La culture populaire voit dans la maison individuelle une occasion de se rapprocher de la nature. Pourquoi ne pas lui donner raison ? Chronique de l’intensité dans les campagnes.
Le paradoxe est que l’agriculture dite intensive ne l’est pas. Elle produit beaucoup, mais le bilan doit intégrer les intrants et comptabiliser les autres valeurs que les quintaux ou les hectos, notamment le paysage, la régulation du régime des eaux, le stockage du CO², la richesse de la biodiversité. Liste non exhaustive. Si les comptes sont bien faits, l’agroécologie est bien plus intense.
Prolongeons la réflexion, peut-on rendre les campagnes intenses ?
La campagne a la vie dure. Depuis des années, il est de bon ton d’en annoncer la fin, l’avenir étant dans les villes, l’exode rural l’ayant vidée de sa substance au profit des centres urbains. Les agriculteurs, autrefois part dominante de la population française, ont vu leurs effectifs s’effondrer. Les hypermarchés ont sonné le glas des petits commerces dans les villages, qui ont dû fermer leurs écoles et vu s’effriter les services publics, notamment sanitaires.
Sombre tableau, auquel il faut ajouter le vieillissement de la population et l’évolution d’une agriculture de plus en plus déterritorialisée, pour ses approvisionnements comme pour ses débouchés. Tristes campagnes, pourrait-on croire.
Malgré tout, les campagnes résistent. Il y a bien des régions où la désertification persiste, avec ce que l’on appelle la diagonale du vide, mais globalement, la population des communes rurales s’accroît depuis une trentaine d’années. Dans de nombreux « pays », les habitants se sont pris en main, ont apporté un réel dynamisme et ont fait naître des espoirs.
Le mouvement démographique vers les campagnes est amorcé. La vigueur du mouvement associatif en milieu rural en témoigne. Il y a bien sûr des retraités, qui s’y installent pour leurs vieux jours, mais aussi des jeunes : un tiers des agriculteurs qui s’installent aujourd’hui sont des nouveaux venus, pour ne prendre que cet exemple.
Le problème serait alors la maison individuelle, « un non-sens écologique » selon la ministre du Logement Emmanuelle Wargon. Souvent attaquée par les défenseurs de l’environnement, ’elle est pourtant plébiscitée par les Français. Comment rendre cette demande compatible avec la transition écologique, voire en faire un outil de cette transition ? Comme faire AVEC le plus possible, CONTRE le moins possible, pour reprendre une formule du paysagiste Gilles Clément.
La maison individuelle présente des défauts, mais aussi des qualités, et son rejet a priori empêche de voir comment réduire les défauts et valoriser les qualités. Peut-on construire des maisons individuelles bonnes pour l’environnement ?
Rappelons au départ que les premières maisons à énergie positive étaient des maisons individuelles, de même que les maisons biosourcées, faites de bois, de terre ou de paille.
La maison individuelle a deux défauts. Elle consomme de l’espace et elle consomme plus d’énergie qu’un appartement. Elle a aussi des qualités propres, si elle est comparée avec des immeubles d’habitat collectif. Elle offre plus de facilités pour infiltrer les eaux pluviales, voire les récupérer pour des usages tel que l’arrosage, les chasses d’eau ou les machines à laver. Elle permet de recycler les déchets organiques, réduisant ainsi le besoin de collecte et de traitement des déchets, et ouvrant la possibilité d’une valorisation immédiate et sur place. Une production alimentaire personnelle est une option sociale autant qu’écologique pour le jardin. La végétation est une réponse aux ilôts de chaleur, et offre un dispositif naturel de climatisation.
Malgré le mot « individuelle », la maison et son jardin sont propices à de nombreux échanges entre voisins. Jardinage et, bricolage sont les deux mamelles des relations sociales. Le jardin lui-même est une approche de la nature.
Bien sûr, ces qualités sont virtuelles, il s’agit de les concrétiser. Entre deux jardins, l’un pour le prestige, avec un gazon toujours vert, arrosé tout l’été et gorgé de nitrates, délesté de toutes les « mauvaises herbes » et autres traces de la vie sauvage, et un potager cultivé en permaculture pour un usage direct, il n’y a pas grand-chose de commun. Les défauts peuvent être atténués, voire éliminés, et les qualités renforcées : surfaces non bâties favorables à la biodiversité, à l’infiltration des eaux, à l’utilisation sur place d’un compost, au meilleur circuit court qu’est l’autoproduction, et à bien d’autres choses encore ; surface de toits et murs transformées en minicentrales de production d’énergie.
Les techniques modernes d’isolation permettent d’atteindre des performances énergétiques de haut niveau. Les plans d’urbanisme sont désormais conçus pour réduire les distances et favoriser l’usage des modes doux de déplacement, en premier lieu la marche. C’est une culture de la maison individuelle « écolo » qui peut se développer, à condition de ne pas la condamner sans procès.
Il faut partir des envies et donner un mode d’emploi, plutôt que contrer les envies au risque de l’incompréhension entre les spécialistes de l’environnement et les citoyens « ordinaires », attachés à un modèle d’habitat mais qui voudraient bien faire pour peu qu’ils soient guidés. La culture populaire voit d’ailleurs dans la maison individuelle une occasion de se rapprocher de la nature. Pourquoi pas lui donner raison ?
Les politiques venues d’en haut sont perçues comme des contraintes et les usagers tentent de les minimiser ou de les contourner. L’adhésion, si nécessaire pour la conception d’un projet et sa vie au cours des années, n’est pas au rendez-vous. Préférons les politiques basées sur les envies. Le ménage qui rêve de sa maison n’est peut-être pas conforme au dogme environnemental mais c’est son choix et il n’est pas impossible de l’infléchir, de faire en sorte que son projet soit bon pour l’environnement.
Il s’agit alors de faire évoluer le modèle de référence. Ceux des élus, maîtres des plans d’urbanisme, ceux des candidats à l’achat d’une maison, ceux des constructeurs, des financeurs et autres professionnels de l’habitat, ceux des administrations. Les élus ruraux, par exemple, voient souvent les grandes parcelles comme des gages de bonne politique environnementale, alors qu’elles provoquent mécaniquement une forme d’étalement.
Cette évolution des modèles, d’ordre culturel, ne s’obtient pas à coups de prescriptions, qui apparaissent souvent comme des injonctions. On n’attrape pas les mouches avec du vinaigre dit la sagesse populaire. Il s’agit d’entrer dans les modes de penser, de les comprendre et de les accepter, pour pouvoir les enrichir, y ouvrir des perspectives attractives, y introduire des préoccupations nouvelles. Un travail de longue haleine, à conduire avec détermination, mais sans lequel les modèles anciens resteront dominants.
Le renouveau de la ruralité est-il durable ? Ne va-t-il pas accentuer les mauvais points sur la biodiversité et l’effet de serre ? Le risque existe mais lutter frontalement contre un phénomène inéluctable est voué à l’échec. Il faut l’accompagner, le piloter. L’aménagement du territoire, grand oublié de la Convention citoyenne pour le climat, et la recherche d’un équilibre économique et social entre les métropoles, le tissu des villes, petites et moyennes, et les campagnes, en sont des leviers pour faire émerger les nouveaux modes de vie, de produire et de consommer.
Dominique Bidou
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