S’il souhaite la Légion d’honneur ou la médaille de l’ordre du Mérite, un architecte – une architecte tout comme – a aussi vite fait d’aller se faire tuer au combat ou de gagner une médaille olympique. Explications.
Fondée par Napoléon Bonaparte en 1802, la Légion d’honneur est la plus élevée des distinctions nationales françaises. Elle compte aujourd’hui plus de 90 000 membres, récompensés pour leurs mérites éminents au service de la nation. Plus de 150 médaillé(e)s des Jeux olympiques de Tokyo ont ainsi reçu leur breloque – Légion d’honneur ou ordre national du Mérite – des mains d’Emmanuel Macron le 13 septembre 2021. Les soldats morts au combat pour la France ont plus encore certainement bien mérité la leur. Ou encore, dans la dernière promotion, Agnès Buzyn bien entendu.
En ce début d’année 2022 (décret du 1er janvier), ils étaient encore 547 à voir leurs mérites distingués. Parmi ces gens honorables, d’architecte, il n’y en a qu’une à être honorée. Nommée au grade de chevalier sur le contingent du ministère de la Culture : Mme Rispal (Adeline, Louise, Marie), architecte, présidente-fondatrice d’une agence de scénographie et de muséographie ; 39 ans de services.
Sinon, d’architecte tout court : zéro. Pas un, qui aurait livré un hôpital par exemple en ces temps de pandémie. Nib. Peau d’balle.
En revanche, compter une soixantaine de directeurs, tels ce directeur des affaires juridiques des ministères sociaux ; 21 ans de services, ou cette secrétaire générale adjointe pour les affaires régionales d’une préfecture ; 23 ans de services, représentatifs de la présence en nombre sur cette liste de fonctionnaires dévoués.
Dans cette promotion, compter encore le directeur d’un groupe viticole ; 39 ans de services, ou encore le président-directeur général d’un groupe de tonnellerie ; 32 ans de services. En somme, pour la Légion d’honneur, il vaut mieux être le maître d’ouvrage qui commande le chai que l’architecte qui le construit.
Chercher les architectes dans la Promotion du travail peut-être ? Sur le contingent du Premier ministre, sont notamment nommés au grade de chevalier la gérante d’une entreprise de légumes secs, un producteur de viande bovine labellisée, une administratrice de coopérative oléicole, le président-directeur général d’une entreprise agroalimentaire et le codirigeant d’une autre entreprise agroalimentaire ainsi que l’ancienne gérante d’une entreprise de fabrication de desserts.
Puisqu’il ne faut pas penser qu’à manger, un ferronnier et serrurier d’art représente l’artisanat. A part cet artisan, noter qu’il s’agit là le plus souvent de présidents de quelque chose ou autre, le titre faisant le décoré apparemment. Et parmi tous ces gens méritants, toujours pas d’architecte qui pourtant conçoit et bâtit à tous leurs logements, leurs bâtiments d’entreprises, leurs bureaux, leurs écoles, leurs crèches, leurs théâtres, etc. Pas un ouvrage d’architecte n’a donc tapé dans l’œil du Premier ministre depuis son arrivée à Matignon ? Jack Lang n’est pourtant jamais très loin s’il a besoin de conseils.
Une telle indifférence au mérite des femmes et hommes de l’art ne peut être qu’exceptionnelle.
Bon, après vérification, zéro architecte non plus parmi les 467 personnes de la promotion du 14 juillet 2021.
En revanche, carton plein pour la liste de l’Ordre du Mérite 2021, publiée le 25 novembre. Cette promotion civile « illustre l’universalité du second ordre national français, qui récompense des mérites acquis dans tous les domaines d’activité ». Et, en effet, pour le coup, parmi les 1 087 récipiendaires, compter un (1 !) architecte, sur le contingent du Premier ministre encore : M. Braun (François, Stéphane, Georges dit François-Stéphane), architecte, fondateur et ancien associé d’une agence d’architecture ; 47 ans de services.
Un sur mille ! Carton plein disais-je …
En effet, zéro architecte non plus sur la liste publiée le 1er janvier 2021 portant sur les promotions 2020 de la Légion d’honneur ET de l’ordre national du Mérite. C’est l’année où le « président d’une société de promotion immobilière et mécène » a été élevé au grade de commandeur.
Mais carton plein à nouveau un an plus tôt, dans le décret du 31 décembre 2019, l’année où le président d’une société de gestion d’actifs, ancien vice-président et directeur général délégué d’un groupe industriel énergétique, est élevé au grade d’officier. Surtout, surprise, enfin un architecte, ou plutôt une. En effet Mme Fuksas, née Mandrelli (Doriana), de nationalité italienne, architecte est nommée au grade de chevalier, sur le contingent du ministère de l’Europe et des affaires étrangères. Voilà qui a dû faire plaisir à Monsieur.*
De fait, 2019 est une année faste puisque, lors de la cession du 14 juillet, M. Thelot (Denis, Marie, Jacques), architecte des monuments historiques, est nommé chevalier, sur le contingent de la Grande chancellerie de la Légion d’honneur, et M. Liogier (Luc, Louis, Marcel), architecte et urbaniste en chef de l’Etat, directeur d’une Ecole nationale supérieure d’architecture, est lui aussi fait chevalier sur proposition – miracle ! – du ministère de la Culture.
En 2018 (décret du 31 décembre 2018), l’année où le président de la fédération française de football est promu officier – et Dieu sait à quel point le foot français est florissant –, deux lauréats architectes mais, est-il précisé, « d’intérieur » : Mme Lauriot-Prévost, née Lauriot dit Prévost (Gaëlle, Marie, Suzanne), architecte d’intérieur, directrice artistique d’une agence d’architecture (DPA quand même. NdE), au grade de chevalier, nommée sur le contingent du Premier ministre. Même grade pour Mme Fries-Thébaut, née Fries (Anne-Sophie, Caroline), architecte d’intérieur et décoratrice au bureau du patrimoine et de la décoration au ministère, nommée cette fois sur le contingent du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères. Un troisième architecte, sur le contingent du Protocole cette fois, est lui élevé au grade d’officier. Il s’agit de M. Despont (Thierry, Guy), architecte (Etats-Unis).
Enfin, dans la promotion du 14 juillet de cette année-là (13 juillet 2018 au J.O.) de la Légion d’honneur, parmi 392 personnes distinguées, vous l’aurez deviné : zéro architecte.
Cette promotion, en juillet 2018, est la première après la révision de la Légion d’honneur décidée par Emmanuel Macron. Elle devait « illustrer [sa] volonté d’un respect plus strict des critères d’attribution et des valeurs fondamentales du premier ordre honorifique : universalité, mérite, contribution au bien commun ».
Il semble que, depuis son arrivée au pouvoir, les architectes contribuent si peu au bien commun qu’ils ont carrément disparu des radars. Surtout des radars du ministère de la Culture d’ailleurs qui a, entretemps, récompensé 11 comédiens et comédiennes, 13 journalistes, dont Jean-Pierre Pernaut et Stéphane Bern, deux costumières, une trentaine de présidents et présidentes, autant sinon plus de directeurs et directrices.
Certes, le ministère de la Culture** n’en finit pas de perdre de son lustre en une lente agonie que les années Macron n’ont pas arrangé. Certes l’architecture, devenue une sous-direction du patrimoine, lui-même un sous-département du ministère, avait déjà atteint l’entresol. La voici à la cave. Même quand des architectes français gagnent le Pritzker, comme Lacaton & Vassal cette année, et ce n’est pas une mince affaire, pas de Légion d’honneur ???
Plus triste, noter que la plupart de ces ‘architectes’ récompensés, qui ne construisent d’ailleurs pas, le sont sur proposition d’autres ministères que celui de leur tutelle. A se demander si, pour celui de la Culture au moins, ce métier existe encore. Sinon où sont passés les architectes s’il n’y a plus personne au ministère pour les nommer ? Plus globalement, où donc est passé le secteur de l’architecture ?
Heureusement qu’à la Cité de l’architecture en octobre 2021, Roselyne Bachelot, ministre en exercice de la Culture, a expliqué en substance, la larme à l’œil, que « sans vous [les architectes] on ne peut pas reconstruire la ville ». Qu’est-ce que ce serait sinon ?
Foin de la légion d’honneur ! Le plus grand mérite des architectes est justement de ne pas travailler pour les honneurs (même s’ils aiment ça) mais pour l’intérêt général – c’est dans la loi – et l’intérêt supérieur des Français. Qui sait si quelqu’un s’en souviendra au gouvernement en général, au ministère de la Culture en particulier, lors d’une prochaine promotion ?
En attendant, les architectes pourront toujours chercher du réconfort du côté des Arts et Lettres, la troisième division en somme. Il n’y a pas à se tromper puisque cette récompense est gérée par le ministère de la Culture lui-même. De fait, les deux cessions de mai et octobre 2021 ont honoré plus de 500 personnes. Parmi elles, ci-dessous, cinq architectes :
Promue au grade d’officier : Mme Ramat Martine, Architecte du patrimoine
Nommées au grade de chevalier :
– Mme Jarre Stéfanie, architecte d’intérieur, scénographe ;
– Mme Simay Clara, architecte ;
– Mme Turpin Julia, architecte.
– Mme Geoffroy, née Duprez, Laure-Anne, architecte, vice-présidente de l’Union nationale des syndicats français d’architectes.
S’il n‘y a pas là pour la profession des architectes de quoi pavoiser…
Christophe Leray
*(Mis à jour le 12/01/2021). L’année 2019 était décidément faste puisque la nomination au grade de chevalier de M. Melot (Thierry, Jacques, Pierre), président d’une société d’études en architecture, urbanisme et développement durable ; 56 ans de services, nous avait échappé. Qu’il veuille bien accepter nos excuses pour cette oubli inexcusable.
*Lire la chronique En Macronie, un bilan de la culture si maigre qu’il en est anorexique