Parfois, un bâtiment contemporain raconte en même temps, exactement, ce que la ville fut, ce qu’elle est au présent et ce qu’elle sera. La rue Charrière est une petite voie discrète du XIe arrondissement de Paris dont l’immeuble de 35 logements livré en août 2020 au 9-11 par l’agence parisienne MAO fait œuvre de livre ouvert. Visite.
Si le site, une menuiserie industrielle centenaire ayant commencé à péricliter au début des années ’90, était imprégné d’histoire, une réhabilitation s’avérait impossible. « Ce fut un crève-cœur », indique Fabien Brissaud, fondateur en 2010 de Mobile Architectural Office (MAO). « Nous souhaitions évoquer ce passé au travers d’une mise en œuvre savante du bois dans le projet », dit-il.
A l’arrivée, pour un coût de 4,8 M€, un ouvrage de 2 419m² au langage contemporain qui s’appuie sur les archétypes de l’architecture artisanale parisienne et les possibilités inattendues offertes parfois par le code de la construction parisien. De fait, Le bâtiment s’insère élégamment en continuité de l’architecture existante. « Il invoque, par les détails de mise en œuvre, autant le passé que notre époque et ses modes actuels de construction », souligne Fabien Brissaud.
Si ce projet est ainsi le témoin parfait de l’histoire du site, il l’est à plus d’un titre.
En effet, la disparition inévitable de cet atelier historique et familial, au-delà de la fin d’une histoire particulière, signe la fin de l’artisanat dans Paris. Avant même qu’il ne soit question d’une quelconque rénovation, les riverains se plaignaient déjà du bruit, de la poussière, des manœuvres des camions. D’ailleurs les ouvriers, qui dans les années ’50 ne se définissaient pas comme artisans, l’appelaient « l’usine ».
En tout état de cause, la rue Charrière, du seul fait de son étroitesse, au vu du développement urbain de Paris tel qu’il se dessine, a vocation à devenir piétonne ou réservée aux circulations dites douces. L’église, le terrain de basket, le parc, l’ambiance presque villageoise, tout concourt à une transformation de la rue. L’atelier était donc condamné quoi qu’il arrive.
Du coup, aujourd’hui, la stylisation de l’histoire du lieu par Fabien Brissaud, architecte parisien, est tout ce qui reste d’un passé révolu mais sa retranscription demeurera, pas seulement par la présence visuelle du bois, mais aussi, de façon plus élaborée, par la façon dont l’immeuble a été assemblé comme le serait un meuble.
Tous les détails, de menuiserie justement, sont soignés, le bois mis en œuvre aussi bien à l’intérieur qu’à l’extérieur, les menuiseries étant soit ouvrantes au nu intérieur de la façade, soit fixes au nu extérieur. Sur rue, ces menuiseries en bois reprennent le rythme des anciens ateliers et s’intègrent dans la trame générale de la façade. L’ensemble des fenêtres, de grande hauteur, donne un maximum de lumière dans les logements. « L’alternance entre les parties fixes et ouvrantes permet un entretien facile de l’ensemble de la façade », souligne Fabien Brissaud.
En rez-de-chaussée, avec des châssis redécoupés en partie inférieure et supérieure, le traitement des menuiseries reprend également « l’esprit atelier ». Pour les logements « atelier d’artiste » une double peau vient créer un espace tampon entre la rue et l’intérieur. C’est encore avec un jeu de menuiseries que l’agence a su réinterpréter avec subtilité la lucarne réglementaire pour offrir aux appartements supérieurs des « bow window » réinventés permettant sur une vaste terrasse une multitude d’appropriations et d’espaces intimes.
C’est encore dans cette logique d’une rue Charrière vouée à devenir piétonne que MAO a développé une typologie de petites maisons en duplex, (2 privées, une sociale, sans qu’il soit possible de distinguer l’une de l’autre). Trente-cinq logements, tous ou presque différents. Zéro parking.
Ce projet préfigure encore autrement l’avenir puisque le budget a été bouclé en s’appuyant sur le système PERL qui permet à un bailleur social de recevoir l’usufruit et la gestion de logements durant une période donnée sans avoir à financer l’achat du terrain. Innovation financière ? Certainement en l’occurrence pour les deux maîtres d’ouvrage, OGIC et Emerige, qui sont peut-être ici en train de mieux réinventer Paris qu’avec tous les concours du même nom auxquels ils participent.
Innovation donc rue Charrière, certes, mais garder à l’esprit que là où il n’y avait qu’une « usine » bruyante, ce bâtiment, y compris avec les 30% réglementaires de logements sociaux, par sa réussite même donne de la valeur à tout le quartier.
Grégoire Joly, directeur régional Ile-de-France Ouest d’OGIC, qui a pensé à MAO pour mener à bien une telle opération, ne s’y est pas trompé et n’a pas mégoté sur les finitions, quel que soit l’acquéreur, confiant d’ailleurs la mission des aménagements intérieurs à l’architecte. Il évoque cependant les difficultés rencontrées, dont l’impossibilité de mettre des balcons à cause de l’étroitesse de la rue, la réflexion « très forte » nécessaire quant au fait d’avoir des logements au rez-de-chaussée puisque des commerces à cet endroit n’auraient aucun sens, la volonté de n’avoir qu’une seule séquence d’entrée malgré la mixité, etc. « Pour construire à Paris, il faut de l’ingéniosité », s’amuse-t-il. Sans compter les recours bien sûr ! « Il y a parfois des choses qui peuvent s’entendre », dit-il. Exit donc la toiture partagée.
Cela écrit, pour en revenir à la valeur ajoutée au quartier, Grégoire Joly a toutes les raisons de se féliciter d’un « beau produit qui s’est bien vendu ». « C’est d’autant plus gratifiant qu’il ne s’agit pas d’un projet à l’architecture iconique mais simplement d’un beau lieu de vie dans le quotidien de la ville », dit-il.
Une architecture qui invite son promoteur à la modestie ? Toujours est-il qu’avec ce bâtiment, la façon dont il a été conçu, construit et financé, MAO évoque l’histoire, raconte le présent et laisse deviner l’avenir de la rue Charrière et, à travers elle, l’avenir de la ville. Un bâtiment fait pour durer ?
Christophe Leray
Découvrir le projet plus avant : A Paris, 35 logements signés MAO réécrivent l’histoire