La ville sans voiture ? Il faut se faire une raison : il a fallu cent ans au MONDE ENTIER pour s’adapter à la voiture, il en faudra autant pour que la planète se désintoxique de la bagnole. D’ici-là, il est cependant permis d’envisager un autre urbanisme que celui des ZAC avec leurs immeubles en plots et leurs rues de 15 m de large.
Le problème de l’automne est qu’il fait facilement oublier les canicules de l’été. L’humanité est ainsi faite qu’elle passe à autre chose sans y penser plus. C’est pourtant justement quand il fait frais qu’il faut anticiper sur les coups de chaleur non seulement de l’été prochain mais de tous les étés prochains puisque nous les savons inéluctables. Acheter plus de parasols n’y suffira pas.
Durant ces quatre canicules de 2022 – on commence à compter les vagues caniculaires comme les vagues du Covid et il faudra bientôt leur donner un nom, comme aux tempêtes tropicales – bref, cet été, il n’aura échappé à personne qu’il faisait meilleur dans les anciens quartiers médiévaux des villages ou des villes que dans les ZAC sans âmes qui pullulent dans le pays. Dit autrement, il faisait à Paris bien meilleur dans le Marais que sur les 40 m de large de l’avenue de France, et cela vaut à peu près partout.
Certes ces quartiers médiévaux, quasi toujours centraux, ont été bâtis de telle sorte pour tout un tas de raisons qui n’ont plus cours aujourd’hui mais qui, à l’heure d’un brutal réchauffement planétaire, se révèlent d’une grande efficacité écologique. Quel est le bilan carbone du centre médiéval d’Angers, de l’écusson de Montpellier ou du village d’Hautpoul dans le Tarn ? Ils ont en commun un accès compliqué à la voiture.
Les qualités de cet urbanisme sont connues : Venise pour simplifier. De plus, nombre de centres-villes disposent depuis longtemps de quartiers piétonniers et commerçants ayant fait florès. Pour l’essentiel, il s’agit de quartiers peu propices à la circulation automobile, voire sans voiture, mais comme ils sont en ville, ils sont habituellement bien desservis par les transports en commun. Question : ces qualités de confort peuvent-elles se retrouver dans des quartiers similaires mais contemporains et hors la ville-centre ? Il semble en effet que, malgré la voiture indispensable, un autre urbanisme est possible
Trois références (liste non exhaustive bien sûr mais j’ai visité ces trois projets-là). La première est l’écoquartier conçu par l’agence Philippon-Kalt sur L’Ile-Saint-Denis (Seine-Saint-Denis)* où des ruelles et venelles desservent un entrelacs de typologies de logements, au sein de petites unités qui forment ensemble une sorte de ‘village’ comme on s’attend justement à en trouver sur les îles où l’urbanisme était bâti en fonction des éléments naturels : l’eau, le vent, le rivage, la nature. Ces ruelles et venelles rendent familier chacun de ces villages ou de ces quartiers dès qu’on y pose le pied.
« Un élément important est l’axe du quartier et les percées visuelles qui vont permettre une ventilation traversante », souligne Brigitte Philippon. L’Ile-Saint-Denis reprend ces principes. Le fait d’avoir relégué les voitures dans des centrales de mobilités (CDM) – ouvertes à tous, elles sont espacées tous les 300 m, les gens n’ayant jamais plus de 150 m au maximum pour arriver chez eux – a permis la création de voies très peu larges et de divers espaces publics. Une échelle plus étroite, et donc plus d’ombre, et de la végétation à profusion, il y faisait bon cet été.
« La voiture impose de penser large, de différencier les zones accessibles aux véhicules, aux piétons, aux cyclistes. Sur l’écoquartier, le ratio initial de 1,2 a été ramené à 0,7 places par logement dans le PLUI afin de tenir compte de la mutualisation liée à la programmation mixte du quartier. Enlever l’automobile, c’est aussi un vrai gain en termes d’environnement puisque cela nous a permis d’avoir près de 45% de la superficie du quartier en espaces verts de pleine terre. La rue principale fait 10 m de large, c’est-à-dire une rue peu large pour un nouveau quartier avec pourtant une densité importante. La seule contrainte est l’intimité des logements mais rien n’interdit de s’adapter astucieusement et, dans une ruelle de 6 m, ces détails sont réfléchis en amont », indique Brigitte Philippon. Le modèle n’est donc pas lié à la seule insularité, il peut être dupliqué ailleurs.
Les principes élaborés par Philippon-Kalt sur l’Ile-Saint-Denis n’ont rien de radical. L’occasion de remonter encore plus loin dans le temps avec le quartier Joseph Suey signé A+Architecture à Baillargues (Hérault).** Ou comment insérer un nouveau quartier de 2,4 hectares, aussi grand que le cœur historique de la ville. Au départ, une cave coopérative, un terrain de football, une rue qui les sépare, aujourd’hui un quartier cohérent constitué de 213 logements : villas, maisons en bande et petits collectifs.
Livré en 2015, le projet a été conçu bien avant les préoccupations écologiques actuelles. « Pour nous, c’était une occasion de se confronter à un centre ancien », explique Philippe Bonon, associé de A+Architecture. « Les concurrents ayant présenté un projet de ZAC moderniste, décalée par rapport au village, n’ont pas été retenus et c’est notre projet, radicalement différent, qui a gagné », dit-il.
L’idée était déjà celle d’un quartier où les voitures étaient en sous-sol ou reportées sur les extérieurs afin de garder un cœur d’îlot parfaitement planté et à l’échelle du piéton, soit exactement l’inverse de ce qui était attendu. A l’arrivée, une architecture modeste avec des jardins privés, des ruelles piétonnes de 3 m de large qui, dotées d’une bande roulante, ressemblent à des chemins vicinaux enherbés. « Nous avions un programme avec plein de petites maisons, comme dans son village. C’était alors un projet assez utopique mais le maire n’y a rien changé », raconte Philippe Bonon. Il n’empêche, la végétation ayant poussé, il y faisait bon cet été.
De fait, comme sur L’Ile-Saint-Denis, les voitures ne sont pas bannies, elles sont gérées de la même façon que les gondoles à Venise que l’on ne gare pas juste devant chez soi. En témoigne enfin un projet plus récent (2017) de la même agence à Castelnau (Hérault).
Il s’agit au départ d’un concours classique (logement social, logement en accession et résidence pour personnes âgées) mais sur un terrain de 4,7 ha, une ancienne carrière, un site rare. Au dernier moment, après les rendus de concours, le maire décide d’inclure dans le programme 50 logements en primo-accession afin de répondre à une levée de boucliers de la part des propriétaires habitant en covisibilité qui ne voulaient pas d’un immeuble gâchant le paysage. Du coup, en fond de carrière, impossible de monter au-dessus de R+2 ou R+3. « Nous avons changé le dessin, nous nous sommes élevés dans la première partie du programme, articulée autour d’une voie unique et sans cul-de-sac, et derrière, sur une toute petite surface, nous avons construit les 50 villas pour un petit morceau de ville piétonnier et sans voiture », relate l’architecte.
De découvrir, lors de la visite en mars 2022, un mini quartier parfaitement arboré et constitué, au fil des venelles et des vues, de maisons engoncées dans la végétation luxuriante avec pour écrin sur trois côtés les parois de la carrière. Une sorte de village vacances mais pour de vraies gens dans la vraie vie. A tel point qu’il a fallu aux visiteurs – l’architecte, le journaliste et le photographe – montrer patte blanche à quelques mamans prenant le soleil avec un œil sur des enfants jouant dehors sur la placette publique ouvrant sur le quartier. « Interdit de prendre les enfants en photos », nous prévinrent-elles comme des tigresses soudain en alerte. « Oui mesdames, et nous prenons les patins ».
Dans les quartiers de ce type, le sentiment d’appartenance et d’appropriation est inévitable. Les architectes de ces projets font d’ailleurs valoir que les habitants, amenés à se connaître, exercent alors une forme d’auto-contrôle social. Comme le résume l’un d’eux : « quand les gens te connaissent, tu fais attention avant de jeter tes papiers par terre ». Cette échelle différente – de l’individuel superposé, des petits collectifs, des maisons en bandes, des voies de traverse – contribue à une ambiance apaisée. Oui mais les voitures ?
Il en fallait au moins une par logement. « Le parking en sous-sol est dessiné comme un peigne à trois dents ; avec trois sorties piétonnes judicieusement placées, les habitants ne sont jamais à plus de 30 mètres de leur place de parking ! Ce qui nous a permis de conserver la pleine terre pour le jardin », raconte Philippe Bonon. De fait, noyées dans la végétation, les sorties de parking sont quasi invisibles et à voir s’épanouir les arbres, il semble difficile d’imaginer comment un parking astucieux se cache là-dessous. Cet été, il y faisait bon.
Bref trois contextes urbains, trois réalisations vertueuses (à nos yeux au moins) en termes d’efficacité vis-à-vis des dérèglements climatiques à venir.
Il n’est pas question ici d’apporter des solutions toutes faites car nombreuses sont les agences qui réfléchissent à cette problématique. Ce qui ressort cependant de ces trois projets est que c’est bien le PLU qui s’est adapté au projet, non l’inverse. Ce n’est pas un détail. D’ailleurs, pour cela, « il a fallu convaincre », voire « se battre ». De fait, hors les grandes villes, les PLU sont généralement intercommunaux et imposent une même règle pour tout le monde, ce qui conduit à plus de généralités. Alors la haute couture architecturale… Sans compter la bagarre avec les services techniques. Un quartier sans voiture, c’est encore un gros débat mais le manque de souplesse des PLU n’est pas la moindre des difficultés.
Sans parler des labels. « Le label est calculé au bâtiment, nous l’avons calculé à l’échelle du quartier. Mais ce calcul global questionne aussi les habitudes : l’objectif est d’être plus efficace et plus pertinent, pas de répondre à des normes. Il faut une volonté politique forte qui ne réponde pas seulement à des raisons économiques ou financières et il faut argumenter le discours », relève Brigitte Philippon.
Autre élément commun des projets médiévaux, la mitoyenneté. Après tout, deux façades au lieu de quatre, c’est économe en temps et en matériaux, sans compter l’économie d’énergie en chauffage. Et l’architecte qui en 2022 ne sait pas faire un logement traversant peut changer de métier !
Ces exemples sont autant d’éléments de réflexion qui devraient inspirer, au-delà du PLU de chacun en son fief, des directions claires de la part du gouvernement sur les dispositions à prendre afin de privilégier pour l’avenir des quartiers à échelle humaine avec une gestion cohérente de la voiture en fonction du contexte. Voir par exemple ce que pourrait devenir Chambéry puisque les parkings silo existent déjà. ***
Voiture, pas de voiture ? La réponse à cette question est politique. Si ce quinquennat sera écolo ou ne sera pas, dixit Vulcain ex-Jupiter, quelle ville demain ? Quels quartiers sortiront de terre dans cinq ou six ans avec les décisions prises aujourd’hui ? Toujours est-il que puisque l’apocalypse n’aura pas lieu, si les politiques s’y mettent, une évolution rapide de l’urbanisme est possible. Qui aurait cru il y a seulement quelques années que les pistes cyclables allaient soudain changer notre perception de la ville ? Il suffit donc bien de simplement redistribuer l’espace. S’il est en plus à échelle humaine et accueillant, Byzance !
Christophe Leray
*Lire notre article Les possibilités d’une île en Seine-Saint-Denis
** Lire A Baillargues, Hérault, A+Architecture affirme une continuité urbaine contemporaine
*** Lire notre article Hérault-Arnod signe le parking Ravet à Chambéry