Quel lien entre archéologie et architecture contemporaine ? Quelle mémoire dans un bâtiment neuf ? La photographe d’architecture Erieta Attali répond à la curiosité de l’architecte Marc Mimram avec qui elle collabore régulièrement. Chroniques-photos.
Le lien dans mon travail entre photographie d’architecture et archéologie est plutôt personnel. Cela a plus à voir avec les expériences qui peuvent façonner la vision esthétique d’une personne, et moins avec un cadre théorique sous-jacent conscient. Un cadre existe bien sûr toujours, tout comme une manière particulière d’appréhender les structures et la matérialité des surfaces qui découle directement des compétences acquises grâce à la recherche archéologique.
Fouiller le présent
L’échelle de la photographie archéologique varie du petit objet à la fresque souterraine, en passant par la documentation complète du site de fouilles. Si le petit format a développé mes qualités d’observation matérielle, c’est au cours de ma longue implication dans ce dernier type de projet photographique que j’ai constitué un vocabulaire visuel ; celui qui lit les structures comme des éléments d’un site ou d’un paysage.
Plusieurs années passées à explorer l’architecture « fouillée » autour du monde méditerranéen m’ont apporté une compréhension unique de ce lien réciproque ; une connaissance qui est finalement devenue une base et un pont facilitant mon passage de la photographie de paysage à la photographie d’architecture.
Marc Mimram – Comment êtes-vous passé de la petite échelle archéologique aux paysages ?
Erieta Attali – Les fragments archéologiques sont en effet des restes d’objets et de bâtiments du quotidien, dispersés sur le site mais fortement liés les uns aux autres. Cela fait partie du processus archéologique d’essayer de comprendre l’image complète que décrivent ces vestiges, et cela se fait en révélant leur relation avec le contexte. Par conséquent, mon travail a commencé sur des sites archéologiques entiers où le tissu de liaison entre les fragments d’architecture érodés était le paysage lui-même. J’ai donc dû photographier également le paysage ; c’était inévitable.
Je me souviens d’une de mes commandes les plus importantes portant sur l’ensemble d’un chantier de fouilles : c’était à Knossos, en Crète. Il revêt également une importance particulière pour moi en raison du ‘timing’ de ce projet puisqu’il eut lieu immédiatement après mon premier séjour de cinq mois au Japon, où j’ai couvert l’architecture contemporaine en verre à travers le pays.
Du verre dans un cadre très avant-gardiste à un palais en pierre vieux de plus de trois mille ans, le contraste était très intriguant et remettait en question tout mon outil conceptuel en tant que photographe. Tous deux étaient des paysages avec des fragments d’architecture mais dans des manifestations radicalement différentes.
L’archéologie parle évidemment de mémoire mais vous évoquez également la mémoire au travers de votre travail contemporain…
Oui, la mémoire opère à différentes échelles, et c’est aussi quelque chose que j’ai perçu pour la première fois au Japon et à Knossos il y a vingt ans. Je me suis retrouvé à passer d’une architecture de verre presque abstraite située dans des paysages japonais à un site archéologique actif où j’ai méticuleusement photographié mur par mur, millimètre par millimètre, chaque petite trace avec une précision scientifique. Il s’agissait de deux manières très différentes d’aborder les structures créées par l’homme et de considérer les souvenirs qui y sont codés.
D’une part, vous avez des couches de verre dont les reflets compressent le paysage et l’architecture en un seul ensemble ; ils les rassemblent et créent ce récit de contenu et de contexte entrelacés. D’un autre côté, il existe de véritables couches de matériaux, solidifiées les unes sur les autres après des siècles passés sous terre ; un récit archéologique, presque un journal de ces transitions, s’écrit dans les textures des murs en croûte.
C’est ce que je veux dire. Il y a de la mémoire en archéologie, et vous avez commencé par cela, mais peut-être êtes-vous plus intéressée par la mémoire dans l’architecture contemporaine parce que vous avez déjà travaillé avec les yeux de l’archéologie…
Peut-être, mais la mémoire est une partie indissociable de l’expérience de l’architecture, quelle que soit son époque. Lorsque j’ai photographié un pavillon de verre de Kengo Kuma à New Canaan, dans le Connecticut, je l’ai fait en l’espace de deux ans et au fil des saisons. La transition des saisons, et la façon dont elle impacte l’expérience de l’espace, est liée à l’idée que l’espace inscrit continuellement des souvenirs sur lui-même grâce à l’interaction avec le contexte.
L’espace est une expérience à plusieurs niveaux : il représente bien plus que l’apparence d’un bâtiment ou son image. Il existe un équilibre fragile entre la structure, l’environnement naturel et les phénomènes lumineux et météorologiques toujours changeants.
Marc Mimram – La fragilité, c’est ce dont il s’agit : la fragilité qu’on perçoit en regardant la Terre, les paysages. C’est ce que j’essaie de faire : négocier cet équilibre fragile. Et il y a ce mot que je n’utilise jamais mais qui me revient sans cesse, c’est « intégration ». Beaucoup de gens me demandent si je pourrais ou voudrais intégrer mon projet dans le paysage. Je réponds toujours : comment intégrer un pont au milieu d’une vallée ?
Imaginez jeter un pont, de flanc de colline à flanc de colline : il s’agit d’un acte de violence envers le paysage et tout ce à quoi nous pouvons aspirer est d’essayer de créer un dialogue avec le paysage. C’est un exercice d’équilibre. Erieta, vous comprenez cela, vous partez donc de l’éphémère du paysage et explorez l’interface avec les constructions, avec l’architecture et son image. Et en parlant d’image, je pense que cela renvoie aussi à la notion de style architectural.
Erieta Attali
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*Extrait d’un dialogue coécrit par Marc Mimram et Erieta Attali dans le cadre de la monographie en trois volumes : Marc Mimram: Structure | Light, Landscapes of Gravity Through the Lens of Erieta Attali. Publié par Hatje Cantz, Berlin (2019).