« Le retrait progressif des façades respecte le prospect du couvent et crée une architecture de restanques dont les terrasses plantées font référence aux jardins suspendus qui jouxtaient la bibliothèque emblématique de Babylone », explique Christian de Portzamparc alors qu’il fait au printemps 2022 visiter à la presse Sorbonne Nouvelle.
Ouvert en février 2022, ce nouveau campus dédié à la littérature, au théâtre, à la vidéo, au cinéma, aux langues étrangères et aux sciences humaines et sociales, avec de nombreuses et spacieuses salles de cours, accueillera à terme, sur 35 000 m², à l’est de Paris (XIIe), environ 6 500 étudiants par jour (18 000 inscrits) et environ 2 000 enseignants.
Sur un terrain relativement serré, le bâtiment est conçu autour d’un espace central fédérateur. « Les premières universités étaient bâties autour d’un cloître où tout le monde pouvait se retrouver et de là, aller partout », poursuit l’architecte.
Après la référence à Babylone, au couvent, maintenant le cloître ? De quel bâtiment contemporain cette Sorbonne Nouvelle est-elle le nom ? Christian de Portzamparc insistera d’ailleurs tout au long de la visite sur cette notion de cloître, a priori désuète pour mettre en évidence l’importance dans son esprit des espaces de circulation intérieure et extérieure, vastes et surdimensionnés, pratiques et confortables. Toutes ces largeurs de couloir, ces hauteurs sous plafonds, ces espaces presque incongrus dont des artistes sauront faire leur miel… Un cauchemar de maître d’ouvrage public presqu’autant qu’un cauchemar de promoteur ? Pas ici.
Le luxe c’est l’espace disait une vieille publicité (de bagnole je crois). C’est vrai. Mais au prix du mètre carré parisien intramuros, à Sorbonne Nouvelle, tout cet espace dédié à autre chose que la rentabilité ultra fonctionnelle laisse rêveur.
Optimisme qui doit cependant rester tempéré. La tour existante de l’O.N.F., rénovée et surélevée par Maud Caubet Architectes (livraison prévue fin 2023) est un élément important du projet du fait de sa position en tête de pont du terrain. C’est en effet sa présence et sa forme qui permettent à Christian de Portzamparc, avec une ondulation en S, d’ouvrir le projet au quartier selon diverses directions.
Intention généreuse qui se retrouve dans l’entrée particulière permettant aux habitants du quartier d’accéder à cette prestigieuse bibliothèque. Ces ouvertures sur l’environnement sont hélas dûment fermées par de solides grilles réglementaires. Si la société finit un jour par ne plus avoir peur de son ombre, le dessin de Christian de Portzamparc lui apparaîtra alors remarquablement opportun.
En attendant, ce dernier revient encore sur la notion de cour, de cloître, de circulation aérée, sorte de filiation de son œuvre, l’idée étant ici de faire une place ouverte ET intime (c’est lui qui souligne le ET). « C’est un espace clos mais pas claustrophobique », dit-il. « C’est un enjeu important dans une ville dense : se montrer protecteur sans enfermer ». À l’heure des paniques dangereuses, le bâtiment traduit partout cette volonté de réconfort, de pédagogie bienveillante.
Dense, le programme l’est également. Pour une surface de 26 000 m² utiles – outre 146 salles de cours, des bureaux pour l’administration, cinq laboratoires de langues, etc. – il est caractérisé par une vaste bibliothèque sur trois niveaux, trois amphithéâtres de 120, 350 et 500 places, un théâtre, une salle de cinéma, un restaurant, des studios d’enregistrement, un plateau télé.*
Si le bâtiment apparaît joyeux, ainsi la façade colorée du bâtiment des salles de cours, c’est peut-être que l’architecte a joué avec bonne humeur des différences de matériaux, de géométries, de façades – différences d’ailleurs toujours justifiées, telles ces fenêtres trapèzes qui permettent, au-delà de faire entrer la lumière en profondeur, de créer des postes de travail isolés, sans cloison et pourtant intimes, de plus avec une vue sur l’extérieur. Et s’il y a plusieurs bâtiments, il s’agit bien d’un seul ouvrage, détendu, souple, relâché, non violent.
Les autres projets du concours, signés Studio Milou, Dominique Perrault et Marc Mimram,** n’avaient apparemment aucun élément courbe. Le cloître arrondi ou l’angle droit, question de méthode ? « J’ai préféré procéder par le vide, m’appuyer sur la culture de l’espacement entre les choses », souligne Christian de Portzamparc.
C’est ainsi que sont nés, en sus des salles prévues au programme, deux petits amphithéâtres extérieurs, l’un parfaitement minéral, l’autre végétal (ou est-ce un autre de ces jardins de Babylone qui descend en amphithéâtre ?), en tout cas deux lieux parfaits pour les étudiants désireux d’apprendre à travailler leur talent oratoire et la portée de leur voix dans des environnements divers, surtout dès qu’il fait beau.
Au fil de la visite, l’impression demeure pourtant à l’intérieur d’un seul espace continu. En bas, de grands volumes, notamment un vaste foyer, comme on dirait au théâtre, dont la taille n’était inscrite nulle part dans le programme. Les deux toiles monumentales de la peintre française Béatrice Casasesus (1% artistique) rapportent l’échelle de cet espace à une dimension familière et engageante.
« Le conservatoire [de La Villette] est devenu la clef du lieu », explique Christian de Portzamparc comme une évidence avant de partir dans une longue digression faisant l’éloge de son acousticien pour lequel sont construites des maquettes si grandes que trois personnes peuvent tenir dedans, ce qui permet de faire des tests avec la maquette physique ET numérique (C’est lui qui souligne). Bref, pour l’acoustique impeccable des diverses salles, rien à ajouter, la passion et l’expérience de l’architecte se suffisant à elles-mêmes.
Ces circulations généreuses, lumineuses, ouvertes sur les paysages toujours différents au sein de l’ouvrage, deviennent avec un mobilier discret mais utilement conçu des espaces intuitifs d’appropriation. Dans le cadre également du 1% artistique, le collectif 5/5 a créé trois lieux de rencontre supplémentaires – des kiosques aussi élégants qu’inattendus. Mais ces créations sont permises seulement parce que l’architecte, loin en amont, avait insisté pour garder ces volumes ouverts à l’imagination. À Sorbonne Nouvelle, un couloir n’est pas qu’un couloir.
Un étage est dédié à la formation des interprètes, qui furent les premiers à inaugurer l’école dès le mois de février 2022. Ils disposent de salles de cours, de studios et d’installations de haut niveau. Cela vaudra sans doute pour tout le monde quand l’école tournera à plein régime.
La vraie rentrée aura lieu en septembre 2023. Les étudiants pourront alors tester la salle de restaurant – 1 000 repas par jour – qui hors service devient une vaste et lumineuse salle de co-working. Il y a les prises électriques mais, en l’occurrence, dans ce genre de cantine réglementée à outrance, c’est justement l’acoustique qui est compliquée.
« La pandémie nous a révélé qu’on a besoin d’espace, de verdure, de voir le ciel, de marcher, de se rencontrer… Dès nos premières études sur Sorbonne Nouvelle, notre réflexion a porté beaucoup sur cette histoire d’ouverture, avec ce que j’ai appelé les « îlots ouverts » : faire entrer le soleil, la lumière, tout en préservant une sorte d’intimité. Il y va d’une nécessaire harmonie », conclut Christian de Portzamparc.**
L’harmonie, c’est l’espace.
Christophe Leray
*Pour découvrir ce projet plus avant : Campus Nation – Université Sorbonne Nouvelle, par Christian de Portzamparc
** Voir les autres projets :
– Studio Milou https://www.studiomilou.sg/projects/pole-nation-de-luniversite-paris/?lang=fr
– Dominique Perrault https://www.mozpaysage.com/projects/campus-sorbonne-nouvelle/
– Marc Mimram https://www.mimram.com/?project=universite-paris-3-sorbonne-nouvelle
*** Christian de Portzamparc in « La Grande Table » (France Culture, juin 2020) – Penser l’après : « Il faut savoir inclure dans les villes la diversité du monde »