les crêtes du Grand Canyon – ou John Gaw Meem – le chantre de l’adobe revival –, sont tous des étrangers venus découvrir, s’installer et réinventer l’authenticité du South West.
Paradoxe apparent, le seul autochtone parmi eux est Bart Prince, poète dont les maisons déjantées semblent étrangères au Nouveau-Mexique. Elles sont pourtant l’expression exacerbée de cet individualisme intimement lié à la dureté de la conquête de l’Ouest. Ses résidences, remises dans leur contexte suburbain, si elles jurent avec le passé aseptisé, revu et corrigé des styles pueblo, hispanisant, mission et autres manifestations d’un passé fantasmé, sont en phase avec les berlines surbaissées, ou au contraire rehaussées, qui paradent le samedi soir et les 4×4 customisés.
Les talents respectifs et les carrières réciproques de tous les autres posent avec insistance la question d’une invention de la tradition, de styles successifs dont les discours servent à légitimer l’appropriation de ces territoires, à trouver un sens à cette conquête.
Exemple le plus flagrant de ces relectures successives, l’architecture en adobe qui, loin d’être une création locale, fut transmise d’Afrique par les Maures aux Espagnols, devenus conquistadors au XVIe siècle. Sante Fe, ville touristique assez charmante, cristallise cet engouement pour une authenticité inventée, quoique le problème soit moins l’adobe en elle-même, matériau écologique très respectable, que son exclusivité ; dans un pareil contexte Bart Prince c’est le diable ou la version savante du bric-à-brac que forme le vernaculaire suburbain. L’Amérique, pays encore neuf, se cherche constamment un passé !
Du Sublime… en architecture
Prince, Predock, Bruder, Lloyd Wright et d’autres déjà cités offrent ces œuvres superbes qui illuminent un voyage, répondent à la nature et font oublier la tristesse des villes. Mais parmi ce florilège, si mon ami américain m’avait demandé de choisir un moment et un lieu inoubliables, car temps et espaces se confondent toujours pour moi, j’aurai répondu sans hésitation : la chapelle de la Sainte-Croix (Chapel of the Holy Cross) à Sedona.
Le bâtiment de 1956, comme son architecte, August Strotz, m’étaient complètement inconnus. Ce simple prisme de béton brut, que l’on contourne par une rampe circulaire et panoramique, d’origine wrightienne à n’en pas douter, se confond au fil des heures avec les falaises rouges de la cordillère environnante. Derrière l’autel, une paroi vitrée ouvre sur la plaine rouge offrant, derrière le sermon, la création divine. La structure de ce vitrail paysager se découpe telle un crucifix trismégiste fiché dans la roche.
Mon ami admiratif me dit que cette composition est assez évidente. Bien au contraire, lui ai-je répondu, toute la suprême intelligence de l’architecte est de nous le faire croire. D’aussi sacré chez les Modernes, français en tout cas, je ne connais que le monument des Martyrs de la Déportation de Pingusson et Ronchamp. Un ange passe… C’est, je le jure, le lieu et le moment exacts où j’ai appris la mort subite de Jean-Louis Cohen mon ancien professeur. Le connaissant, je suis sûr qu’il connaissait Strotz et sa chapelle ! RIP.

Road trip
Vingt jours en août avec un ami américain au fil des Interstates et des Freeways : Arizona, Nouveau-Mexique, Texas de l’ouest. La boucle est bouclée. Avion du retour à El Paso ; ce nom sonne comme un règlement de compte au South-West.
(À suivre)
Manuel Tardits
* Lire Passage du Sud-Ouest : l’ami américain, les paysages… (I/III)
** Lire Passage du Sud-Ouest : de la ville, de l’utopie (II/III)
Remerciements aux amis Christopher Kaltenbach et à ses parents, Christopher Mead et Michele Penhall, et aux architectes qui nous ont reçus Bart Prince, Rick Joy et son assistant Bernardo Hernandez.
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