Rénover les bâtiments anciens des centres-villes historiques plutôt que de construire du neuf contribue à la lutte contre le réchauffement climatique, observe François de Mazières, maire de Versailles (Yvelines). Selon lui, la formation des architectes doit intégrer cette dimension nouvelle et il est nécessaire d’assouplir certaines règles de rénovation sans pour autant faire courir un risque au patrimoine en question. Tribune.
Comment concilier la protection du patrimoine à la nécessité d’adapter nos villes et nos bâtiments pour lutter contre le réchauffement climatique ? La question n’est pas aujourd’hui tranchée et appelle à une réflexion nouvelle en ce domaine.
L’urgence à lutter par des mesures fortes contre le réchauffement climatique n’est plus discutable. En France, le secteur du logement et du bâtiment, pris dans sa globalité, représente à lui seul 25% de la totalité des émissions de gaz à effets de serre. Si l’on considère une durée de vie moyenne de 50 ans pour un bâtiment, la seule phase de construction est responsable de 60 à 90% des gaz à effet de serre.
Face à ce défi, le législateur n’est pas resté les bras croisés. La nouvelle réglementation environnementale (la RE 2020) a rendu obligatoire l’évaluation de l’impact carbone des bâtiments sur toute la durée de leur cycle de vie. Entrée en vigueur le 1er janvier 2022 pour tous les permis de construire de logements collectifs et de maisons individuelles, cette réglementation a vu son application élargie, depuis le 1er juillet 2022, aux bâtiments de bureaux et d’enseignement primaire et secondaire et sera généralisée à tous les autres bâtiments dès le 1erjanvier 2023. On mesure encore mal l’impact de cette réforme en dehors des cercles professionnels. Il s’agit pourtant d’une véritable révolution pour le secteur du logement, jusqu’ici seulement soumis à des limitations sur la consommation énergétique des bâtiments, hors prise en compte de la phase de construction.
L’une des conséquences majeures de cette nouvelle approche est la revalorisation de l’image des logements anciens. Puisque la majeure partie des gaz à effet de serre est émise lors de la phase de construction, privilégier l’amélioration de l’existant, plutôt que de s’engager dans un processus de destruction/reconstruction, apparaît désormais comme une évidence.
Or, jusqu’ici, en dehors du dispositif dit de la loi Malraux – permettant d’aider à la réhabilitation de patrimoine remarquable – les politiques publiques du logement ont privilégié le neuf sur l’ancien. D’abord pour soutenir le secteur de la construction, véritable moteur de la croissance, mais aussi parce que, l’impact carbone n’étant pas valorisé, détruire et reconstruire coûte généralement moins cher que rénover. Cause ou conséquence de ce tropisme naturel vers la construction neuve, la formation dispensée dans nos écoles nationales d’architectures ne comprend toujours pas, ou quasiment pas de volet patrimonial ou de formation aux techniques de rénovation.
Dès lors, l’entretien du patrimoine est devenu une affaire de spécialistes. Seule la réputée école de Chaillot, rattachée à la Cité de l’architecture et du patrimoine, dispense aux architectes une formation complémentaire de très grande qualité mais ouverte, sur concours, à des promotions très restreintes.
La prise de conscience que l’on ne peut continuer à négliger le volet de la réhabilitation est heureusement rapide. Un brillant livre-manifeste de Christine Leconte, présidente de l’ordre national des architectes, et de l’urbaniste Sylvain Grisot, au titre évocateur de « Réparons la ville », témoigne ainsi d’une nouvelle approche de la mission des architectes, où la notion d’adaptation de l’existant est primordiale.
Cette évolution répond également à une attente du public, de plus en plus attaché à ses vieilles pierres et à la mise en valeur des vieux quartiers. La France a en effet la très grande chance de posséder un patrimoine d’une qualité remarquable, globalement bien préservé, grâce notamment au corps des architectes des bâtiments de France, s’appuyant sur une législation ancienne et efficace. En outre, les Français découvrent les vertus de l’économie circulaire et sont de plus en plus attentifs à la réutilisation des matériaux.
Ayant le bonheur d’être aujourd’hui à la tête d’une ville au patrimoine prestigieux, après avoir dirigé la fondation du patrimoine et la Cité de l’architecture et du patrimoine, j’observe toutefois que si la prise en compte de la contrainte environnementale est devenue bien réelle dans le domaine de l’architecture contemporaine, la question reste ouverte dans celle du patrimoine.
Dans ma ville, le contraste est saisissant. Versailles Habitat, notre office public de logements sociaux, a pu mener, grâce notamment à des soutiens publics, une opération de grande ampleur (plus de 1 000 logements concernés dans un seul quartier) de rénovation des façades par une isolation extérieure.
En revanche, dans nos quartiers historiques, soumis à un plan de sauvegarde et de valorisation du patrimoine, non seulement aucune incitation spécifique n’existe, mais les contraintes y sont considérables : interdiction de panneaux solaires, interdiction de fenêtres isolantes en PVC, impossibilité de pratiquer une isolation des murs par l’extérieur, etc. Toutes ces règles spécifiques sont parfaitement justifiées au regard de la préservation d’un patrimoine de qualité, mais elles entraînent une augmentation vertigineuse des factures.
Au regard des nouvelles normes environnementales, certains travaux vont même se révéler impossibles à la fois techniquement et financièrement. Prenons le cas des groupes scolaires, nombreux dans nos quartiers historiques du centre-ville. Pour certains, une rénovation thermique s’impose, mais comment déposer un permis pour ces travaux avec la somme des coûts additionnels liés aux interdits précités ?
On voit bien que nous sommes là confrontés à un enjeu essentiel pour nos villes et nos villages, très nombreux à posséder un cœur historique de qualité.
Les marges de manœuvre existent dans trois directions. La première est d’intégrer dans les cursus de formation des architectes un enseignement sur le patrimoine, tant récent qu’ancien, en incluant notamment sa rénovation.
La deuxième consiste en la recherche d’assouplissements de certaines contraintes. La réhabilitation d’anciennes techniques, comme les isolations extérieures par le chanvre ou l’emploi de badigeons plus isolants, l’utilisation de nouveaux matériaux s’intégrant mieux dans le tissu patrimonial, ouvrent quelques perspectives, qui demeurent toutefois limitées, car il ne faudrait en aucun cas entraîner la dénaturation de ce patrimoine, dont l’authenticité fait la richesse. Un travail mené, sous l’égide du ministère de la culture et de la communication, en concertation avec les architectes des bâtiments de France, permettrait de déterminer l’ampleur à donner à ces évolutions.
Enfin, un troisième axe de travail concerne l’adaptation du dispositif de soutien public pour encourager les personnes privées et les collectivités à s’engager dans des opérations de rénovation thermiques complexes dans les sites patrimoniaux protégés. Plutôt que de parler de subventions ou d’abondement des dotations, une première piste pourrait être de diminuer les impôts ou prélèvements de l’État.
Notre patrimoine architectural et urbain constitue un atout pour notre pays. Encore faut-il lui donner la chance de pouvoir s’adapter.
François de Mazières
Maire de Versailles
Président de Versailles Grand Parc