[Résumé des quatre saisons précédentes. L’architecte Dubois fait une psychanalyse depuis quatre ans avec Ethel Hazel, psychanalyste rue Labrouste à Paris. Au fil du temps, les affres de l’homme de l’art, par ailleurs tueur en série de blondes aux yeux bleus, comme elle, n’en finissent pas de perturber la thérapeute. L’inspecteur Nutello, dit Dr. Nut, du service des personnes disparues, qui a eu avec Ethel une courte liaison qui s’est mal terminée, traque Dubois sans relâche mais, sans preuve formelle et sans corps, il désespère de le coincer jamais. A la fin de la quatrième saison*, de son côté, Ethel tente le tout pour le tout, se laisse séduire et invite l’architecte chez elle pour en avoir le cœur net.]
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« Ceux qui veulent devenir architectes (tout le monde ne le peut pas) non seulement doivent posséder de remarquables aptitudes mais doivent aussi faire comme celui qui veut escalader une montagne : qu’ils mettent leurs forces à l’épreuve pour voir ce dont ils sont capables car c’est un chemin de sacrifice ».
Antonio Gaudi
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Acte 1 – Rue d’Auteuil, dans l’appartement d’Ethel Hazel
Ethel Hazel le sent, sans violence mais avec détermination. Elle sent son corps ouvert, consentant, et Dubois en elle comme une évidence. Il y a le plaisir, intense mais déroutant, quelque chose ne va pas : l’architecte se fait insistant, puissant, bang, bang, bang, de plus en plus impérieux, il a maintenant l’air immense. A tel point qu’Ethel gémit, soudain à court de souffle. Elle sent sur son visage l’odeur rassurante, la sienne, de son oreiller. Et l’architecte, bang, bang, bang, la jouissance, la sienne, pas loin, mais elle étouffe. Tant d’ailleurs que son cerveau commence à manquer d’oxygène, elle tente de se débattre mais l’oreiller à l’odeur rassurante se fait plus pressant encore tandis que l’architecte l’emmène vers un paroxysme qu’elle perçoit tout proche. Elle gémit, elle veut crier mais elle étouffe, ses poumons brûlent, elle se débat encore tandis que sa raison ne sait plus comment résoudre l’ambiguïté du plaisir impossible à contenir pendant qu’elle se sent défaillir, son corps n’offrant plus aucune résistance alors qu’elle perd conscience…
Ethel se réveille en sueur. Elle est dans son lit, seule, haletante, inspirant de grandes bouffées d’air comme si sa vie en dépendait. Elle a bien cru mourir. Un cauchemar… « Juste un cauchemar », se dit-elle, reprenant ses esprits. Après tout, ce n’est pas donné à tout le monde de coucher avec un tueur en série. « Où est-il ? ».
Elle se souvient de la soirée de la veille, du dîner chez elle, de ses questions qu’il n’a pas esquivées et de son intense curiosité à elle, exacerbée par quelques réponses sans équivoque. Après plusieurs bouteilles de champagne, rassurée, elle n’avait pas résisté, se soumettant à son charme de bonne grâce. « Désir professionnel », se disait-elle, amusée, même si elle aurait bien du mal à en expliquer la signification à l’un de ses professeurs. Elle se souvient encore des préliminaires, de la tendresse de Dubois, de son émotion sincère à découvrir son corps, comme s’il n’avait jamais vu personne comme elle auparavant, elle qui avait toujours pensé disposer d’un physique quelconque. Elle se souvient de sa joie, elle si solitaire le plus souvent, d’être dans les bras d’un homme aimant.
L’avait-il droguée ? Elle ne se souvenait pas du reste. Que de ce cauchemar qui, à l’inverse des rêves habituels, n’en finit pas de se dissiper, l’impression d’étouffer si vivace qu’elle en frissonne encore.
Mais elle est seule dans le lit et c’est avec appréhension qu’elle se lève, nue, et s’empare aussi vite que possible de sa robe de chambre comme si elle devait encore se protéger d’un danger. Où est-il ? L’appartement est absolument silencieux. Dehors, un jour gris déteint sur Paris et la rue d’Auteuil, habituellement si joyeuse, semble ce matin ne retentir que klaxons et cris exaspérés.
Ethel se dirige avec précaution vers sa cuisine et doit se rendre à l’évidence, l’appartement est vide, Dubois n’est plus là quand bien même les traces du dîner de la veille attestent de sa présence et elle SAIT qu’elle a couché avec lui. Sur son balcon un pigeon imbécile vient de se poser et roucoule. Pour le coup, elle se sent exaspérée à son tour, confuse et porte soudain une haine infinie à ce pigeon. C’est alors qu’elle voit sur son comptoir, juste à côté de sa machine à café, une feuille de papier, une note.
Anxieuse, incapable de contrôler son émotion, elle sent en elle une peur intense, semblable à celle ressentie durant le cauchemar. Mais sa curiosité, y compris sa curiosité professionnelle remarque-t-elle pour elle-même, surprise – après tout, c’est bien pour en avoir le cœur net qu’elle l’avait invité chez elle – prend le meilleur d’elle-même.
Sans trembler finalement, même si son cœur bat la chamade, elle note d’abord une drôle d’écriture, en script, comme des hiéroglyphes qui seraient finalement assez faciles à déchiffrer. Elle lit, : « Chère Ethel. Merci infiniment pour cette soirée merveilleuse et cette nuit inoubliable. A bientôt j’espère. Dubois ».
Le mot et le compliment ne lui font pas plaisir finalement. La peur éprouvée lors de son cauchemar continue de s’imposer à elle. A-t-elle jamais eu aussi peur avant ? Oui, une fois, quand son père l’a battue comme plâtre parce qu’elle refusait d’admettre que la relation sexuelle qu’elle avait eu avec son petit ami était consensuelle et non un viol. Elle a cru alors que son père allait la tuer, ce sont les gendarmes qui ont fini par le calmer. En l’occurrence l’architecte n’a exercé sur elle aucune violence et elle ne souffre de rien. Au contraire, au-delà du cauchemar, au moment de perdre conscience, tandis qu’elle se débattait, son corps se souvient encore de Dubois en elle, bang, bang, bang, un climax vertigineux et une ambiguïté qui la laissent à nouveau pantelante.
C’est alors que la peur reprend le dessus, une peur viscérale, intime. Elle comprend que pour Dubois, avec ses victimes, il ne s’agit pas d’un viol à proprement parler mais, mais… d’une sorte de profanation, c’est le mot qui lui vient à l’esprit. Elle est pourtant vivante et, « comme le seul survivant d’un accident d’avion », se dit-elle, rien ne lui fait plus peur finalement que d’avoir survécu à son audace en invitant Dubois chez elle. Décontenancée, et effrayée plus que de raison – apparemment elle ne craint pourtant plus rien – elle prend son téléphone.
Acte 2 – A La Courneuve, dans l’appartement de l’inspecteur Nutello
Dr. Nut, levé de bonne heure comme d’habitude, prend son petit-déjeuner, un café, deux tartines beurrées, comme il le fait depuis… depuis… « ben depuis toujours », pense-t-il quand son téléphone se met à vibrer. L’inspecteur, du service spécialisé des personnes disparues, a l’habitude de son téléphone qui lui fait signe à toute heure du jour et de la nuit, sinon ce n’est pas la peine d’être policier. Au moins lui n’a pas eu à divorcer comme nombre de ses collègues policiers puisqu’il ne s’est jamais marié. Aussi, que le téléphone vibre durant son petit-déjeuner n’offre pas matière à émotion particulière. Une gorgée de café et il l’attrape sur le comptoir. Mais il a à peine levé l’appareil, s’apprêtant à répondre, que son cœur s’arrête net pendant une seconde : l’appel vient d’Ethel ! Aussitôt, une sourde inquiétude le saisit, preuve s’il en est que l’affection qu’il lui portait n’a pas disparu. Pour contrôler son cœur qui s’est emballé, il se donne quelques secondes de respiration profonde et de réflexion avant de répondre. Au moment de décrocher, il n’a cependant qu’une seule certitude : si Ethel l’appelle, malgré le contentieux entre eux, c’est que c’est important, urgent, et cela a forcément à voir avec Dubois.
Enfin, encore surpris mais anxieux, ses sens de policier en alerte, il décroche.
Un souffle, puis la voix d’Ethel, qui lui a toujours plu, comme à ses patients sans doute : « Nut ? » Evidemment pense-t-il puisque tu m’appelles. Mais il se garde de toute ironie. « Ethel ? » fait-il mine d’être surpris alors que son nom s’était affiché dès le début.
Elle ne lui laisse pas le temps de réfléchir : « je sais comment il les tue », dit-elle.
Acte 3 – Dans le bureau du chef
Dr. Nut n’aime pas les nouveaux bureaux affectés à son service, celui des personnes disparues, dans le nouveau TGI de Paris. Encore un truc d’architecte, maugrée-t-il, et les architectes, depuis Dubois, il commence à les regarder de travers. Déjà, malgré son brassard, il a un mal fou à se garer et, comme ça tous les matins, cela finit par vraiment l’emmerder. Tous les flics comme lui viennent de banlieue, lui de La Courneuve, et TOUS ou presque viennent en voiture et il n’y a pas de parkings en nombre suffisant. Aller bosser commence donc tous les jours par une galère. Il se gare devant la voiture d’un collègue dont il espère qu’il vient d’arriver et ne s’apprête pas, au contraire, à repartir. De toute façon il ne peut pas attendre, il laisse son numéro de téléphone sur le pare-brise.
Il a appelé le chef juste après avoir raccroché avec Ethel. Elle lui avait raconté son cauchemar, et la soirée qui l’avait précédée avec Dubois – il avait dû faire un effort intense pour cacher la jalousie et la rancœur qui lui piquait la base des cheveux ; « c’est comme découvrir que la femme que tu aimes est une actrice porno » se dit-il, et il s’en voulut immédiatement ; « reste concentré », s’ordonna-t-il – et il l’écouta jusqu’au bout sans plus l’interrompre. Quand elle eut raccroché, il appela le chef.
Après le voyage en escalators et ascenseur pour retrouver les bureaux de la « 22 », il se rend directement dans le bureau du chef. Il le trouve debout, le regard perdu au-delà du périphérique, au-delà de Saint-Ouen. Ce dernier n’a pas besoin de se tourner pour savoir que l’inspecteur Nutello vient d’entrer dans son bureau, sans frapper. Le chef sait que Nut est un type à part, spécial, secret, solitaire, mais, quoiqu’il en pense, il respecte le flic ; Dr. Nut est un très bon flic, expérimenté, et il a une totale confiance en lui, en son jugement autant que ses instincts. Et l’affaire Dubois le tracasse lui aussi depuis des années maintenant et il ne serait pas malheureux d’en finir, avec si possible Dubois sous les verrous.
Dr. Nut se demande si son chef l’a vu arriver sur le périph, a reconnu sa voiture. De la fenêtre du bureau du chef, il peut deviner La Courneuve à l’horizon, chez lui, si proche et si loin. Il reste silencieux, attendant que le chef lui indique qu’il peut parler. Comme s’il avait lu dans ses pensées : « Vous habitez La Courneuve n’est-ce pas Dr. Nut ? ». L’inspecteur Nutello a une pensée pour son modeste appartement, pour son salaire qui n’a rien à voir avec le nombre des heures travaillées, pour sa vie à laquelle il ne sait plus trop quel sens donner. « Oui », se contente-t-il de répondre comme si le fait qu’il habite La Courneuve ou Boulogne ou Clichy avait une quelconque importance.
« Vous ne le savez peut-être pas mais j’ai une maison en Normandie, où je passe mes week-ends, quand c’est possible », dit le chef sans se retourner, le regard toujours perdu à l’horizon. « C’est étrange », dit-il, « mais il faisait hier là-bas le même temps gris qu’aujourd’hui mais hier, en Normandie, cela me rendait joyeux et je pensais aux escargots, ce matin à Paris, à peine arrivé, votre coup de fil, et le même temps gris me rend morose ».
Sans se détourner de sa fenêtre, avec un soupir qui vaut tous les haussements d’épaules, « je vous écoute, vous m’avez fait comprendre que c’était urgent », dit-il.
Enfin, il se retourne pour faire face à l’inspecteur qui lui semble encore plus massif et fatigué que d’habitude. « Alors ? », demande-t-il.
« Je ne suis pas sûr mais je crois savoir comment il les tue », annonce Dr. Nut d’emblée.
Le chef l’écoute sans l’interrompre. Quand il a fini son histoire, l’inspecteur se tait.
« Qu’en pensez-vous, Nut ? », demande le chef.
« Je pense que Dubois sait que la psy risque de parler de son expérience traumatisante à quelqu’un, sinon à la police au moins à quelqu’un car elle était ce matin apparemment bien secouée. Si c’est le cas, habile comme il l’est, il est capable de tuer encore sans même que nous nous en rendions compte ou il peut très bien décider de disparaître et dans ce cas nous ne le reverrons plus ».
« En effet, déjà que nous n’avons aucun corps, ou presque : un crâne, un bout de doigt…. Combien de victimes déjà ? »
« J’en connais déjà au moins onze ; enfin, connaître est un grand mot. Disons qu’au moins onze femmes, la plupart blondes, des connaissances de Dubois, ont disparu sans laisser de traces. Mais je suis sûr qu’il y en a d’autres dont on ne sait rien. Deux ou trois, je les ai découvertes par hasard en lisant les notes de la psy, c’est dire ».
« Des notes et des infos qu’on ne pourra pas utiliser au tribunal… Mais nous pourrions le mettre en garde à vue, nous aurions 48 heures pour tenter de le faire sortir du bois ou de recueillir des aveux, même si je n’y crois guère. Le faisceau de présomptions peut s’avérer suffisant pour le procureur. Je vais l’appeler mais je vais devoir le mettre dans la boucle ».
« Parfait », répond Dr. Nut.
« Quand et comment voulez-vous procéder ? »
« J’ai posté des gars devant chez lui. Je sais donc qu’il est rentré. S’il tente de s’échapper – gare, aéroport, etc. – on lui met le grappin dessus. Sinon je propose qu’on aille le cueillir chez lui dès demain matin 6H, avec l’espoir de le surprendre ».
« Très bien. Faisons ainsi. D’ailleurs un sujet me tarabuste : maintenant que nous croyons savoir comment il les tue, ou sont les corps ? Où sont-elles ? »
« Nous lui poserons la question », conclut Dr. Nut.
(A suivre…)
Dr. Nut (d’après les notes d’Ethel Hazel)
*Lire l’épisode Psychanalyse de l’architecte – Saison 4 : épilogue
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