Ce sont des errements persistants qui nous conduisent aujourd’hui à une recherche débridée de la sobriété. Et les errements persistants ne manquent pas.
Prenons l’exemple de la voiture. La plupart de celles qui sont proposées atteignent des vitesses bien supérieures aux vitesses autorisées : 180 ou 200 km/heure. Ce choix des fabricants et ce laisser-faire de la réglementation conduit à surdimensionner toutes les voitures. Elles pèsent plus lourd et consomment plus par construction, même si vous respectez scrupuleusement les limitations de vitesse. Aucun bénéfice pour vous, mais un budget voiture en hausse, une consommation accrue, une dépendance maintenue aux fournisseurs de pétrole et un drame pour le climat. Beau résultat, bravo ! Un prestige fictif, qui contribue en outre au culte de la vitesse, vitesse qui coûte très cher en argent et en émission des gaz à effet de serre.
L’éloge de la lenteur, cher à Pierre Sansot, et le mouvement ‘slow’ (food, cities, etc.) apportent suffisamment d’arguments pour échapper à cette dictature de la vitesse. Il y a d’autres plaisirs dans la vie.
Dans l’autre domaine énergivore, le logement, une bonne génération d’immeubles a été construite dans la perspective de l’énergie électrique abondante fournie par un parc nucléaire peu pilotable, et qui produisait trop la nuit. II fallait absorber le trop plein. Finies les économies d’énergie à l’honneur dans la foulée des chocs pétroliers des années 1970, priorité à construire vite, et à bas prix. Nous payons aujourd’hui les dividendes de cette politique fondée sur le principe supposé éternel d’une énergie abondante et pas chère.
Le réveil est douloureux, autour du thème de serrage de ceinture énergétique. Evidemment, la difficulté est grande de pratiquer la sobriété dans un contexte où tout est fait pour vous inciter à consommer plus et toujours plus. La sobriété devient alors une privation. Il va falloir modérer ses envies, reporter ses projets. Voilà la ligne de conduite annoncée, purement défensive et un brin tristounette, alors que nous avons besoin l’objectifs attractifs qui donne envie de se défoncer. Une sobriété sympa, construite sur des perspectives ambitieuses de qualité de vie, au lieu d’une sobriété juste pour éviter des restrictions imposées.
No future, ce qui nous renvoie de fait à une sobriété parenthèse, que nous abandonnerons dès que possible une fois l’hiver passé. Tant mieux si cette parenthèse nous fait découvrir des pratiques qui nous plaisent, mais ce serait dû au hasard beaucoup plus qu’une volonté politique fondée sur une vision partagée de l’avenir.
Revenons sur le logement. Un vaste programme de rénovation thermique est en cours mais il a du mal à répondre aux besoins. La rénovation dite « globale » est la plus efficace mais elle coûte cher et n’est pratiquée que dans un petit nombre de cas. Il faut ajouter que la rénovation thermique n’est perçue comme un « plus » que depuis que le prix de l’énergie s’est envolé. Puisque le discours officiel est que ça ne va pas durer, l’investissement en vaut-il la peine ? Pour que le rythme des opérations performantes progresse, il faut que les principaux intéressés, les habitants, en aient envie, ce qui ne sera sans doute plus le cas une fois l’hiver passé.
La rénovation de l’ensemble de notre parc immobilier prendra des années, années pendant lesquelles les calories s’envoleront dans le ciel. Une politique de réduction immédiate des consommations, en attente des travaux qui se feront dans 10 ou 15 ans, ne serait pas dénuée de fondement. La situation actuelle est une bonne occasion de la lancer et diverses expériences, comme « Famille à énergie positive » menée par l’ADEME, montrent que des gains rapides et sans douleur sont à portée de main. En l’occurrence, le « soft » pourrait précéder le « hard », et ce dernier serait alors attendu comme le messie. Les usagers pourraient utilement apporter leur point de vue au moment des travaux, forts de leur expérience et d’une culture de l’énergie acquise au cours de la période d’attente.
C’est un grand mouvement d’amélioration de l’habitat qui pourrait être initié au cours de la crise que nous traversons. Bien plus qu’une consigne d’économie passagère d’énergie, avec des gains à attendre sur bien d’autres domaines, qualité de l’air, acoustique, et fierté d’être moderne, en avance sur son temps.
D’ailleurs la rénovation dite globale des énergéticiens touche à de nombreux autres aspects de la construction, et sera de fait globale tous azimuts. L’isolation thermique a des conséquences sur le renouvellement d’air et la circulation des décibels, et les travaux de structure pourraient permettre bien d’autres améliorations, comme l’adaptation au grand âge.
La sobriété de parenthèse, la sobriété synonyme de privation, ne peut qu’être vécue comme une pénitence car elle ne propose aucun avenir. Mais la sobriété peut apporter bien des plaisirs si elle s’inscrit dans une évolution générale vers le monde de demain, qui pourrait être plus intense humainement tout en consommant moins de ressources. Une sobriété intense.
Dominique Bidou
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