Vous avez aimé Europa City ? Plus proche de chez vous, vous allez adorer les ‘Surf Parks’. Mieux que le centre commercial, qui commence à avoir mauvaise presse, voici désormais la grande piscine où faire du surf à l’abri des éléments, avec «pour les débutants et les professionnels» des vagues constantes toute l’année. Dans la société Canada Dry, pourquoi affronter le réel quand on peut goûter l’erzatz de l’aventure et de l’effort ?
Les ‘Surf Parks’ sont presque déjà partout. Après celui de Saint-Gilles-Croix-de-Vie, en Vendée, au bord de la mer, considéré comme le premier du genre en 2016, compter bientôt à venir un projet de ce type à Bordeaux, un autre encore à Montpellier, à Lyon, à Perpignan, ou encore cet autre prévu à Saint-Père-en-Retz, en Loire-Atlantique, ce dernier situé à dix kilomètres de l’océan.
Le projet bordelais résume le mieux tout l’intérêt de ces équipements de nouvelles générations. «Les vagues naturelles sont accessibles mais à 60 km environ de Bordeaux, cette distance « critique » limite la pratique du surf aux plus courageux et aux plus chanceux ! En effet, il existe de nombreux critères naturels (la direction du vent, la houle, les marées, les bancs de sable, la durée du jour…) et également personnels (disponibilité après le travail, la fatigue du transport dans les embouteillages, la distance avec les spots de replis…) qui rendent la pratique compliquée, rare et souvent frustrante !».
Heureusement, de vaillants maîtres d’ouvrage et entrepreneurs du nouveau monde ont la solution et voilà comment le surf, comme le ski, devient une pratique ‘indoors’ qui n’est plus réservée «aux plus chanceux et aux plus courageux». Il est vrai qu’à ceux-là, l’océan s’offre gratuitement. A Saint-Gilles-Croix-de-Vie, qui compte quatre clubs de surf, le prix du ticket pour la vague installée depuis 2016 tourne autour de 30 €/l’heure.**
A Bordeaux, à Montpellier, à Lyon, des métropoles de plus en plus consacrées aux loisirs, nul ne s’étonne plus de rien, d’autant que, réchauffement climatique aidant, les plages artificielles de ces ‘Surf Parks’ seront sans doute dotées de palmiers exotiques.
A Saint-Père-en-Retz, le programme comprend, outre un grand bassin de 200 m de long avec des vagues de 2 cm à 2 m, un espace de restauration, une salle de séminaire, des bureaux et des hébergements. Et là par contre, le projet fait débat et ça chauffe.
«Faire en 2019 un ‘Surf Park’ à 10 km de la mer sur des terres agricoles n’a pas de sens», disent en substance les opposants au projet. Avec la crainte d’une «facture salée !» pour le contribuable – un centre nautique est un équipement coûteux -, ceux-là de vilipender les «surfeurs d’eau douce».*
Bref la résistance s’organise, au point que d’aucuns craignent une nouvelle ZAD – ils ont l’habitude en Loire-Atlantique, Notre-Dame-des-Landes n’est pas loin – tandis que les promoteurs du projet se défendent. «Notre but est vraiment d’avoir le plus faible impact environnemental possible : pour la vague, la technologie choisie est peu énergivore. Notre souhait est même de tendre à l’autosuffisance l’été, grâce à des panneaux photovoltaïques et à la récupération de l’énergie des vagues. Quant aux 25.000 m³ d’eau, ils seront stockés et filtrés, donc nul besoin de vider le bassin régulièrement».*
Le maire quant à lui voit «un formidable moyen de faire tourner l’économie locale» de la commune, sans parler de la création d’emplois, sésame au développement. Autant d’arguments connus. Top du top, les vagues pourront être réservées sur internet ou de son smartphone ! Qui donc peut être contre l’innovation ?
De fait, quel centre nautique se construit aujourd’hui sans sa piscine à vaguelettes ? Un équipement hélas déjà ‘has been’ car ce n’est sans doute qu’une question de temps que les vagues de surf ne déferlent à tout bout de champ et ne rendent obsolètes des établissements à peine sortis de terre. Avis aux spécialistes de la piscine !
Si un tel équipement à Cergy-Pontoise, en banlieue parisienne, pour une population loin de l’océan peut se comprendre, l’absurdité du même ouvrage au bord de la mer peut prêter à sourire. Pourtant, peut-être n’est-ce au contraire que sage anticipation. Qui sait si dans trente ans, durée de vie d’une piscine publique, quiconque aura encore envie d’aller se baigner ou surfer dans l’océan ? La mer sera peut-être tellement morte sauf pour les méduses urticantes et les moules mutantes que la population locale sera bien contente d’avoir un ‘Surf Park’ à côté de chez elle pour barboter sans risque et sans mauvaise surprise. Encore heureux même que ce soit à 10 km de la mer ! Et une rue sera baptisée du nom du maire.
Entretemps, parce que le phénomène est mondial – du moins dans les pays développés, le surf ‘indoor’ en Thaïlande ou au Congo, c’est seulement pour les touristes – le surf en salle donc deviendra peut-être discipline olympique dès 2024, en France ! Surf artistique, synchronisé, petit surf, moyen surf, grand surf. Tout comme les stations de haute montagne produisent des champions de ski, peut-être que, grâce à son ‘Surf Park’, le petit bourg de Saint-Père-en-Retz aura sa première médaille olympique gagnée en surf de haute voltige par un athlète local et en sera très fier.
Sauf que, une génération encore plus tard, peut-être ne restera plus alors du surf que sa version stylisée et standardisée et seuls les papis et mamies se souviendront que quand ils étaient petits, le surf se faisait dehors, sur la mer et que le temps mauvais, les surfeurs avaient tendance à aimer ça.
Entretemps, l’ouvrage de Saint-Père-en-Retz, parce qu’il fut l’un des premiers dans son genre, sera classé monument historique. Il sera alors abandonné, le manque chronique d’eau en Bretagne condamnant sa fonction. Trente ans encore plus tard, personne n’ayant prévu que l’ouvrage soit réversible, même pas en patinoire durant l’hiver nucléaire, la plaque du maire sera déboulonnée.
Bref difficile de prédire si ce Surf Park est ou non un bon projet pour l’avenir de la commune mais, ce qui est sûr, est qu’il traduit tout à fait l’hubris de la population française (et occidentale), du moins d’une partie d’entre elle, et de son goût pour la facilité et le confort ; plutôt surfer sur commande à la piscine que se les geler à 6h du matin dans l’eau glacée en attendant une vague hypothétique. Et puis, même si surfer en salle est un peu comme faire flotter des petits bateaux dans sa baignoire, au ‘Surf Park’, le citadin pourra s’y rendre en trottinette.
Certes il y a encore des réfractaires au progrès, comme à Saint-Père-en Retz, mais cette appétence pour l’illusion de l’effort, sous couvert d’arguments fallacieux – la santé, le bien-être, l’emploi, le développement, etc. –, est un trait irréversible des pays riches décadents. D’ailleurs le surf en ville a déjà rejoint les pages ‘LifeStyle’ des magazines au papier glacé, c’est dire si la pratique n’attend plus que ses adeptes people aux maillots haute couture.
En guise de mode de vie virtuel, le concept de ‘Surf Park’ risque donc de faire florès et mérite, pour les entrepreneurs dynamiques, d’être élargi. Pourquoi pas par exemple des ‘Rando Park’, où vous faites le tour d’une montagne miniature en toc mais avec des montée et des descentes, et, pour les plus courageux, pourquoi pas des ‘Jungle Park’ – «passez la nuit avec de VRAIS moustiques» -, ou des ‘Igloo Park’ – «faites semblant de surfer parmi les orques et les ours blancs comme s’ils existaient encore».
Si ces équipements vont dans le sens de l’histoire, il y a là autant de sujets qui devraient dans un futur proche enflammer l’imagination des hommes et femmes de l’art. Pour les ‘Surf Park’ en revanche, pour ceux que cela intéresse, avant que la mode ne passe, il est déjà grand temps de s’y mettre pour en doter pour trente ans les communes volontaires.
Christophe Leray
* Une vague de protestation contre un projet de surf park, à 10 km de l’océan, par Julie Urbach 20 Minutes (24/02/19)
** Marylise Kerjouan, Ouest-France (19/04/2016)
Photo de Une courtoisie du photographe Quentin Salinier