Il y a parfois des communiqués de presse qui laissent songeur. Alors que le 27 avril 2020, Le Monde, Le Journal du Dimanche et Les Echos expliquaient concomitamment le nouveau désir des Français pour une maison individuelle, Val de Saône Bâtiment, « constructeur de maisons personnalisées » à Charnay-lès-Mâcon (Saône-et-Loire), annonçait dès le lendemain à la presse spécialisée la création d’une maison ‘ultra contemporaine’ (sic).
Ce nouveau concept de maison est traduit dans un communiqué succinct, les images devant se suffire à elles-mêmes sans doute.
Des lignes épurées, des larges ouvertures et une prouesse technique (c’est le titre)
« Au cœur du Mâconnais, dans un écrin de verdure, cette maison ultra contemporaine contraste par ses lignes très épurées et s’insère parfaitement dans le paysage. On découvre, derrière des murs de clôture en pierres dorées, une maison aux lignes élancées, aux volumes cubiques avec 2 étages superposés en porte-à-faux, et aux façades totalement vitrées. A l’intérieur, une décoration élégante et chaleureuse, une lumière éclatante, des volumes généreux où l’intérieur et l’extérieur se confondent grâce aux baies vitrées toute hauteur ».
Caractéristiques de cette maison ‘ultra contemporaine’ : environ 290 m² de surface habitable. Cinq chambres, salle d’eau dans chaque chambre, dont une suite parentale au rez-de-chaussée avec salle de bains et dressing.
Conception bioclimatique : forme compacte de la maison ; orientation plein sud, peu d’ouvertures et espaces tampons au nord ; pièces à vivre au sud ; baies vitrées toute hauteur sur toute la façade sud afin de capter au maximum la chaleur et la lumière naturelle (chaleur passive), débord de toiture calculé pour éviter la surchauffe en été et laisser pénétrer le soleil en hiver pour une chaleur passive.
Structure : Béton + isolation intérieure.
Toiture : Toiture-terrasse entièrement végétalisée.
Menuiseries : Aluminium, double vitrage 8 / 16 / 4 mm remplissage Argon, faible émissivité, rupteurs de ponts thermiques.
Chauffage : aérothermie (PAC) air/eau Daikin, chauffage au sol, production d’eau chaude sanitaire intégré système de chauffage principal de la maison.
Ventilation : double flux.
Formidable la maison ultra contemporaine, n’est-ce pas ? Historique même puisque cette maison était déjà contemporaine il y a 70 ou 80 ans, et encore Mies van der Rohe en faisait de plus contemporaines encore déjà à l’époque.
Les maisons de la société Val de Saône Bâtiment sont habituellement de trois types : Traditionnelle, En bois, Contemporaine. C’est dire si cette maison ‘Ultra contemporaine’ a dû être toute une aventure pour ce constructeur, évènement qui mérite d’ailleurs d’en informer les magazines spécialisés.
Mais bon, quitte à vouloir faire le fier chez les architectes, pourquoi en ce cas ne pas citer l’auteur de cette maison ultra contemporaine ? Le communiqué annonce pourtant 290m² de surface habitable. Impossible sans architecte. L’un d’eux a forcément « signé » la demande de Permis de Construire (PC) mais ce constructeur de maisons ‘ultra contemporaines’ en a oublié le nom ?
Il y aurait donc encore une forme de tolérance – large la tolérance – pour les signatures de complaisance ? Le phénomène n’a certes rien de nouveau. Depuis octobre 2018 par exemple, le CROA des Hauts-de-France a, parmi d’autres initiatives régionales, mis en place une veille des articles de presse portant sur des projets d’architecture et pour lesquels le nom de l’architecte n’apparaît pas, rappelant, pour mémoire, que l’article L. 112-2 du Code de Propriété Intellectuelle considère « les oeuvres […] d’architecture, […] les plans, croquis et ouvrages plastiques relatifs à […] l’architecture » comme des œuvres de l’esprit.
Des 2015, mettant en exergue l’article 5 du Code des devoirs professionnels des architectes – « Un architecte qui n’a pas participé à l’élaboration d’un projet ne peut en aucun cas y apposer sa signature, ni prétendre à une rémunération à ce titre ; la signature de complaisance est interdite » – les CROA de Lorraine, Champagne Ardennes, Corse et Bretagne tentaient déjà d’organiser la lutte.
Vainement semble-t-il. Encore en janvier 2020, il y a quelques mois à peine, ce titre dans Le Télégramme : Les signatures de complaisance d’architectes dans le collimateur. L’un d’eux apparemment en signait plus de 150 dans l’année. Il paraît même que le CROA-Occitanie en aurait « chopé » un qui faisait près de 400 signatures de complaisance par an ! Plus d’une par jour, Noël et 14 juillet compris, et tout seul !!! Une production industrielle de la complaisance !
De fait, les constructeurs de maisons individuelles – traditionnelles, en bois, contemporaines, voire ‘ultra contemporaines’ – n’ont pas l’air terrorisés comme ce communiqué de Val de Saône Bâtiment en témoigne. Et si leur architecte se fait choper, à ce tarif-là, ils doivent pouvoir en trouver un autre assez facilement.
Et quand l’architecte se fait « choper » ? « Les nombreuses signatures de complaisance occupent une bonne partie des Commissions des Litiges et Pratiques Professionnelles », explique un architecte faisant partie de ces commissions en Occitanie. « Mais, après notre instruction de l’affaire, nous ne pouvons que présenter une demande composée d’un magistrat et de deux architectes et les sanctions réellement infligées sont très faibles. Par exemple, trois mois de suspension du Tableau… avec sursis ! Pffff… », dit-il.
C’est aussi comme ça que naissent ces zones de maisons – traditionnelles, en bois, contemporaines – qui pour le même prix nappent de vulgarité des pans entiers du pays. Dans le monde post-covid, puisque la pandémie donne des envies de maison aux Français, qui en construisent déjà 200 000 par an, pourquoi pas alors, par exemple, imposer le recours obligatoire à un architecte pour une maison au-delà de 150m² ?
Mais bon, c’est juste une idée.
Christophe Leray