Paris, fin mars 2023, Chroniques d’architecture est invité à une virée au Portugal pour découvrir l’univers de la céramique. C’est Portugal Ceramics, « association mettant en valeur le savoir-faire portugais dans le domaine de la céramique et de la faïence » qui invite. C’est l’occasion de découvrir l’envers du décor, d’apprendre comment est fabriqué le produit avant sa mise en œuvre. Mais comment rendre compte de ce voyage sans tomber dans le piège de la publicité déguisée ? Compte-rendu.
Deux heures d’avion et voilà Tintin à Lisbonne où le printemps a déjà bien commencé au pays de Vasco. L’aéroport étant situé en centre-ville, en vingt minutes j’ai rejoint des collègues français, allemands, portugais et britanniques et nous partons déjà pour l’usine Viuva Lamego à une vingtaine de minutes de route de Lisbonne.
L’usine est âgée de 173 ans et collabore, je l’apprendrai, avec des artistes de renom tel que Manuel Cargaleiro, qui a notamment décoré de ses faïences les murs de la station de métro parisienne Champs-Elysées Clémenceau. L’artiste de 94 ans a reçu la médaille vermeil de la part de la mairie de Paris en 2019.
Au sein de l’usine, l’odeur est semblable à celle d’un magasin de bricolage. En en faisant le tour, de découvrir çà et là d’impressionnantes pièces de céramique assemblées. Question innocente : « Comment transporte-t-on ces immenses œuvres d’art jusqu’à leur lieu de mise en œuvre ? ». « Comme un puzzle géant », me répond-on. J’aurais en effet pu m’en douter.
Le soir, notre équipage dîne dans l’un des plus anciens restaurants de Fado de Lisbonne. Il ne faut ni parler, ni prendre de photos, ni respirer pendant le spectacle quand des femmes charnues pleurent merveilleusement l’absence de leurs maris partis conquérir des contrées lointaines. Nous décidons de rentrer à pied à l’hôtel par les petites rues de Lisbonne. C’est incroyable ce qu’on s’y sent en sécurité. Parole de Parisien.
Le lendemain, dès potron-minet, une visite guidée du centre de Lisbonne. Ici, la céramique est partout, sur les murs, au sol. Nous prenons le temps de faire le tour du Portugal Pavilion érigé en 1998 à l’occasion de l’exposition universelle. Il est signé du célèbre architecte portugais Alvaro Siza, prix Pritzker en 1992. Ce pavillon peut paraître bien austère aux yeux d’un profane mais nos accompagnateurs tiennent à souligner que la faïence verte, qui évoque les couleurs du drapeau portugais, brille de mille feux au soleil. Pour ma part, à ce mastodonte qui me semble tout droit sorti d’un cours d’architecture de l’université de Moscou en 1935, je préfère la joie des murs oranges, jaunes et bleu-ciel des rues de Lisbonne.
Hélas, le temps presse, départ pour Aveiro, quatrième ville du Portugal, à trois heures de route de la capitale. Après une section d’autoroute puis une succession de petits chemins de campagne, nous sommes accueillis par l’équipe de l’entreprise Revigres. En sortant du bus, j’ai comme un coup de chaud. Je regarde mon téléphone. Non, ce n’est pas une impression, il fait bien 24 degrés. On vient de gagner dix degrés le temps du trajet. Sacré pays ! Pour autant, le déjeuner local – cochon de lait, légumes et frites maison – est un régal, même par cette chaleur.
Le déjeuner terminé, il faut encore une demi-heure de bus à travers un paysage immense pour atteindre l’usine Revigres, fondée en 1973 par un père et son fils. La visite est passionnante. Revigres a notamment travaillé sur la Cathédrale Sagrada Familia à Barcelone nous dit-on. Ici, des robots porteurs automatisés transportent des machines d’un bout à l’autre du hangar, là, les pièces de céramique encore humides sortent de la machine à découpe pour être séchées et solidifiées, ailleurs encore une nacelle servant aux tests antiglisse.
Explication : un ouvrier, attaché à un harnais, est debout sur la nacelle et marche le long de cette dernière. Lorsque l’ajout de matériau le fait glisser, il est aussitôt rattrapé par le harnais qui l’empêche de tomber. Ainsi, les ouvriers parviennent à connaître la bonne composition pour une tenue optimale de la pièce en céramique au sol.
C’est bruyant, c’est énergique, notre guide est enthousiaste, un très bon moment en somme. Un court film de présentation, quelques goodies de remerciement et nous voilà déjà en route pour l’hôtel. Nous dînerons dans un restaurant de spécialités de la mer dans le centre d’Aveiro, où amuses gueules, soupes et gratins de poissons sont servis avec un délicieux vin blanc sec.
Départ le lendemain pour Porto, la deuxième ville du Portugal. Au programme, la visite du Porto Cruise Terminal, livré en juillet 2015 par l’agence portugaise Luís Pedro Silva Arquitecto. Le bâtiment, entièrement recouvert de pièces en céramique dehors comme dedans, ressemble à un escargot. Mais combien de pièces en céramique peut-il y avoir ici ? « Environ un million », me répond Luís Pedro Silva l’architecte ! Un million de pièces, un puzzle géant !
Alors que notre équipe finit à l’extérieur le tour de l’édifice, soudain, une grosse bourrasque nous éparpille. La météo a encore changé et nous avons reperdu dix degrés. Décidément ! Le temps de nous expliquer que Porto possède un microclimat assez particulier et qu’il y pleut énormément que vlan ! s’abat sur nous une averse à en faire pâlir le Finistère tout entier. Heureusement que notre visite se poursuit à l’intérieur. Et c’est plutôt agréable que d’entendre la pluie s’abattre sur les plaques de verre qui ornent le terminal.
Bien à l’abri dans notre escargot, nous effectuons la visite du rez-de-chaussée (à 5 m au-dessus de la mer) jusqu’au dernier étage où une terrasse panoramique nous permet d’admirer (pas trop longtemps quand même, on a vite fait de finir trempés) au loin quelques surfeurs profitant de ce temps propice à la houle. Il paraît que les couchers de soleil sont fabuleux vus d’ici. Ce n’est pas aujourd’hui que nous aurons l’occasion de le vérifier.
En revanche, le terminal dispose de plusieurs salles destinées à la recherche des milieux marins et une centaine de coquillages venus des quatre coins du monde sont exposés. Un terminal maritime qui fait également office de centre de recherche, c’est aussi intéressant que logique. Attention toutefois à ne pas glisser dans les allées qui montent et descendent en spirale et je repense à l’ouvrier de Revigres dans son harnais testant les capacités antiglisse du matériau. Le temps d’arriver à l’hôtel, c’est une véritable tempête qui s’abat sur Porto. Visiblement, les gens ici sont habitués. Il n’y a qu’à les voir marcher tranquillement le long des trottoirs sous des trombes d’eau.
Un dîner gargantuesque dans un minuscule restaurant de spécialités portugaises conclut notre voyage. Quel accueil !
Depuis, rentré à Paris, il m’a suffi d’ouvrir les yeux pour constater tout l’intérêt et l’éventail des possibilités de la céramique. Dit autrement, Tintin est revenu moins sot qu’il l’était en partant.
Kyrill Kotikov