Pour parler d’une piscine, il faut s’interroger sur sa fonction. Il y a loin en effet du bain – les termes – à la piscine olympique. Il y a loin aussi de la natation pour tous au sport training. Au tournant des siècles, les nôtres, il y a loin de l’émancipation au culte du corps. Alors quoi en 2016 ? Visite.
C’est l’histoire d’une piscine, à Vouziers, sous-préfecture des Ardennes, en haut de la France. Le programme consistait en le remplacement d’une piscine d’un autre siècle, comme le collège et le gymnase encore adjacents, par un équipement contemporain, au sens qu’il est d’aujourd’hui, pas d’un style quelconque.
Ce n’est rien de dire que furent ici envisagés avec curiosité, et peut-être un peu de crainte comme dirait Martine, ces architectes parisiens et leurs grandes idées. Mais bon, un concours en bonne et due forme et un projet lauréat. Et des archis locaux, en petite et grande ceinture, jusqu’à Lille, pour faire le lien.
De l’architecture donc. Quelle idée se faisaient donc ces architectes ‘parisiens’ – Bruno Palisson, Jean-Luc Calligaro, agence Po&Po – d’une piscine à Vouziers et ses 4 500 habitants quand ils ont gagné le concours en 2012 ? Maintenant que, à l’été 2016, le bâtiment est livré et en service, nous avons les réponses.
Pour parler d’une piscine, il faudrait d’abord parler des machines qui traitent l’air et l’eau, une machinerie que l’architecte d’expérience saura mettre en scène et aux normes de confort. Les gens ne le savent pas mais, pour oxygéner l’eau, ce sont les chutes du Niagara là-dessous. Bref, un clos sous vide à hauteur d’homme, bien ventilé et éclairé, c’est que du bonheur pour le cantonnier de la piscine et la maintenance pour les prochains 30 ans ne s’en portera que mieux. On ne dira jamais assez la poésie des tuyaux et des conduits… Les mécaniciens des bateaux au long cours et les architectes de raffineries comprendront.
Pour parler d’une piscine il faudrait également parler des chloramines, produites par la réaction entre le chlore et l’ammoniac issu des déchets organiques des baigneurs (peaux, cheveux, pour parler du meilleur). Ce sont elles qui, en suspension au-dessus de l’eau, donnent cette désagréable odeur de chlore. D’où l’importance de l’extraction et du renouvellement, air et eau. Cela ne s’improvise pas. Les chutes du Niagara qui n’empestent pas les chloramines, il faudrait en parler car de l’efficacité de cette machinerie dépendent la pérennité du bâtiment et sa bonne tenue dans le temps.
En l’occurrence, à Vouziers, il faudrait parler aussi de cette architecture lovée dans les courbes de niveaux de la topographie, sans façade à proprement parler, et qui glisse vers le grand paysage. Il faudrait mentionner ces sheds dont le dynamisme des structures dilate l’espace et offre une lumière du nord homogène et douce. Il faudrait parler des détails de charpente qui font de vraies économies. Il faudrait parler du plafond tendu qui, regardé dans l’autre sens, fait apparaître alors une vision tout autre, un autre paysage, une vague. Avec cet angle de vue, les sheds et la charpente disparaissent totalement ; une cinquième façade, intérieure et inattendue, dont les micro-perforations contribuent à piéger les réverbérations.
Il faudrait encore parler du soin apporté à l’acoustique, qu’il s’agisse du plafond diffractant dans son dessin ou de cette mousse imputrescible, une matière douce et agréable au toucher, aux qualités acoustiques reconnues, collée aux murs. Les commerciaux du produit n’avaient même pas imaginée une telle mise en œuvre de ce matériau ! Elle est désormais dans leur catalogue. Si ce n’est pas là de l’innovation…
Il faudrait certes sans doute aussi parler des matériaux. Le béton, le verre, un bardage bois comme tout ce qui se fait à Paris. Il faudrait noter le détail des joues qui permettent de cadrer le paysage sans gêner la surveillance des bassins. Il faudrait parler du carrelage et de la salle au marbre chaud. Il faudrait encore mentionner les relations extérieures/intérieures entre enfants et adultes, le regard des uns jamais perdu sur les autres. De toute façon, derrière et presque dedans, il y a la prairie, le grand paysage, une vue sur la ville sur le coteau, un jardin potager ici, des éoliennes au loin, sur la crête.
Pour parler de cette piscine, il faudrait enfin évoquer l’esprit facétieux du parcours d’entrée et de l’accueil offert par les architectes. Dans la piscine de Vouziers, nul n’y entre tout droit comme au supermarché. Le détour vaut de découvrir de visu la justesse des matériaux assemblés ensemble. Un sas de décompression – plus loin dans l’ouvrage, ça s’appelle un pédiluve – puis un accueil cathédral tourné vers le bassin, l’œil s’échappant aussitôt puisque rien ne brise l’horizon sinon les pastilles imposées par les règles de sécurité.
A ce propos, et entre nous, quand est-ce la dernière fois que vous avez entendu que quelqu’un, quiconque, untel, un scolaire, s’était fracassé la figure dans une façade vitrée ? De tels drames, s’ils arrivent, sont d’une rareté absolue. Pourtant là, en plein milieu du dessin des architectes, des pastilles à foison même pas utiles aux oiseaux. «Le St Just du petit point» avait même suggéré aux archis de Po&Po que ces pastilles soient vertes, rouges, jaunes, comme des M&M. Au moins les architectes ont-ils réussi à éviter les couleurs bonbon.
L’équipement est dimensionné non seulement pour Vouziers mais pour tous les habitants des environs. Alors, cette piscine, une destination ?
En tout cas, pour parler d’une piscine, il faut passer par les vestiaires parce que c’est par là que tout commence. Ici les vestiaires ont d’abord été divisés en quatre parties. «La piscine peut accueillir beaucoup de monde mais, un lundi soir, au cœur de l’hiver, combien de gens viendront ?», s’interroge Jean-Luc Calligaro. Bonne question. A Vouziers, ce lundi pluvieux de janvier : 10 ? 20 ? 30 ?
«Si tous les vestiaires sont libres d’accès, ces quelques personnes vont les utiliser tous. Il faudra ensuite tous les nettoyer. C’est du temps, de l’énergie, de l’argent. Mais si tu peux n’en ouvrir qu’une partie selon la demande, il n’y aura que celle-là à nettoyer», explique l’architecte. Pas besoin de logiciels sophistiqués, c’est simple comme bonjour mais le maître d’ouvrage était content que les hommes de l’art, en s’appuyant sur un concept développé par l’AMO/Programmiste Mission H2O, y aient pensé.
Quatre vestiaires donc. Pour chacun, les casiers à pièce habituels, quelques cabines individuelles – et quand nous disons quelques, c’est quelques, et encore les plus grandes sont dédiées aux PMR et aux familles. Sinon, à toutes fins utiles, un vestiaire public et mixte. Dessiné pour tous, petits et grands, hommes et femmes et sans doute tous les autres genres. Super pratique pour les écoles en tout cas. Quoi ? Mixité ? Et personne ne s’affole ?
Si l’architecture reflète son temps alors à Vouziers l’esprit du lieu n’est pas à la guerre sainte. Au contraire, ces vestiaires en disent plus long sur la capacité des Français à vivre ensemble et en harmonie que les gros titres des news à sensation.
D’ailleurs, après les vestiaires, les douches, indispensables si l’on parle de piscine, en témoignent encore. Les unes à côté des autres, sans vis-à-vis, elles sont insérées dans des chicanes en faïence sombre. L’intimité de chacun est subtilement préservée quand ne lui fait face qu’un porte-serviettes. Parfait pour l’autosurveillance papa-fille et maman-garçon. Si le parcours de ces douches subtiles est imposé, il n’en demeure pas moins aimable. Tout est fait pour bien s’y laver, et c’est ainsi qu’à Vouziers, le visiteur est aussi bien traité ou presque en allant à la piscine que les microbiologistes de l’institut pasteur dans leurs labos.
Et ce n’est que le début. Après le pédiluve, des saunas, un hammam, une salle au marbre chaud, un jacuzzi, des douches à jets et seaux d’eau froide, une salle de cardio, le ‘grand bain’ bien sûr – les sheds ou la vague selon l’angle de vue, souvenez-vous – et toujours un lien visuel avec les autres.
Surtout, même s’ils ne le savent pas, les Vouzinois et leurs voisins de la communauté de commune, à 2,90€ l’entrée à l’unité, bénéficient désormais d’un équipement dont se targuent les plus grands hôtels à Chicago, Vancouver, Shanghai ou Moscou. Des gens payent très cher pour se féliciter de telles aménités 5 étoiles.
Le coût de travaux – 6,2M€ – apparaît donc bien raisonnable en regard d’un ouvrage qui fait l’unanimité autour de lui. A considérer d’autres piscines construites récemment par de grosses agences, d’aucuns se dit qu’en l’occurrence, l’architecture vaut mieux que le commerce.
Christophe Leray