Le 11 Janvier 2016, au Pavillon de l’Arsenal à Paris, l’architecte marseillaise Corinne Vezzoni a reçu le Prix des Femmes Architectes 2015 décerné par l’ARVHA. Si ce prix reflète un regain d’intérêt pour le «fait féminin», d’aucuns (et pas forcément d’aucunes) s’offusquent de son existence. Il ne viendrait à personne l’idée de créer le prix de ‘l’homme architecte’. Ce prix ne souligne-t-il pas davantage la condition féminine que le statut d’architecte ? Décryptage.
Zaha Hadid raconte que «ce n’est pas tant le racisme que le fait d’être une femme en Grande-Bretagne qui a longtemps fait obstacle». De fait, ce n’est qu’en 2015 que la plus haute distinction accordée à un architecte au Royaume-Uni fut accordée pour la première fois à une femme, Zaha Hadid justement. Laquelle avait pourtant reçu le Pritzker dès 2004. Humour british sans doute.
En France, la féminisation de la profession est avérée, du moins en apparence. En effet, plus de 60% des étudiants des ENSA sont… des étudiantes. Pourtant, en 2013, seulement 16% de femmes étaient inscrites à l’Ordre. Si une poignée d’entre-elles dirige une agence en association, souvent avec des hommes d’ailleurs, les femmes seules à leur tête, à l’instar d’Anne Demians ou Manuelle Gautrand par exemple, sont plutôt marginales. Enfin, l’architecture serait la profession académique avec l’écart le plus important entre le taux de formation et le taux de professionnalisation.
L’une des explications est sans doute celle d’une profession chronophage où la nécessité de faire des choix est quotidienne. «Notre capacité de travail est la même sauf qu’il nous faut coucher les enfants et retourner à l’agence, ou travailler avant qu’ils ne se réveillent. On s’ajuste mais on a tendance à négliger autant les adultes que les enfants». C’est un refrain. Et l’une d’elles de constater «C’est difficile pour les enfants d’avoir une mère patronne d’une agence. Je sens bien que je ne suis pas assez souvent là. Je ne peux que me féliciter de l’avènement des nouvelles technologies qui ont permis une évolution du métier dont les femmes sont les premières à bénéficier».
Dit autrement, si les femmes architectes accèdent aux mêmes responsabilités que leurs confrères, et sont à ce titre aussi bien reconnues que leurs homologues masculins, mener de front une vie professionnelle, une vie de femme et une vie de mère reste une difficulté majeure. Car là où culturellement l’approche des hommes se caractérise davantage vers le surinvestissement dans le travail au détriment de la sphère intime, les femmes cherchent quant à elles à réconcilier sphères professionnelle, familiale et intime. Souvent une gageure dans ce métier. Là encore, quelques-unes y parviennent mais force est de constater que souvent les femmes les plus investies dans leur métier, à l’instar de Zaha Hadid, n’ont pas d’enfant…
Pourtant, l’architecture est un travail d’équipe qui ne constitue pas une addition de rôles spécifiques. Donc l’architecture en tant que telle n’a pas de genre. «Je suis incapable de définir le sexe de celui qui a dessiné un bâtiment. Tout dépend de la sensibilité de chacun, de ses références, de sa culture, de son éducation. C’est ce qui influence les réponses», témoigne Corinne Vezzoni. «Une architecture c’est un métier d’équipe, avec des hommes dedans. La parité existe dans les agences. Les orientations données aux projets sont propres à chaque individu. Il n’y a pas de différence entre l’architecture de Zaha Hadid et celle de Peter Eisenman. Pourquoi celle de Zaha Hadid serait-elle plus féminine ? C’est une aberration !» complète Gaëlle Péneau (GPAA).
Notons que parmi les femmes lauréates de ce prix au cours de ses trois années d’existence, la plupart occupent une place importante dans l’enseignement ou dans les Institutions. Corinne Vezonni, Gaëlle Péneau, Manuelle Gautrand et Anne Demians s’investissent à la fois dans le partage et la transmission de leur savoir et de leur compétence. Elles sont par ailleurs également membres de l’Académie d’architecture, témoignant d’un engagement institutionnel.
Là aussi un constat s’impose. Pour la parité dans l’enseignement ou dans les institutions, ce n’est pas encore gagné ! Si de plus en plus de femmes ont été installées ces dernières années place des Vosges, les postes de professeur sont encore détenus par des hommes. «L’Académie pourrait faire plus de choses pour consolider nos acquis», relève Gaëlle Péneau.
Rappelons que le prix de l’ARVHA a été créé dans l’optique de «mettre en valeur les œuvres et les carrières de femmes architectes, afin que les jeunes femmes architectes puissent s’inspirer des modèles féminins existants, et d’encourager la parité dans une profession à forte dominante masculine». Précaution nécessaire ? Utile sans doute car Corinne Vezonni de mettre en garde : «la libération de la femme reste encore récente. Il nous faut rester vigilantes et consolider ces valeurs encore fragiles. La parité et la liberté ne sont pas complètement acquises ; il faut progresser et non pas régresser». C’est en ce sens que, selon elle, se trouve la pertinence de ce prix. La réussite de ces femmes architectes doit encourager les jeunes femmes dans leur choix et leur signifier que c’est possible.
Enfin, si les architectes femmes s’accordent à dire que, en France, les différences entre hommes et femmes sont davantage de l’ordre du détail, et que c’est un non-problème, elles relèvent que ce n’est pas le cas, loin de là, dans beaucoup d’autres pays. La vigilance s’impose donc.
Léa Muller
*Association pour la Recherche sur la Ville et l’Habitat (ARVHA)
Légendes des images
1 – Manuelle Gautrand vs Marc Mimram
2 – Gaelle Péneau Agence d’Architecture vs Fresh architecture
3 – In Situ architecte vs ITAR
4 – TOA architectes vs Agence d’architecture Suzel Brout
5 – Corinne Vezzoni et associés vs Atelier KingKong
6 – Toyo Ito vs SANAA
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