
Ou comment Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes), commune d’un peu plus de 11 000 habitants, est entrée dans la contemporanéité de l’art et de l’architecture…
Cette seconde édition de 1 Maire 1 architecte 1 projet, qui s’est tenue le 26 mai 2025 à la Cité de l’Architecture, animée par Francis Rambert, est très différente de la précédente* parce qu’il n’y a pas été question seulement d’un projet mais d’une chaîne d’humanismes, de choix, d’engagements, de volontés. Et de projets…
D’un maire père à un maire fils (1), et d’architectes en architectes… Une histoire exemplaire dans le temps long dont ils ont bien voulu tirer pour nous les fils.
Mouans-Sartoux (Alpes-Maritimes) est un village romain coincé entre Cannes, Grasse et Antibes. Son histoire contemporaine commence avec un maire – André Aschieri, qui tiendra la ville plus de quarante années, de 1974 à 2015. Cet homme, professeur de mathématiques, réélu à chaque mandat avec des scores proches de 100%, mais aussi député, conseiller régional PACA, n’est pourtant pas épris de politique. Son engagement prend racine ailleurs, dans la terre justement, au point qu’il ne se considèrera plus comme un scientifique mais comme un maire paysan.

Il sera un maire écologiste de la première heure, un maire pionnier qui va transformer sa ville en un modèle de gestion écologique, en instaurant notamment une régie agricole municipale produisant des légumes bio pour les cantines scolaires. C’est lui, sans aucun doute, qui fera de la question du paysage l’ADN de Mouans-Sartoux, avec des actes forts de résistance : il s’opposera à la venue d’Ikea, au doublement de l’autoroute A8, et favorisera le développement de l’agriculture de proximité, en acquérant par préemption des terrains agricoles.
Comment l’architecture contemporaine entre-t-elle dans sa vie, lui qui n’aimait que les génoises et les vieilles pierres – comme aime à le rappeler son fils Pierre, qui a pris le relais depuis 2015.
Peut-être en regardant les maisons-paysages de Jacques Couëlle… (2)
La liste est longue des architectes avec qui André Aschieri va collaborer. Et entrer ainsi en Architecture…
Pierre Fauroux (3), d’abord, un architecte exigeant et passionné, et son école Orée du Bois, inaugurée en 1992, un bâtiment aux volumes épurés, béton et acier, toitures végétalisées qui dialogue avec le paysage.
L’architecte Philippe Gazeau ensuite, et le complexe culturel La Strada, au cœur de la ville, abritant une médiathèque et un cinéma, inauguré en 2001. Des lignes épurées, la façade revêtue de panneaux en polycarbonate gris-vert, qui prend la lumière de la ville. Il sera récompensé du Prix Environnement au Grand Prix d’architecture et du paysage de la région PACA 2003.
Brante et Vollenweider (4), qui l’emmènent au Danemark voir de l’architecture contemporaine et construisent le gymnase de Mouans-Sartoux en 2005, combinant verre et béton… Avec toujours la même exigence d’une architecture contemporaine respectueuse de l’environnement.
Déterminante enfin, la rencontre avec Gottfried Honegger – artiste mythique engagé dans l’art concret – et Sybil Albers, sa compagne – tous deux grands collectionneurs suisses. Ils offrent leur collection à l’Etat français. Dès 1990, le château de Mouans-Sartoux abrite l’Espace d’Art Concret et acquiert une renommée internationale (5).
C’est à cette époque que Marc Barani reçoit la commande des Ateliers Pédagogiques, visant à initier les enfants à l’art contemporain. « Trois ans de discussions pour 250 m²» sourit Marc Barani… « Un an pour décider où se mettre – à la lisière de la forêt –, un toit terrasse, des façades en béton brut striées de planches de bois, des ouvertures zénithales permettant une diffusion naturelle de la lumière… Donner aux enfants un endroit pour dessiner sur le sol, avec leur corps, un espace son… Le bâtiment sert de belvédère pour que tout soit en lien avec la forêt. Il est dessiné en fonction des tracés harmoniques et notamment le carré d’or… ». L’équipement est livré en 1998.

L’histoire continue avec Honegger qui souhaite un bâtiment dédié de façon permanente à leur collection. Gigon & Guyer (6), deux architectes suisses, gagnent le concours. Inauguré en 2004, le bâtiment est installé en carré en vis-à-vis du plan triangulaire du château. Une forme abstraite, minimaliste, un béton d’une vibrante couleur vert-jaune choisie comme un dialogue avec le paysage, la chlorophylle, les mousses et les lichens. Pierre Aschieri raconte l’évènement comme « une histoire d’amour entre Honegger et mon père ». « Honegger était persuadé que l’on pouvait changer la configuration sociale d’une ville. Mon père a compris que la culture serait la valeur ajoutée à sa ville. Sortir du néoprovençal essentiellement porté par la spéculation immobilière. Sortir sa ville de l’anonymat. Lui donner une identité nouvelle, exister face aux trois pôles, Cannes, Grasse, Antibes. Et il a basculé dans l’architecture contemporaine… », explique-t-il.
Un engagement perpétué par Pierre Aschieri – physicien et maître de conférences à mi-temps à l’université Cote d’Azur – avec une modestie remarquable et la commande de « Cœur de Ville », à Marc Barani encore : un maire, un architecte, un projet… Pierre Aschieri. Marc Barani. « Cœur de Ville ». Nous y sommes.

Le maire : « Densifier la ville pour préserver les espaces agricoles ». Reconnecter la population avec la nature et les saisons, changer les habitudes alimentaires, créer une épicerie sociale pour que les citoyens prennent le relais : de la participation qui ne se cantonne pas au présent mais avec un vrai projet.
L’architecte : Un geste architectural radical – « en forçant la main des gens, les mentalités bougent, sinon on reste dans le conformisme ».
Le maire : « J’ai désigné Mille et Une Vie comme maître d’ouvrage et bailleur social engagé. « Cœur de ville » n’est pas un projet monofonctionnel, on souhaite la mixité de la population et des équipements, le mélange des genres – 5 655m2 comprenant un pôle médical (20 professionnels de santé), 51 logements sociaux entre centre-ville pour les seniors, un pôle culturel, la police municipale, une médiathèque… et un jeu de boules. La gare à cinquante mètres, une hypercentralité, un mélange des genres et des services… »
L’architecte : « Nous avons fait des réunions publiques. Les gens se sont habitués, ils n’aiment pas tellement mais le fonctionnement marche, tandis qu’avec une architecture pittoresque, cela aurait été compliqué. Une équipe a fait un travail préparatoire. J’ai appelé Régis Roudil (7). Il fallait trouver une échelle, pour un espace dense et souple, parler de fragmentation, d’articulation entre bâtiments publics et logements, faire coexister les fractionnements de la masse pour générer des espaces intermédiaires publics, des logements flexibles, des vues sur les collines, des coursives, des possibilités de rencontres. De quel côté mettre la porosité… Que l’architecture soit un instrument de découverte du paysage et de la vie alentour… »
Le maire : « Une densification fixée par le PLU, une hauteur R+4, ouvrir une circulation piétonne qui n’existait pas. R+2 pour la maison de santé. Une performance énergétique élevée. Améliorer le quotidien de habitants ».
L’architecte : « C’est une volumétrie présente qui travaille la masse. Le sol penché a été un sujet complexe. La pierre n’était pas imaginable, il fallait fonctionner dans le budget : du béton teinté ocre dans la masse ».
Le maire : « Confiance, complicité, connivence entre le maître d’œuvre et l’architecte. Laisser parler les sachants ».
Tina Bloch
* Lire 1 maire, 1 architecte, 1 projet : Mathieu Klein, Anne Démians, Grand Thermal Nancy
(1) André Aschieri exerça la fonction de maire pendant plus de quatre décennies de 1974 jusqu’en 2015. A la suite de sa démission pour raisons de santé, son fils Pierre Aschieri lui a succédé et fut réélu en 2020 avec près de 77 % des voix.
(2) Jacques Couëlle architecte (1902-1996) est célèbre pour son architecture-sculpture. A Mouans-Sartoux, il a conçu entre 1958 et 1964 cinq villas aux formes organiques, sans angles droits, évoquant des grottes ou des sculptures habitables qui s’intègrent dans l’environnement
(3) Pierre Fauroux architecte français (1943-2023), diplômé de l’école Polytechnique de Zurich, également auteur d’une Mairie-Eglise à Valbonne Sophia Antipolis, bâtiment labellisé « Patrimoine du XX siècle ».
(4) Michel Brante et Gérard Vollenweider fondent leur agence en 1968, à Nice puis à Cannes. Approche moderniste très influencée par l’architecture scandinave et le brutalisme. Récompensés en 2016 par le prix ArchiCOTE.
(5) Détruit en 1597 par les guerres de religion, reconstruit puis pillé et incendié au XVIIe, démoli en grande partie par les habitants de Grasse pendant la Révolution – et reconstruit en préservant l’architecture triangulaire d’origine, le château de Mouans-Sartoux aura connu un destin hors du commun.
(6) Gigon-Guyer est une agence d’architecture suisse fondée en 1989 à Zurich par Annette Gigon et Mike Guyer. Parmi leurs réalisations importantes, le musée Kirchner à Davos 1992 et la Prime Tower à Zurich 2011. Simplicité formelle et utilisation raisonnée de la couleur.
(7) Régis Roudil, architecte basé à Aix en Provence