Ethel Hazel, psychanalyste de l’architecte Dubois, s’inquiète d’immortalité dans un univers où règnent Hypnos, dieu du sommeil et Thanatos, dieu de la mort. Aïda, la policière à la poursuite de Dubois le tueur en série voit s’accumuler les découvertes macabres. Vaudou ?
Psychanalyse de l’architecte : les personnages à l’œuvre
Relire le prologue de la saison 7 (et le résumé des saisons précédentes)
***
« De l’homme à l’homme vrai, le chemin passe par l’homme fou ».
Michel Foucault
***
Samedi, 5h00 (heure locale) – Florianopolis, Brésil
Dans les pages locales du Diário Catarinense (« Quotidien de Santa Catarina » en français), le quotidien de l’État de Santa Catarina, un article signé Bianca Bertoldi et titré : Assassinatos misteriosos, arquiteto francês identificado ! (Meurtres mystérieux, l’architecte français identifié ! )
Os arquitetos têm azar? A primeira vítima foi Léonie Meunier, uma francesa de 45 anos que viajava sozinha pela região; seu corpo nu foi levado pelo mar há algumas semanas na praia da Barra da Lagoa, em Florianópolis. A segunda vítima se chamava Augustinha Dos Santos e seu corpo foi encontrado há dez dias no porão do Arpoador, famoso hotel 5* de São Paulo. A priori nada liga estes dois casos, exceto que as vítimas são ambas loiras de olhos azuis e, sobretudo, que a primeira foi encontrada a menos de 100 metros da casa de… Glória da Silva, a arquiteta de Florianópolis que acaba de reformar o hotel Arpoador. Coincidências? É o que diz Glória da Silva, que nossos leitores já sabem porque já apresentamos em diversas ocasiões o trabalho de sua agência localizada na R. Emílio Blum, 123 – loja 27, no centro de Florianópolis, e que finalmente conseguimos para passar. “Eu não leio a imprensa e foi você quem me contou sobre a descoberta dessa mulher na praia perto da minha casa”, disse ela. “Quanto ao caso do Arpoador, obviamente estou ciente dessa história, até porque o diretor me avisou. Mas eu já tinha saído do hotel antes de toda essa história”, continuou a arquiteta, que se disse triste com esses acontecimentos fora de seu controle. Questionada sobre seu companheiro de viagem, ela recuperou o bom humor e espontaneamente explicou que estava oferecendo ao seu convidado francês, o arquiteto Dubois, um passeio arquitetônico pelo Brasil, país que ele não conhece e do qual não fala a língua. “Uma forma de aliar o útil ao agradável”, diz ela, mencionando passar alguns dias em Paraty, onde no ano passado abriu um restaurante de culinária gourmet no coração do centro histórico. Bon appétit !
Caso tenha informações adicionais, ligue para 48 4832-800. Discrição garantida. Recompensa por qualquer informação útil.
Est-ce que les architectes portent la poisse ? La première victime s’appelait Léonie Meunier, une Française de 45 ans qui voyageait seule dans la région ; son corps nu a été rejeté par la mer il y a quelques semaines sur la plage de Barra da Lagoa, à Florianópolis. La seconde victime s’appelait Augustinha Dos Santos et son corps a été retrouvé il y a dix jours dans le sous-sol de l’Arpoador, célèbre hôtel 5* de São Paulo. A priori rien ne relie ces deux affaires sinon que les victimes sont toutes deux blondes aux yeux bleus et, surtout, que la première a été retrouvée à moins de 100 mètres de la maison de… Gloria da Silva, l’architecte de Florianopolis qui vient justement… de rénover l’hôtel Arpoador. Coïncidences ? C’est ce qu’affirme Gloria da Silva, que nos lecteurs connaissent déjà car nous avons à plusieurs reprises présenté le travail de son agence sise R. Emílio Blum, 123 – loja 27 dans le centre-ville de Florianopolis, et que nous avons enfin réussi à joindre. « Je ne lis pas la presse et c’est vous qui m’apprenez la découverte de cette femme sur la plage près de chez moi », dit-elle. « Quant à l’affaire de l’Arpoador, je suis évidemment au courant de cette histoire, ne serait-ce que parce que le directeur m’a prévenue. Mais j’avais quitté l’hôtel avant toute cette histoire », poursuit l’architecte qui s’est dite attristée par ces évènements indépendants de sa volonté. Interrogée sur son compagnon de voyage, elle a retrouvé sa bonne humeur et a expliqué spontanément offrir à son invité français, Dubois l’architecte, une visite architecturale du Brésil, pays qu’il ne connaît pas et dont il ne parle pas la langue. « Une façon de joindre l’utile à l’agréable », dit-elle, indiquant passer quelques jours à Paraty où elle a signé l’an passé la création d’un restaurant de cuisine gastronomique en plein cœur de la vieille ville. Bon appétit !
Si vous disposez d’informations supplémentaires, appelez au 48 4832-800. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
***
Dimanche, 10h38, dans la cuisine d’Ethel
Cela fait plusieurs jours qu’il pleut sur Paris, le temps est d’une tristesse absolue, ses patients d’une tristesse absolue, sa vie une tristesse absolue. Déprimée, Ethel Hazel n’a pas touché à son article depuis mercredi dernier, passant ses soirées enveloppée dans une couverture devant la télé débile. Elle s’est même demandée si elle ne devrait pas acheter un chat, ou un chien, ou un poisson rouge. « Est-ce l’absence de Dubois qui me file le blues ? », se demande-t-elle. Elle s’aperçoit que tout l’exercice qu’elle fait est d’aller de sa cuisine au bureau en Uber, de son bureau à sa cuisine en Uber et, à part pour faire quelques courses nécessaires, elle est tout le temps bouclée chez elle, rue d’Auteuil, entre sa cuisine et la chambre. Elle a même envisagé de s’inscrire à la piscine mais rien que d’y penser la déprime encore plus. D’ailleurs les serveurs du restaurant où elle a ses habitudes pour déjeuner ne lui parlent plus, à nouveau. « Est-ce que je fais peur ? Plutôt, de quoi ai-je peur ? Et de quoi devrais-je avoir peur puisque j’ai survécu à Dubois ? ». Mais ce matin – un dimanche – elle a été réveillée par le soleil qui inondait l’appartement et Ethel s’est sentie soudain toute guillerette et après un petit-déjeuner devant la fenêtre grande ouverte, c’est avec un enthousiasme renouvelé qu’elle se remet à son article.
SYNDROME DE LA BELLE AU BOIS DORMANT DE L’ARCHITECTE DUBOIS
La vie silencieuse
Nous avons vu comment Dubois l’architecte tue ses victimes, du moins celles qu’il choisit de conserver, en les étouffant de plaisir. Nous avons évoqué le fait qu’il y avait sans doute du voyeur en lui, et de la gourmandise peut-être à garder les corps de ses victimes pour les admirer, comme un collectionneur et, apparemment, taxidermiste de talent. Cependant, ce ne serait là que réduire Dubois à quelques vices, aussi horribles peuvent-ils apparaître, et se méprendre sur sa vraie nature.
Et puis, du vice aux meurtres en série, il y a un grand pas. Sinon, l’humanité serait diminuée de moitié. Et puis, horribles vraiment les vices de Dubois ? C’est vite dit. S’il ne tuait pas toutes ces femmes, Dubois l’architecte serait exactement comme mes autres patients, complexé, torturé, aussi impérieux qu’est profond le complexe d’infériorité, surtout dans un monde, l’architecture, aussi compétitif. Mais bon, va pour horribles parce que quand même, il les tue et je ne pense pas qu’elles étaient toutes prêtes ou averties de ce grand voyage.
Or, à décrypter ses propos, apparaît en lui l’architecte démiurge, à l’origine un concept de dieu créateur de l’univers et par extension aujourd’hui compris comme un créateur, un animateur d’un monde. Pour citer Damien Clays, (« Le fantasme du démiurge : L’architecte soumis à la tentation du pouvoir »), « le démiurge maîtrise l’espace et le temps (parcellaire, arpentage, défrichage, bornage, déploiement, mesure, mise en ordre…), il construit/bâtit le monde en tant qu’architecte avec les outils des bâtisseurs (équerre et compas) ».
Il s’avère cependant que, au-delà de ses bâtiments, c’est bien à la conception d’un univers – bizarre ? déviant ? – que s’est attelé Dubois l’architecte toutes ces années. Pour autant, il s’imagine aussi bien Démiurge et sans doute qu’à sa façon, en tuant toutes ces femmes, toutes blondes aux yeux bleus, dans une extase sexuelle avec une grande affection, si ce n’est de l’amour, Dubois leur fait l’offrande en retour de l’immortalité quelque part au sein de son univers. Il a en lui le sentiment d’être généreux.
Il me faut ici expliquer. Dans le syndrome de la Belle au bois dormant dont je parle, le verbe dormir a pour ce patient une importance fondamentale. Dans un sens, pour lui, ses Belles ne sont pas mortes, elles dorment loin du monde cruel, sereinement et pour toujours, et lui Dubois, lui seul, leur a offert une chance d’immortalité. Pour comprendre, le mieux est encore de l’écouter lors de l’une de nos séances où il a abordé de lui-même ce sujet.
Faux, ce n’est pas lors d’une séance que j’ai compris cet élément. Il ne m’en avait jamais parlé aussi clairement. C’est Dr. Nut qui, lors de la garde à vue de Dubois, à laquelle j’ai assisté derrière une glace sans tain, l’a fait s’expliquer sur ce point. Mais je ne peux pas citer cette garde à vue, je mettrais en difficulté tout le service de Dr. Nut qui cherche à coincer Dubois depuis toutes ces années. Déjà, je ne l’aide plus, je ne vais pas en plus lui mettre des bâtons dans les roues. Et puis cela ne change rien au fond de l’article. Donc, faisons comme s’il m’en avait parlé à moi.
La discussion a commencé lorsqu’il me demanda à brûle-pourpoint si je connaissais « Hypnos et Thanatos, les jumeaux de l’antiquité ? ». Je savais bien sûr que Thanatos représente en psychologie l’ensemble des pulsions de mort, souvent opposé à Éros, et qu’Hypnos est le dieu du sommeil. « Je ne savais pas qu’ils étaient jumeaux », lui dis-je. Voici ce qu’il m’expliqua et que je retranscris de mémoire aussi précisément que possible et en intégralité, la preuve en tout cas que c’est un sujet auquel il avait beaucoup réfléchi.
– Citation : « Nyx est le nom de leur mère, qui signifie la Nuit, elle-même issue du Chaos originel. Alors voilà, Hypnos et Thanatos, des jumeaux donc, sont en effet respectivement dieux du sommeil et de la mort. Ils ne sont pas comme Janus, le dieu aux deux visages, ils sont jumeaux et il y a une bonne raison à cela. Quand vous dormez profondément, de ce sommeil profond où vous n’avez plus conscience de vous-même, le monde peut s’écrouler, vous n’en savez rien. Et durant ce sommeil profond, qu’il se passe deux heures, huit heures, huit ans, huit cents ans, n’a aucune importance ; c’est seulement au moment du réveil que vous reprenez conscience, au sens propre. C’est pourquoi le sommeil et la mort sont jumeaux. Hypnos est d’ailleurs le père de Morphée. Dormir c’est mourir ! C’est pourquoi je n’ai pas peur de la mort car j’ai l’habitude de mourir chaque soir et c’est un émerveillement renouvelé chaque matin de reprendre conscience et de se dire que nous avons à nouveau une journée entière, peut-être, avant la prochaine mise en sommeil, la prochaine mise en totale déconnexion. Bref, même si on se réveille après un million d’années, à supposer que le corps soit parfaitement conservé, c’est comme débuter un autre jour et pourtant être plus vieux que Mathusalem.
Question : « Donc pour vous, s’endormir chaque nuit, c’est votre vision de l’immortalité ?
– Citation : « Vous n’y êtes pas. Maintenant imaginez quelqu’un qui aurait beaucoup d’argent, un nabab qui rêverait aussi d’immortalité mais pas comme un imbécile de la Silicon Valley en train de construire des pyramides en forme de data center, non, je parle là de la vraie immortalité ».
Question : « un nabab vous dites… »
– Citation : « Parce que ceux-là ne le sont pas ? Restez avec moi Docteur…
Tiens, je ne me souviens plus de quelle façon il s’adressait à moi au fil du temps, à quel moment est-on passé de Docteur à Ethel – d’ailleurs quand et pourquoi m’appelle-t-il Ethel ? – alors que pour moi il est toujours depuis le premier jour resté Dubois l’architecte ? Il faudra que je regarde dans mes notes, il y a là peut-être quelque chose d’important qui m’a échappé. Bref, revenons à l’article…
– Citation : « Parce que ceux-là ne le sont pas ? Restez avec moi Docteur… Le Nabab se débrouille pour mourir en assez bonne santé physique et mentale, s’il est sénile, l’immortalité ne sert à rien. Bref, il s’est auparavant fait construire une fusée, ce qui n’est pas si difficile d’autant plus que cette fusée n’a pas vocation à aller vite ni à revenir ni à maintenir quiconque en vie. À sa mort, le corps intact du nabab est placé dans sa fusée, laquelle est envoyée le plus loin possible dans l’espace. Il suffit d’un tout petit moteur, le froid intersidéral faisant le reste pour conserver le corps, et ce vaisseau peut aisément et sans heurt voyager pendant des siècles et des siècles bien au-delà des limites de l’univers des hommes contemporains. Or, dans l’immensité du temps et de l’espace, même si le nabab n’a qu’une chance sur cinquante mille milliards de milliards, il est possible d’imaginer qu’une intelligence extraterrestre saura un jour (?) le récupérer et, dotée d’une technologie que nous ne pouvons imaginer, par curiosité peut-être saura le réveiller. Et le Nabab, à l’instant même où il se réveillera, aura l’impression de s’être endormi la veille. Et je lui promets alors une journée, une nouvelle vie peut-être, qui vaudra immortalité. En plus, imaginez pour la famille, ils pourraient suivre le vaisseau dans le ciel et les enfants rêver à leurs ancêtres devenus comme autant d’étoiles ».
J’avoue m’être alors demandé quel était ce délire, même si je comprenais la poésie évoquée ? Mais l’architecte n’avait pas fini, comme s’il tenait à me faire passer un message. C’était le cas.
– Citation (suite) : « J’insiste, je vous promets que cette chance de se réveiller un jour au milieu de nulle part, aussi infinitésimale soit-elle, dans l’infinité du temps et de l’espace, est une excellente chance. Meilleure en tout cas que de finir carbonisé ou bouffé par les vers. Chacun pourrait encore décorer son vaisseau/tombeau. Aux couleurs rastas pour un chanteur de reggae, décoré comme un château du XVIIIe pour tel nobliau, rose comme le jouet favori d’une influenceuse, avec l’habitacle rempli de peluches qui flottent indéfiniment et qui surprendront sans doute les petits enfants extraterrestres, etc. Quant à moi, à ma mort, je ne serais pas malheureux que l’on m’installe avec quelques livres dans une fusée de base que mes enfants pourraient s’offrir afin de m’envoyer dans le vaste espace, ad vitam aeternam, c’est le cas de le dire. Une fois endormi, 500 milliards d’années ne me font pas peur. Ni même encore la tête de ce qui ou quoi me réveille après tout ce temps-là. J’imagine que la première question qu’ils me poseront c’est d’où je viens mais je serai sans doute bien incapable de leur répondre… Mais bon, vous voyez bien que sans ticket retour, c’est facile la conquête de l’espace !
Un vaisseau spatial ? C’est ainsi que Dubois l’architecte envisage l’immortalité, sinon pour lui, au moins pour ses victimes. Il explique d’ailleurs la fusée devenue tombeau. Il ne construit pas évidemment de fusée mais cette vision cylindrique d’un tombeau, un habitacle ouvert sur les étoiles n’est pas sans rappeler le tombeau transparent de la Belle au bois dormant de Walt Disney. D’ailleurs, à plusieurs reprises, il a également évoqué cette vision de la mort qui ne serait pas aveugle mais ouverte aux étoiles. Voici encore ce qu’il disait en parlant d’un projet de morgue – quel paradoxe – qu’il a réalisée à Paris.
– Citations : « Alors, plutôt qu’un lugubre meuble à tiroirs, j’ai dessiné une très belle façade qui prend presque tout un mur intérieur du labo et les laborantins ont au moins l’impression de ranger chaque corps dans son ‘appartement’ respectif – une courte location certes – plutôt que de les ranger dans une boîte en métal sinistre. Mes morts ont même leur adresse sur cette façade – stylisée évidemment – ce qui est toujours mieux qu’un numéro. En plus, j’ai eu l’idée de coller au plafond de ces caisses métalliques des petites étoiles fluorescentes adhésives de quelques millimètres. Quand on ouvre le tiroir, elles prennent la lumière et, une fois le tiroir refermé, demeurent fluorescentes, comme ça le corps n’est plus dans un placard anonyme mais en sommeil à la belle étoile ».
Ainsi, pour le comprendre, il nous faut bien considérer que Dubois tue ses victimes par générosité.
(À suivre)
***
Lundi, 18h39, dans le bureau de Dr Nut
Pour une fois, Dr. Nut est content de lui, il a enfin fait une – petite – avancée sur le cas Dubois. Il a étalé sur son bureau un plan de l’est de Paris, un plan plus précis de Belleville et toute une série de photos. Il sait que Dubois garde certaines de ses victimes dans une sorte de mausolée, s’il en croit l’analyse d’Ethel Hazel, mais où ? C’est étrange mais maintenant que Dubois est loin, au Brésil, du moins pour l’instant, c’est comme si le policier réfléchissait autrement. En effet, cela fait longtemps qu’il se demande comment Dubois transporte ses victimes, une fois qu’il les a étouffées. Dispose-t-il d’un lieu spécial où il les tue, un appartement caché comme celui où il fut retenu prisonnier durant le confinement ? C’est possible. Mais, en tout état de cause, ce lieu ne peut pas être loin de chez lui, il est forcément à Belleville. Le policier en est persuadé car il sait que Dubois n’a jamais cessé depuis ses études de fréquenter Belleville, même s’il a longtemps vécu dans les beaux quartiers, rue Guynemer, notamment, dans le 6ème arrondissement. Dr. Nut se souvient avoir lu dans les notes d’Ethel qu’elle avait connu un trou noir de plusieurs heures après sa première nuit avec Dubois et qu’elle se demandait si elle avait été droguée. S’il les drogue, se dit le policier, alors il peut les déplacer assez facilement, comme si elles étaient ivres ou souffrantes par exemple, surtout si la distance est courte ; personne ne lui poserait de question. Dubois se déplace habituellement dans Paris en scooter mais il a une voiture, une nouvelle depuis deux ans d’ailleurs, une Honda grise hybride que le policier connaît bien pour l’avoir souvent vue garée devant son agence. Mais, s’est-il soudain demandé, où la gare-t-il quand il part en voyage pour plusieurs jours, comme maintenant qu’il est au Brésil ? L’inspecteur ne s’était jamais posé la question. Mais du moment où il a su ce qu’il cherchait, avec l’aide des agents du commissariat du 20ème, il a trouvé rapidement. En fait, comme de juste, Dubois se gare tout près de chez lui, au Parking One Park Belleville-Menilmontant, 30 Bd de Belleville. Ce parking est ouvert 24h/24 mais, surtout, a découvert Dr. Nut, il possède quatre entrées et autant de sorties car il est accessible par le boulevard de Belleville, la rue des Couronnes ainsi que la rue Oberkampf, voire par la Porte du Pré Saint-Gervais en venant du boulevard périphérique. Entre le 11ème et 20ème arrondissements, il offre plusieurs accès faciles et discrets. Ce pourquoi on ne le voit jamais partir ou revenir, s’est dit le policier. De toute façon, il est difficile de mettre quelqu’un à planquer 24h/24 dans un parking sans être repéré. Encore aurait-il fallu y penser. Quant à mobiliser quatre équipes pour garder les entrées, ce n’est même pas la peine de l’envisager. Ce parking date des années ‘90 et, l’inspecteur a vérifié, n’a pas été construit par l’agence de Dubois, Dupont&Dubois à l’époque. Pour autant il est à 150 mètres seulement de son agence et de chez lui. Du coup, Dr. Nut a fait plusieurs fois le tour du parking et interrogé les employés sans qu’apparaisse la moindre irrégularité ou signalement. Dubois a un abonnement à l’année, une place dédiée – le policier a fait le tour de la voiture, jetant un coup d’œil à l’intérieur sans rien noter de particulier sinon l’éclatante propreté, comme si elle était encore neuve. Bref, Dubois entre et sort comme il veut. Une fois de plus, le policier est quasi admiratif de la précision de l’écheveau construit par Dubois. Pour autant, il sera désormais plus facile de suivre ses déplacements. « Ne me reste qu’à trouver le chemin du parking à son mausolée », se dit Dr. Nut, souriant en son for.
(À suivre)
***
Lundi, 18h39 (heure de São Paulo), 23h39 (heure de Paris)
Aïda serre son téléphone dans sa main, son souffle est court. Elle tente de contenir la panique qui lui monte au cerveau mais la scène devant elle est impossible à ignorer. Le corps d’une très jeune femme repose sur l’autel de l’église abandonnée que Aïda cherchait depuis deux jours. Le corps est soigneusement disposé dans une mise en scène tout aussi théâtrale que morbide. La lumière du soleil couchant se faufile à travers la toiture délabrée qui semble avoir été engloutie par la jungle alentour. Le corps est nu, positionné sur le dos, les bras croisés sur sa petite poitrine, les jambes serrées. La chevelure blond platine forme une auréole autour du visage de la gamine dont Aïda ne saurait dire si elle est majeure. Elle note rapidement les ongles des doigt et des orteils peints en noir.
Tout autour du corps, qui ne porte aucune trace de violence ou marquage cabalistique, parmi les nombreuses bougies, qui ressemblent à des bougies votives, quelques-unes brûlent encore, les autres ayant généreusement fondu et formant une sorte de paysage sur l’autel en pierre.
À côté de Aïda, Paulo, le propriétaire de son auberge, qui l’a guidée jusque-là, regarde le corps, figé par la peur. Il murmure des prières, la voix tremblante, reculant lentement comme pour s’éloigner de cette horreur. Aïda est paralysée par sa découverte. Paulo la secoue, ce qui la ramène à elle, et lui intime de s’enfuir. Vaudou, croit-elle comprendre dans son charabia paniqué. Elle retrouve un peu de sang-froid et, après s’être expliquée avec Paulo, lui ordonnant qu’il l’attende, elle compose le numéro de Dr. Nut, espérant le cœur battant qu’il décroche. C’est le cas dès la première sonnerie.
– Aïda ? Il est tard, que se passe-t-il ? Elle entend dans sa voix l’inquiétude de l’inspecteur.
– Patron… Je suis dans cette église abandonnée. Je suis venue là parce que Gloria en a posté une photo sur Instagram il y a quelques jours. Paulo, le patron de l’auberge où je réside a accepté de m’y conduire. C’est une sacrée randonnée ! Et, en arrivant, on a trouvé un nouveau corps… Aïda sent sa voix qui tremble… Elle perçoit l’hésitation du policier.
– Un nouveau corps ?
– Oui, une jeune fille ou jeune femme, blonde évidemment. Elle est… elle est étendue sur l’autel, entourée de bougies. Tout est organisé, mis en scène, récemment d’ailleurs puisque toutes les bougies ne sont pas consumées. Ça pourrait être du Dubois… En fait, cette jeune femme ressemble à Gina, on dirait Gina en plus jeune. Je n’ai aucune idée où sont Dubois et Gloria, poursuit Aïda avec difficulté. J’ai du montrer à Paulo ma carte de policier pour le retenir, sinon il disparaissait immédiatement. Le badge a fait son effet, il m’attend avant d’appeler la police locale. Mais je ne vais pas le retenir longtemps, il est terrorisé. Elle s’aperçoit en disant cela qu’elle a le souffle court.
– Attends, respire, Aïda. Est-ce que tu as touché à quelque chose ?
– Non, je n’ai rien touché. Paulo non plus. On est arrivés et on a tout de suite vu ça… C’est totalement hors du temps, on dirait un sacrifice macabre, dit-elle en secouant la tête, les yeux toujours rivés sur le corps nu de la jeune femme. Paulo me parle de Vaudou.
– Vaudou ?
– Je n’en sais rien, mais l’ambiance est fantasmagorique si vous voyez ce que je veux dire.
– OK, prends des photos puis sors de là en ne touchant à rien. Est-ce que tu as des nouvelles de Thiago ? Est-il censé te retrouver ?
– Non, répond Aïda nerveuse, il est encore à Paraty pour enquêter sur les décès d’Isabella da Rocinha et Maria Aparecida Silva, voyez j’ai même retenu leurs noms, répond Aïda d’une voix soudain plus triste qu’effrayée
– Ok,tu l’appelles dès qu’on raccroche, qu’il trouve un moyen de te retrouver en urgence. Demande-lui de prévenir la police locale, il saura comment leur mentir, et explique à ton Paulo que c’est ce que vous allez faire.
– Je peux appeler la police moi-même, elle voudra de toute façon sans doute me parler… Aïda se sent totalement dépourvue.
– Non ! l’interrompt Dr. Nut. La situation est trop délicate Aïda, laisse faire Thiago. La police locale va se demander pourquoi c’est une flic française qui a découvert ce corps, puisque rien n’empêchera Paulo de parler, et Thiago trouvera peut-être une explication à offrir et réussira à convaincre Paulo de se taire, au moins dans un premier temps. Quant à toi, tu es juste une touriste lambda qui se trouve être une policière en vacances et qui adore l’architecture et les vieilles pierres et c’est d’ailleurs sur le site d’une architecte brésilienne que tu as entendu parler de cette chapelle. Et en tant que flic, il n’est pas étonnant que tu connaisses un collègue brésilien et que ce soit lui que tu appelles en premier. C’est cohérent.
– OK patron, j’ai compris.
– Maintenant il faut remettre la main sur Gloria et Dubois. Tu peux me refaire un récapitulatif de leurs dernières 48 heures ?
– Oui, répond Aïda qui a détaché son regard de la victime et a enfin retrouvé son calme. Je n’ai pas de nouvelles d’eux depuis que je suis arrivée à Ilha Grande, je ne les ai pas vus. L’île n’est pas si petite, il y a quand même près de 10 000 habitants mais les véhicules à moteur sont interdits, alors tout se fait à pied ou en bateau. Sauf que c’est la jungle, tout est très difficilement accessible ! Dubois et Gloria peuvent être n’importe où puisqu’ils sont arrivés en bateau. La seule information que j’ai réussi à trouver est ce post de Gloria, la photo de cette église en ruines avec comme légende quelque chose comme « Certains lieux ne sont pas faits pour être habités, mais pour être admirés… ». C’est grâce à Paulo que j’ai pu la retrouver. « Igreja das Sombras », c’est une ancienne bâtisse coloniale qui était autrefois utilisée comme lieu de pèlerinage. Mais des légendes locales affirment que l’église serait habitée par des esprits, d’où son nom, l’église des Ombres et elle est donc laissée à l’abandon depuis plusieurs décennies.
– OK,donc elle porte toujours aussi bien son nom, dit Dr. Nut, réfléchissant à haute voix. As-tu détecté des signes d’activité récente autour de l’église ?
– Non… rien de particulier à part le corps et les bougies. Le lieu est vieux, abandonné, envahi par la végétation.
– Attention, c’est peut-être un guet-apens. Ce corps pourrait très bien être pour Dubois un moyen de valider ses doutes, il se sent peut-être suivi ou il a découvert que tu étais sur ses traces. Il voulait peut-être te faire venir ici, peut-être pour te faire peur, ou bien te distraire, ou pire… pour t’exposer.
Aïda senti la panique l’envahir à nouveau. Si Dr. Nut avait raison, Dubois pourrait n’être pas loin, peut-être même l’observe-t-il en ce moment même.
– Garde ton calme, lui dit le policier, qui a senti son moment de trouble. Paulo est toujours avec toi ?
– Oui mais il n’a qu’une envie, s’enfuir !
– Bien, reparsavec lui, au cas où Dubois, ou l’auteur de cette mise en scène, serait encore dans les parages. Et Aïda, ne prend aucun risque inutile. Si Dubois est vraiment derrière ça, il peut encore avoir un coup d’avance. Appelle Thiago et rappelle-moi quand tu l’as eu et n’oublie pas de prendre quelques photos avant de partir ».
Aïda raccroche et regarde tout autour d’elle, elle se demande si elle ne devrait pas souffler les bougies. Elle s’en veut de devoir laisser là, toute seule, cette jeune femme inconnue. Paulo impatient n’arrête pas de se signer et murmure sans discontinuer des incantations. La forêt autour d’eux regorge de bruits d’autant plus menaçants que la nuit est maintenant complètement tombée : le vent dans les feuilles, des craquements, des oiseaux qui chantent, des animaux qui gémissent. Il ne manquerait plus qu’il y ait vraiment des esprits… Elle prend une grande inspiration puis appelle Thiago.
(À suivre)
***
Mardi, 5h00 (heure locale) – Turin, Italie
Dans les pages locales de La Stampa, principal journal de Turin, à la rubrique Faits divers, un article signé Lorenzo Antonetti et titrée : Colpo di scena nella vicenda Gina Rossi, manca un altro architetto (Rebondissement dans l’affaire Gina Rossi, une autre architecte manque à l’appel).
Si tratta di una svolta sorprendente nel caso Gina Rossi poiché abbiamo identificato un altro architetto italiano scomparso a Parigi in circostanze simili a quelle di Gina. Si ricorda che sull’altare della chiesa di San Tommaso, in via Monte, è stato ritrovato il corpo, apparentemente mirabilmente conservato, di Gina Rossi, una bella donna bionda con gli occhi azzurri, nata a Torino il 10 agosto 1991 e di professione architetto. di Pietà, a Torino nell’agosto 2022. Ora sappiamo che è effettivamente scomparsa a Parigi nel 2018, suo ultimo lavoro come project manager presso l’agenzia Dupont&Dubois. Mentre cercavamo testimoni che potessero far luce sulla sua personalità e sui motivi della sua scomparsa, abbiamo consultato l’elenco dei collaboratori dell’agenzia Dupont&Dubois, all’epoca, visibile ancora oggi sul sito dell’agenzia Dupont&Dupont scoperto il nome di un’altra architetto italiana, Anna Rizzo, che lavorava presso l’agenzia. Quindi siamo partiti per trovarla. Sappiamo oggi che è nata il 14 novembre 1979 a Sanremo. Anna Rizzo era architetto in un’agenzia di Roma, sposata (senza figli) con uno dei soci (senza essere lei stessa socia, si apprende). A quanto pare, già separata dal marito da diversi mesi, il divorzio si è concluso a fine giugno 2020. Sembra che all’improvviso abbia sbattuto la porta di casa e dell’agenzia e abbia preso il primo volo per Parigi. L’ex marito, contattato, ci ha detto che non aveva più sue notizie e non ne cercava nessuna. La sua famiglia aveva fatto denuncia alla polizia di San Remo ma sono stato io a sapere che si trovava a Parigi. Abbiamo verificato che Anna Rizzo ha lavorato presso l’agenzia Dupont&Dubois da agosto a dicembre 2020 prima… di scomparire senza lasciare traccia! Due architetti italiani, fisicamente simili perché entrambi biondi con gli occhi azzurri, che a due anni di distanza scompaiono a Parigi dopo aver lavorato nella stessa agenzia? Questo non è normale. Ma né a Torino né a San Remo sembra aperto alcun fascicolo a loro nome, il che indubbiamente aumenta il terrore per la loro scomparsa. Per quanto riguarda lo stesso architetto Dubois, attualmente è in viaggio d’affari in Brasile e al momento non è raggiungibile. Non mancheremo di contattarlo al suo ritorno! Nel frattempo, se avete notizie su Gina Rossi e Anna Rizzo, chiamate il giornale allo 0116568304. Discrezione assicurata. Premio per qualsiasi informazione utile.
C’est un rebondissement étonnant dans l’affaire Gina Rossi puisque nous avons identifié une autre architecte italienne disparue à Paris dans des circonstances similaires à celle de Gina. Pour rappel, le corps, apparemment admirablement préservé de Gina Rossi, jolie femme blonde aux yeux bleus, née à Turin le 10 août 1991 et architecte de son état, a été retrouvé sur l’autel de l’église San Tommaso, Via Monte di Pietà, à Turin en août 2022. Nous savons désormais qu’elle a en réalité disparu à Paris en 2018, son dernier emploi connu cheffe de projet au sein de l’agence Dupont&Dubois. Alors que nous recherchions des témoins qui auraient pu nous éclairer sur sa personnalité et les raisons de sa disparition, nous avons consulté la liste de tous les collaborateurs de l’agence Dupont&Dubois, encore visible aujourd’hui sur le site de l’agence Dupont&Dupont, et avons découvert le nom d’une autre architecte Italienne, Anna Rizzo, ayant travaillé à l’agence. Nous avons donc entrepris de la retrouver. Nous savons aujourd’hui qu’elle est née le 14 novembre 1979, à San Remo. Anna Rizzo était architecte dans une agence à Rome, mariée (sans enfant) avec l’un des associés (sans être elle-même associée, avons-nous appris). Apparemment déjà séparée de son mari depuis plusieurs mois, le divorce était prononcé fin juin 2020. Elle semble avoir brutalement claqué la porte de chez elle et de l’agence et prit le premier vol pour Paris. Son ex-mari, contacté, nous a affirmé n’avoir plus eu de ses nouvelles et ne pas en chercher. Sa famille avait bien fait un signalement à la police de San Remo mais c’est moi qui leur ait appris qu’elle était à Paris. Après vérification, nous savons qu’Anna Rizzo a bel et bien travaillé à l’agence Dupont&Dubois d’août à décembre 2020 avant de… disparaître sans laisser de trace ! Comme si elle s’était à son tour évaporée. Deux architectes italiennes, similaires physiquement puisqu’elles sont toutes deux blondes aux yeux bleus, qui à deux ans d’intervalle disparaissent à Paris après avoir travaillé dans la même agence ? Voilà qui n’est pas ordinaire. Pour autant, aucun dossier à leur nom ne semble ouvert ni à Turin ni à San Remo, ce qui ajoute sans doute à l’effroi de leur disparition. Quant à l’architecte Dubois lui-même, il est actuellement en voyage d’affaires au Brésil et injoignable pour le moment. Nous ne manquerons pas de le contacter dès son retour ! D’ici-là, si vous disposez d’informations au sujet de Gina Rossi et d’Anna Rizzo, appelez le journal au 0116568304. Discrétion assurée. Récompense pour toute information utile.
(À suivre)
Dr. Nut (avec les notes d’Ethel Hazel)
Aïda Ash (avec les notes de Dr. Nut)
* En librairie L’architecte en garde à vue
* En librairie, Le fantôme de Gina
Retrouver tous les épisodes de la saison 7 (Le syndrome de la Belle au bois dormant)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 6 (Le Fantôme de Gina)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 5 (L’architecte en garde à vue)
Retrouvez tous les épisodes de la saison 4
Retrouvez tous les épisodes de la saison 3
Retrouvez tous les épisodes de la saison 2
Retrouvez tous les épisodes de la saison 1