Le réemploi de matériaux en architecture consiste en l’intégration d’éléments d’âge et de conception diversifiés. Une approche opportuniste ? Aventureuse ? Avec en tout cas une part d’imprévu. Chronique de l’intensité.
Fréquents dans les modes de vie traditionnels, le réemploi et le recyclage sont devenus rares avec l’ère industrielle. Les matériaux étaient neufs et, en dehors de quelques usages de récupération, ne servaient qu’une fois. C’était au temps de l’économie linéaire : ressource – équipement – déchet. Les projets étaient conçus dans cet esprit, nul besoin, lors de la construction, d’envisager le réemploi des matériaux ; il n’y avait d’ailleurs guère de plateformes pour les récupérer s’il avait fallu. La décharge, ou parfois le remblai, telle était la destination des matériaux de construction.
Les temps ont changé. La ressource est devenue plus difficile d’accès, plus chère, l’heure est au réemploi, ou au recyclage. Cela vaut pour la terre et pour les différents matériaux de construction.
La terre, au sens du foncier, avec le vieux concept de renouvellement de la ville sur elle-même, mais aussi des terres excavées à l’occasion de projets souterrains, sous-sol d’immeubles ou infrastructures. La terre peut devenir matériau, ou s’inscrire dans un remodelage d’un territoire, ou redevenir agricole, ou encore consolider un ouvrage.
Encore faut-il pour cela qu’elle ait été extraite dans les règles de l’art et bien traitée sur tout son parcours. Une exigence qui devra être intégrée à chaque projet susceptible de remuer des volumes importants de terre.*
Concernant les matériaux, le concept de réemploi conduit aussi à revisiter les pratiques architecturales traditionnelles. La contrainte permet souvent de trouver de nouvelles voies de progrès, le bâtiment n’y échappe pas. En voici une, à partir du constat de la rareté des ressources. Une voie ancienne, elle a été largement empruntée au cours des siècles mais elle a été mise à mal, au siècle dernier, au profit d’une industrialisation et d’une approche linéaire de l’économie. Nous voici dans une approche circulaire. Fini le déchet et la décharge, voici la ressource requalifiée et réinsérée dans un nouveau projet.
La première étape consiste à démolir le moins possible. La ressource est déjà là, ré-utilisons-la, à chaque fois que c’est possible. Des raisons techniques, économiques et financières, urbanistiques ou environnementales peuvent conduire à la démolition mais le minimum est d’expertiser le bâti avant de le condamner.
Le meilleur réemploi est la reprise de larges parties d’un bâtiment ancien, réincorporées dans un nouveau projet. A défaut de reprendre tout ou partie de l’existant, cherchons à réemployer ses éléments. Un inventaire est la première étape de ce processus, avec deux approches différentes, selon que vous ne reprenez que les éléments ordinaires, plus ou moins standardisés, qui pourront être réutilisés rapidement, ou que vous vous intéressez plus au potentiel qu’ils représentent, sans idée précise de leur avenir. Des plateformes existent, aujourd’hui, pour reprendre ces matériaux et les requalifier si nécessaire.
Le réemploi s’impose dès la conception d’un projet. En premier lieu, pour valoriser les matériaux du « déjà là », sur place ou dans un réseau spécialisé. Ensuite pour que les techniques de construction adoptées favorisent à leur tour le réemploi ou le recyclage des produits utilisés, en fin de vie de l’ouvrage.
Que ce soit par la reprise d’une construction existante ou le réemploi d’éléments, il s’agit d’une approche architecturale d’un nouveau type, l’intégration d’éléments d’âge et de conception diversifiés suppose en effet une approche opportuniste, ouverte à une certaine forme d’aventure, avec une part d’imprévu. Effet Arlequin qui peut surprendre si la démarche architecturale ne donne pas son unité à l’œuvre au-delà de la multiplicité de ses composants ? Cadre conceptuel ouvert pouvant accueillir des éléments originaux qui enrichiront l’ouvrage tout en préservant sa personnalité à laquelle ils contribuent ? Une pratique du projet assez souple et réactive doit pouvoir accepter des improvisations et des ajustements permanents.
« La quête de la ressource fait partie du processus de conception ».**
Retour à des pratiques anciennes, avec les techniques modernes.
Dominique Bidou
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* Se reporter sur ce point au livre Terres urbaines, sous la direction de Youssef Diab, responsable de la chaire « Valorisation des terres urbaines », aux éditions Eyrolles, 2023.
** Source : Réemploi, architecture et construction, sous la direction de Pierre Belli-Riz aux Editions du Moniteur – 2022