Transformer des milliers de bureaux vides et obsolètes en habitat, en voilà une idée qu’elle est bonne. Pour la martingale cependant, il faudra repasser. Pourtant, comme en témoigne sa visite le jeudi 16 mai 2019 à la Maison de l’architecture Ile-de-France, Julien Denormandie, ministre du logement, s’intéresse au sujet. Il a promis des nouvelles d’ici l’été.
La scène est surréaliste. Coorganisée par Paris-Ile de France Capitale Economique et la Maison de l’architecture Ile-de-France qui accueillait l’évènement, la présentation des lauréats du ‘Premier prix de la transformation de bureaux en logement’, qui a connu un succès d’estime, était de toute évidence terminée.
Certes Julien Denormandie, comme indiqué dans l’invitation, avait bien prévu de venir mais il avait été excusé tout au long de la soirée et là, pour le coup, ne restaient plus que quelques personnes s’apprêtant à quitter les lieux. Il n’y avait plus rien à manger, plus rien à boire, les serveurs finissaient de ranger les tables et indiquaient gentiment la sortie à tout le monde, histoire de ne pas rentrer trop tard à la maison.
Soudain, branle-bas de combat et, comme annoncé mais sans ni cavalcade ni roulement de tambour, le ministre est arrivé, quasiment seul sinon accompagné d’un aimable gorille. Il était près de 22h. Il fut accueilli par Damien Robert, directeur général délégué de Grand Paris aménagement. «J’avais dit que je viendrais», a simplement expliqué le ministre avant d’être dirigé à l’étage vers l’exposition des projets finalistes traitant justement de la transformation de bureaux en logement.
Disons-le, l’exposition ne casse pas trois pattes à un canard. Ce qui n’a pas empêché les jeunes architectes qui l’ont scénographiée (si l’on peut dire), ainsi que les étudiants du prix Coup de cœur, d’en profiter pour commenter le début de la présentation de l’expo au ministre, faisant durer leur quart d’heure de célébrité aussi longtemps que possible. Au moins les petits jeunes étaient encore là.
Jusqu’à ce que Pierre Paulot, directeur de la maîtrise d’ouvrage d’Immobilière 3F (I3F), ne reprenne le fil de l’exposé, s’attardant sans doute sur ses deux projets nommés, dont le lauréat, un immeuble transformé en 90 logements à Charenton-le-Pont par l’agence Moatti&Rivière. Il ne manqua pas cependant d’expliquer au ministre les freins de telles réalisations, insistant sur la notion «d’équilibre». En tout cas, le ministre a prêté attention aux projets comme si c’était La Joconde ; il n’y avait pourtant pas de caméras.
Damien Robert, le directeur général délégué de Grand Paris aménagement, avait plus tôt dans la soirée expliqué que le ministre du Logement lui a confié une «mission de mobilisation» sur ce sujet de la reconversion d’immeubles de bureaux pour «en identifier les points de blocage». Il a également confié durant son intervention que Julien Denormandie formulerait des propositions à ce sujet, «probablement avant l’été».
En tout cas, l’exposition décryptée par Pierre Paulot de I3F résumait pour le ministre toutes les contraintes liées à ce type de projets. S’il voulait des points de blocage, il a été servi.
Chacun sait que le nombre de bureaux inoccupés en Ile-de-France se compte en millions de m². Il y en aurait 4.5 millions, ce qui représente l’équivalent d’une barre d’immeuble vide de 32 km de long (largeur 20 m, hauteur, 7 étages) ont calculé Thomas Larnicol et Christopher Gares, les lauréats étudiants du prix Coup de cœur (ENSA Versailles). Comme l’Ile-de-France manque cruellement de logements, il suffirait donc de transformer tous ces bureaux vides en logements et le problème serait réglé !
Sauf que, comme en témoigne ce premier prix de la transformation de bureaux en logements, il faut se méfier des évidences et des mariées trop belles.
Seules 17 réalisations étaient en compétition, couvrant une période allant de 2014, pour les plus anciennes, à 2020 pour celles qui ne sont pas encore livrées. Autant dire qu’il n’y a pas pléthore de projets réalisés.
De bonnes raisons à cela. D’une part, il s’agit d’une première édition de ce prix et, d’autre part, le concept même de transformation de bureaux en logements, si des architectes en parlaient déjà il y a dix ans, demeure un concept encore récent – au sens où il est pris suffisamment au sérieux pour que des projets soient lancés – et il sera intéressant de faire le point dans quelques années quand les chantiers lancés aujourd’hui seront terminés.
En attendant, la liste des projets nommés est par définition éclectique. Dans ce type de reconversion, c’est le bâtiment qui impose le programme et non l’inverse. C’est une première difficulté et non la moindre. L’exemple le plus probant est le projet de Patrick Rubin (CANAL Architecture), très bien dessiné dans un ouvrage de Claude Parent, mais dont le programme, en regard de l’épaisseur du bâtiment, n’autorise que des micro-logements pour étudiants, jeunes travailleurs, artistes et co-workers. Personne ne mettra jamais dans ce bâtiment des appartements familiaux.
En effet, l’épaisseur des édifices est un critère déterminant et réduit drastiquement à lui seul le nombre des immeubles susceptibles d’être ainsi transformés. S’il n’y avait que ça ! Comme en ont témoigné tous les invités de la remise des prix, les freins vont bien au-delà du bâtiment existant et ne sont pas que techniques. Ils sont également financiers et politiques.
Financiers tant pour les investisseurs que les maires, car un bureau rapporte, un logement coûte. Pour les premiers, l’équilibre économique se révèle difficile à trouver, la raison pour laquelle la loi ELAN permet déjà aux investisseurs d’ajouter des m² pour y retrouver leurs petits. Pour les seconds, conserver un immeuble de bureaux, même vide et obsolète, c’est garder l’espoir qu’il se remplira et rapportera un jour, alors que le logement à un coût immédiat en termes d’équipement, de transport, d’équilibre électoral, la raison pour laquelle la loi ELAN autorise ces opérations à ne pas répondre aux obligations de logement social habituelles pour toute opération neuve (et faisons tous semblant de ne pas comprendre ce que cela signifie).
Les obstacles sont de tous ordres. Tous les opérateurs et architectes présents ce soir-là estiment par exemple qu’une simple déclaration de travaux devrait suffire pour faire avancer le projet. Tant qu’il faudra un permis de construire, sachant qu’il est de la compétence du maire… CQFD
Qui plus est, pour ce qui concerne le logement social, comment dans ce cadre de la transformation et du changement d’usage rentrer dans les critères immuables des dimensions ‘sociales’ normées pour que les OPHLM puissent louer ces nouveaux appartements quand ils sont en l’occurrence par définition souvent tous différents ?
Notons à cet égard que les OPHLM savent louer des appartements de plus en plus petits mais qu’ils ne savent pas comment louer un logement plus grand que la norme, même proposé par un architecte et/ou un groupement qui s’engage à le construire au même prix qu’un plus petit. Ce n’est plus de la rigidité administrative, c’est une sciatique !
Dans le domaine de la transformation, si la crise du logement est aussi une crise sociale, c’est peut-être du côté des règles de gouvernance qu’il faut donc chercher une amélioration. Sans changement, l’appartement ‘public’ continuera de faire 63m², celui en accession 73m² et, pour transformer des bureaux vides en logements pleins, il faudra encore que les bâtiments existants s’adaptent aux règles du droit français contemporain et non l’inverse ! Comme si les architectes étaient des magiciens !
En attendant les éventuels bienfaits de la loi Elan à ce sujet, en vingt ans, à peine 45 000 m² de bureaux ont été transformés en appartements en Ile-de-France, soit à peu près 350 logements par an. Une misère, et pas de quoi répondre à la crise du logement dans la région.
Une cause perdue ?
Pas tout à fait car une telle transformation des ouvrages coche beaucoup de cases vertueuses. Déjà, le temps de l’opération est réduit car les recours sont rares. Difficile d’aller se plaindre d’un bâtiment qui est déjà là, parfois depuis longtemps ! Cela n’a l’air de rien, mais c’est un ou deux ans de gagnés ! Et le temps c’est de l’argent !
Par ailleurs, comme il n’y a pas de démolition et un ballet incessant de camions, les nuisances pour le quartier sont réduites.
Enfin, la logique d’un développement raisonné et durable est imparable : il vaut mieux reconvertir que démolir. De fait, un dernier enseignement de cet évènement est que les investisseurs et promoteurs présents ce soir-là sont prêts à explorer le sujet. Ne serait-ce que parce qu’ils disposent sans doute d’un vaste patrimoine de bureaux obsolètes dont ils ne savent que faire.
Le gouvernement s’est fixé à travers la Loi Élan de transformer en région parisienne 500 000 m² de bureaux en logements d’ici 2022. La remise de ce premier prix consacré à ces transformations illustre s’il en était besoin la difficulté et le potentiel de ce projet.
Au moins, puisque d’évidence le sujet l’intéresse, à l’issue de son déplacement, nonobstant l’heure tardive, le ministre ne pourra plus dire qu’il ne savait pas. Il aura aussi compris que les architectes savent faire, avec plus ou moins de réussite certes à la vue des huit nommés, mais dans le cadre des contraintes techniques citées plus haut, ils sauront transformer autant que possible de bâtiments de bureaux en logements.
De fait, Thomas Larnicol & Christopher Gares, les deux étudiants, ont eu largement plus d’un quart d’heure pour présenter au ministre leur astucieuse solution d’ameublement pour occuper des bureaux vides de façon temporaire, un design qui leur valut le Coup de cœur du jury. Une solution qui dans l’urgence, et en attendant, répond aux objectifs exprimés.
Le ministre parti, il y avait de nouveau à manger et boire et les derniers convives étaient vraiment contents d’être restés. Magie de la République sans doute !
Julien de Normandie a donc prévu des annonces à ce sujet «avant l’été». La balle est dans son camp.
Christophe Leray