
Faudra-t-il pour les visiteurs de la prochaine entrée est du Louvre s’essuyer les pieds sur les reliques et autres artefacts royaux ? Les trésors inaliénables des Français peuvent-ils être impunément piétinés pour cause d’hubris présidentiel et ministériel ? Voire…
Alors que le programme, tel qu’il a été publié officiellement le 27 juin 2025, commande la création d’une nouvelle entrée à l’est du palais, sous la Colonnade de Perrault, proche de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois, depuis quelques semaines des voix s’élèvent pour proposer une alternative. De fait, l’évidence d’une nouvelle entrée du Louvre à l’ouest, par le Jardin des Tuileries, se fait si impérieuse qu’une pétition a été lancée en faveur de ce projet.* Qui plus est, de nouveaux arguments en sa faveur se font plus pressants encore, notamment pour ce qui concerne l’archéologie du projet.
Revenons rapidement sur les éléments en faveur d’une entrée à l’ouest.
Un axe historique et symbolique : l’entrée ouest s’inscrit dans l’axe royal : Louvre – jardin des Tuileries – place de la Concorde – avenue des Champs-Élysées – Arc de Triomphe – La Défense. Depuis la disparition du palais des Tuileries, cette perspective est ouverte et majestueuse, et mérite d’être pleinement intégrée dans le parcours d’entrée du musée.
Une orientation naturelle et lumineuse : une entrée à l’ouest permet une progression douce et naturelle depuis le jardin, éclairée par la lumière du couchant. Cette disposition favorise une expérience sensorielle et symbolique forte, en phase avec l’idée de passage, de découverte, d’élévation.
Des avantages pratiques : le jardin des Tuileries constitue déjà un espace d’attente agréable et ventilé, capable d’absorber une part du flux touristique, tout en fluidifiant l’accès. Une entrée à l’Ouest éviterait de saturer les abords déjà étroits et contraints de l’église Saint-Germain-l’Auxerrois.
Un appel à la pluralité des visions architecturales : le concours international ne doit pas imposer un point de vue unique. Laisser ouverte l’option ouest c’est garantir la liberté de création et enrichir le débat architectural.
Sans parler du fait que la structure de la Colonnade est classée et fragile : un chantier souterrain à cet endroit est risqué et contraire à l’éthique patrimoniale, surtout si c’est pour installer des escalators pour que les touristes puissent descendre et remonter des fossés, comme dans le métro. En tout état de cause, s’ils n’en deviennent pas inopérants, ces travaux seront extrêmement délicats et largement au-dessus du budget indiqué par le Louvre maître d’ouvrage.**
Surtout, comme évoqué plus haut, des contraintes patrimoniales pèsent à l’est. En effet, le sous-sol de la Cour Carrée en arrière de la Colonnade de Perrault est riche en vestiges archéologiques, un fait connu au moins depuis les années ‘80 et les travaux de la pyramide. Déjà à l’époque, Michel Fleury et Venceslas Krutales conservateurs en charge d’en apprécier la richesse, se plaignaient de n’avoir pas assez de temps et de couvrir une surface trop petite et pas assez profonde pour offrir un compte rendu exact de la richesse du sous-sol que, en regard de leurs découvertes, ils estimaient formidable. Ainsi, notent-ils, « la présence de nombreux noyaux de dattes témoigne-t-elle du caractère exceptionnel du site ».*** Diable, Le Louvre déjà grand remplacé ?

Or, comme le relève Le Canard enchaîné (9/07/2025), Laurence des Cars, présidente de l’établissement public, ne serait pas malheureuse de lancer les travaux dès que possible, Macron Président ayant annoncé une ouverture en 2031. « Pour se débarrasser du problème, [Laurence des Cars] peut – en théorie du moins – tenter de passer en force en demandant à la ministre de la Culture, Rachida Dati de prescrire la moindre fouille archéologique […] tout en limitant le périmètre et la durée des recherches », souligne l’hebdomadaire.
Passage en force ? Pas vraiment ! Voyons donc ce qu’elle en pense Rachida Dati des fouilles archéologiques préventives… C’est elle qui, lors d’une visite au château de Dampierre-en-Yvelines en avril 2024 annonçait, citée par Le Parisien (23/04/2024), l’instauration d’une « nouvelle législation, bientôt adaptée au bâti ancien, qui permettra de simplifier le protocole, d’adapter les normes ». Vous avez dit simplification ? La ministre d’expliciter sa pensée : « je défends les architectes des Bâtiments de France. Ils sont nos protecteurs contre la France moche et je les compare parfois aux inspecteurs des impôts. Mais en matière de fouilles préventives, il y a toujours des dérogations possibles ». Alors évidemment…
Toujours aimable, la ministre a conclu sa tirade en précisant : « Il ne faut pas faire des fouilles pour se faire plaisir… Je préfère mettre de l’argent dans la restauration du patrimoine plutôt que de creuser un trou pour creuser un trou ». Des petits trous, toujours des petits trous comme disait l’autre… Les archéologues, serviteurs de l’État et de l’intérêt général, n’ont guère apprécié la pommade à l’urticant. Les architectes savent…
Laurence des Cars maître d’ouvrage n’a donc pas trop de bile à se faire quant à la diligence de Rachida Dati, et comme la ministre de la Culture est une obligée du président, il y a de grandes chances que ces recherches archéologiques soient réalisées sous contraintes express et que les découvertes, aussi importantes soient-elles pour l’histoire, prennent le chemin du Jubé de Notre-Dame : loin des yeux, loin du cœur.****
Bref, en la prévisible occurrence, pour la caverne aux trésors, « c’est Sésame, ferme-toi » et sans doute bientôt, à tous les détracteurs, « fermez-la »
Rachida Dati et Macron Président n’ont peut-être pas le temps pour eux mais le Louvre et la France, forts de leur histoire séculaire, ont celui d’attendre que les recherches de nos trésors inaliénables soient effectuées dans les règles de l’art avec tout le temps nécessaire à expertiser l’histoire de la France, jusque dans ses souches les plus profondes. Pourquoi tant d’empressement intéressé ?
Ce qui, l’un n’empêchant pas l’autre, puisqu’une nouvelle entrée est objectivement nécessaire, nous ramène à une entrée ouest pour le Louvre en pleine terre. En effet, si les pouvoirs en place portent autant de considération au Musée du Louvre et aux Français qu’ils en portent à l’archéologie et à la science, il est fort à craindre que le projet carrément à l’Est ne soit à son tour réalisé à l’emporte-pièce.
Christophe Leray
*Pour découvrir et signer la pétition POUR UNE ENTRÉE OUEST AU MUSÉE DU LOUVRE
**Lire notre édito Le Louvre, concours international : à 135 boules, c’est cadeau !
***Pour avoir une idée de la richesse de se qui se cache sous la Cour Carrée, lire les passionnants Premiers résultats des fouilles de la Cour carrée du Louvre, Michel Fleury et Venceslas Kruta In « Comptes rendus des séances de l’Académie des Inscriptions et Belles-Lettres », 129ᵉ année, N. 4, 1985. pp. 649-672;
**** Lire la chronique De l’art de découvrir les choses à moitié : le jubé de Notre-Dame de Paris