À Sfax, en Tunisie, l’apparition de la Cité Zitouna en 1970, un modèle étranger aux typologies de la ville, a brisé la continuité architecturale. Comment réintégrer cette cité décatie dans l’histoire des jnens de la ville ? Réponse avec cette contribution issue du mémoire de fin d’études en architecture de Karim Abdmouleh, sous la direction de Hédi Derbel.
En Tunisie, les immeubles de masse ont résolu le problème immédiat de l’habitat mais cela a créé une profonde crise d’identité. À Sfax, une ville riche en typologies architecturales telles que la médina, le quartier franc, la ville coloniale, le borj-jnen, et la villa sfaxienne, ces constructions de masse ont perturbé un fil conducteur établi entre ces typologies, qui ont défini l’identité sfaxienne et le mode d’habiter local.
L’apparition de la Cité Zitouna en 1970, un modèle étranger à ces typologies, a brisé cette continuité. Située à seulement 400 mètres de la médina, cette cité a créé un grand vide urbain au centre de la ville. Sa typo-morphologie décontextualisée, centrée uniquement sur une seule typologie d’appartement et son organisation en barres n’ont pas réussi à intégrer les dimensions sociales, environnementales et économiques. Le Sfaxien n’y a pas retrouvé les éléments qui constituent son identité et son mode d’habiter, se sentant ainsi déconnecté et étranger dans cet espace.
Aujourd’hui, la cité est dans un état très dégradé, abandonnée et transformée en cité-dortoir, malgré son emplacement stratégique au cœur de la ville. Même les propriétaires ont quitté cet espace, témoignant de l’échec de ce modèle à créer un véritable lieu de vie pour ses habitants.
Comment les richesses des typologies d’habiter sfaxien peuvent-elles offrir de véritables leçons et des catalyseurs d’idées novatrices en matière d’urbanisme durable pour intervenir sur Cité Zitouna ?
Les richesses des typologies d’habiter sfaxien ont fourni des leçons précieuses pour développer des concepts urbains durables. En s’appuyant sur ces typologies, il est possible de proposer des interventions qui enrichissent la Cité Zitouna, offrant des catalyseurs d’idées et des pistes pour des villes durables, connectées à la nature. L’analyse a révélé que le modèle du « borj-jnen » constitue l’embryon des nouveaux concepts tels que la ville dans la nature, la ville durable et les jardins suspendus, d’où découle l’idée des jnens suspendus.
Comment intervenir sur ce modèle afin de proposer un modèle durable qui répond aux besoins contemporains tout en respectant les modes d’habiter sfaxiens ?
L’intervention proposée, axée sur la requalification et la densification urbaine, vise à établir un modèle en continuité avec les anciennes typologies, un modèle durable, actualisé et connecté à la nature qui s’inspire du passé tout en répondant aux défis contemporains, offrant ainsi une vision renouvelée de l’habiter.
L’intervention à l’échelle urbaine
L’intervention consiste à requalifier et densifier la Cité Zitouna. Après un diagnostic pathologique, nous avons identifié l’état des blocs et décidé de ne démolir que ceux qui sont en état très dégradé. Nous allons ainsi créer une ville sur la ville en revisitant les vides urbains et en introduisant une plateforme en hauteur, ce qui permettra de passer d’une absence d’espace public à un espace public dédoublé.
Nous allons structurer la cité en transformant le tissu de barres en un tissu d’îlots. Un axe structurant sera créé pour connecter les trois avenues qui bordent la cité, et nous allons mettre en place une structure claire et réfléchie, comprenant une place centrale, une place d’accueil, un axe structurant, des placettes satellites, et des placettes d’îlots, tout en réfléchissant à la hiérarchisation du public au privé. Nous allons créer une cité polyfonctionnelle en proposant une variété d’activités et de fonctions, avec un thème d’activité attribué à chaque ensemble d’îlots.
L’intervention à l’échelle de l’îlot
De l’îlot ouvert de Portzamparc à l’îlot où-vert et offert. En revisitant le concept de l’îlot ouvert de Christian de Portzamparc, j’ai créé l’îlot où-vert et offert, une vision urbaine où la végétation et l’engagement communautaire sont au cœur de l’aménagement. En intégrant la nature à toutes les échelles, des jardins suspendus aux façades verdoyantes, j’ai conçu un environnement où la symbiose entre l’urbatecture et la nature transcende l’esthétique pour apporter une dimension productive et autosuffisante. De plus, l’îlot offert propose aux résidents d’investir dans des espaces de loisirs et de services au sein de leur quartier, renforçant ainsi leur attachement à la cité tout en contribuant à son développement économique.
« Dépassant la dichotomie traditionnelle ville-campagne, l’urbatecture se dilate dans le territoire tandis que la nature pénètre dans le tissu urbain. Des villes-territoires et non plus des agglomérations surpeuplées, polluées, chaotiques et homicides d’un côté et des campagnes désolées et abandonnées de l’autre ». (Bruno Zevi, *Le langage moderne de l’architecture*).
Le parti urbain
L’idée est concrétisée comme une trilogie entre trois éléments : le plein, où l’ancien bâti – les immeubles de Cité Zitouna – se conjugue avec le nouveau bâti à travers une densification, le vide et le végétal.
À travers cette composition, nous cherchons à créer une portion de la ville où chaque espace respire l’équilibre entre ces trois éléments. Comme si nous allions marier le passé au futur, épouser l’urbain au végétal et conjuguer tradition et modernité afin d’aboutir à un quartier polyfonctionnel et connecté à la nature.
Karim Abdmouleh