Un homme peut-il concilier ses aspirations et ce qu’il croit être juste pour les autres avec la réalité capitaliste de la fabrique urbaine ? Max, paysagiste et héros du film de Philippe Petit, Tant que le soleil frappe, depuis le 8 février 2023 dans les salles obscures, le croit.
Max / Don Quichotte
« Max [Swann Arlaud] ne rêve pas de faire des murs végétaux pour des hôtels cinq étoiles. Paysagiste tenace, engagé mais acculé, il se bat pour créer un jardin sauvage, sans clôture, en plein centre-ville de Marseille. Après des années de refus, son projet arrive en finale d’un prix d’architecture. Pour Max, c’est la dernière chance d’offrir de l’oxygène aux habitants qui suffoquent dans un enfer urbain, sous le soleil qui frappe ». Tel est le synopsis de Tant que le soleil frappe, premier long-métrage réalisé par Philippe Petit et présenté en compétition lors de la Semaine de la Critique du Festival de Venise 2022 (du 31 août au 10 septembre 2022).
Le paysagiste quadragénaire porte son idéal avec Gaspard (Pascal Rénéric), son ami urbaniste proche du découragement, et avec les tenaces habitants du quartier avec qui il imagine un jardin ouvert, utopique et poétique, sans barrière, accessible à tous, à toute heure. Un vœu pieux considérant la situation de la parcelle.
« Si je fais du cinéma, c’est pour faire tomber cette frontière entre espaces public et privé, pour me balader dans le temps et pour faire de ma vie un espace ouvert. […] Si on enlève les clôtures d’un jardin, ça en transforme l’usage, la dynamique et le lien que les citoyens entretiennent avec lui. Les bouleversements que traverse notre société modifient notre rapport aux frontières d’une manière générale. Pour Max, si le jardin a une fonction propre, c’est à toute heure du jour et de la nuit. Pour lui, cela peut aider les gens s’ils peuvent s’y allonger au clair de lune ou le traverser la nuit. Il n’y a plus de limite entre espace privé et public », analyse le réalisateur à propos des ambitions de son héros.
L’histoire se déroule à Marseille, place Marceau, située à quelques encâblures de la Gare Saint-Charles, du campus Saint-Charles de l’Université Aix-Marseille, de la Porte d’Aix ou encore de la Joliette réhabilitée. Le quartier est populaire mais bénéficie de grandes qualités entre centre-ville historique et nouveaux quartiers. En langage immobilier, un secteur premium qui, bien qu’hétéroclite, a déjà suscité les appétits de quelques-uns.
« Je voulais que le film se constitue autour de cette place. Surtout ne pas faire un film de banlieue, ni un film marseillais, mais que l’action se construise autour d’une agora proche du centre d’une grande ville méditerranéenne, qui puisse évoquer une mégalopole, être traversée par toutes sortes de gens. Cette place a un côté western qui me plaît beaucoup », précise Philippe Petit.
Max / Rohmer
Max et Gaspard croient surtout en la participation citoyenne et en l’implication des riverains. Demander aux habitants ce qu’ils souhaitent sans se soucier, dans un premier temps, des aléas de budget. De toute façon, ils n’ont pas d’argent. Avec l’appui de la municipalité précédente, un algéco a été installé sur la place, un QG, comme un drapeau planté par un aventurier solitaire avant l’arrivée d’une flotte de colons.
Dans L’Arbre, le maire et la médiathèque (1993), Eric Rohmer mettait en scène un urbaniste, Tant que le soleil frappe éclaire aussi la réalité de professions rarement mises en avant au cinéma comme celle du paysagiste ou de l’architecte. Un quotidien fait d’idéaux et de pragmatisme.
D’ailleurs le film évoque des considérations politiques bien ancrées dans la réalité. Comment intégrer le vivant dans les milieux urbains ? Comment redonner un peu de droit à la ville à des populations qui s’en voient exclues à la moindre occasion ? En ce sens, que l’intrigue se passe à Marseille ne pouvait être mieux trouvé tant la ville condense à elle seule tant de ces problématiques liés aux évolutions urbaines.
Le film aborde ces enjeux publics à travers le prisme très local et à l’échelle du projet. Dans un système où tout doit systématiquement « créer de la valeur » et avoir une fonction, un usage déterminé, le protagoniste raisonne en termes de parcelle, interrogeant ainsi l’incapacité des politiques urbaines à créer gratuitement des espaces de respiration par et pour les riverains.
« L’otium, le loisir studieux, anime Max et nourrit son rapport au paysage. Il est un architecte du végétal dont le projet architectural est aussi politique : il envisage la ville avec en son centre une agora, un lieu pour converser, un espace où le temps peut se suspendre. Les paysages changent, mais les ancrages restent. Il m’a semblé évident de choisir pour décor une ville du Sud. Le choix de Marseille, où la nature et la lumière sont abondantes, s’est imposé. Une cité qui constitue un laboratoire pour Max. Une ville, en mutation, qui, soumise à une politique d’aménagement très coûteuse, renvoie à la question de la gentrification », explique le réalisateur.
Max / Faust
Comment ce Don Quichotte des jardins publics va conserver ses idéaux, sans se renier, dans ce système qui ne répond qu’à la rentabilité économique ? Max, comme les autres professionnels, va se confronter à la réalité du projet (et de sa vie personnelle), notamment via la rencontre avec un architecte reconnu localement, Paul Moudenc (Grégoire Oestermann). Il acceptera le projet alimentaire d’un bar lounge pour Djibril Cissé, dans son propre rôle, dans l’espoir d’être suivi dans sa quête illusoire.
Mais l’architecte a depuis longtemps laissé ses idéaux, s’il en a eu un jour, sur le pas de sa porte, leur préférant de plus lucratifs projets avec vue sur mer ou des pince-fesses en costume avec bracelets VIP. A l’heure de l’affichage politique constant autour des concertations citoyennes, le film démontre, ou témoigne, comment dans la réalité les règles économiques nourrissent chaque jour les désillusions ordinaires des idéalistes aux petits bras et faible réseau.
Comme Tant que le soleil frappe est un portrait, un film chevillé à une personnalité et au point de vue de Max, Philippe Petit souhaitait que la mise en scène s’adapte à son tempérament, à ce qu’il traverse. Max est dans une situation de blocage mais il tente de redessiner son paysage intérieur afin de ne pas abandonner ses ambitions. « Il n’est pas buté, il cherche, et je voulais donc que la caméra ait la liberté d’accompagner les différents états liés à sa recherche. Le spectateur devait être tantôt extérieur à ses émotions, tantôt au plus près, et là j’ai parfois tourné caméra à l’épaule. J’ai voulu travailler la frontière entre l’acteur et le spectateur, l’endroit d’où je regarde et celui où je deviens le personnage », précise le cinéaste
C’est là toute la délicatesse de ce film qui met en scène des tiraillements que subissent les paysagistes et les architectes entre ce qu’il faudrait faire idéalement et ce qu’il est possible de faire sagement. En revanche, Tant que le soleil frappe prend ouvertement le parti du paysagiste, idéaliste face à l’architecte qui ne remettrait pas en cause le système dans lequel il tient un rôle majeur.
A cet égard, le film aurait gagné en épaisseur de ne pas opposer systématiquement les deux créateurs en creusant davantage les mécaniques d’attribution des marchés, constituant une rare occasion de transmettre un peu de la réalité complexe aux curieux, là aussi sans barrière.
Léa Muller