Francis Soler a livré en avril 2016 sur Paris-Saclay le Centre de Recherche et de Développement d’EDF. Ses espaces fonctionnels et équipements sont aujourd’hui tous en activité pour les 1 700 chercheurs réunis sur le site. Un bâtiment ambigu, au cœur des crises et contradictions de la société actuelle. Visite.
«L’objectif du centre était de s’insérer dans l’écosystème de Paris-Saclay, de nous rapprocher du monde académique de la recherche», explique Jean-Paul Chabard, le directeur scientifique d’EDF, qui a piloté le projet depuis 2008 (le concours ayant lieu en 2010). Nonobstant le fait qu’il s’agissait de construire le plus grand centre de recherche et développement d’EDF (EDF Lab Paris-Saclay) et premier centre de formation professionnelle à l’échelle européenne (Campus formation).
Noter d’abord qu’un excellent terrain agricole n’est pas forcément le meilleur endroit pour construire un centre de recherches. Francis Soler peut en témoigner : à Saclay il lui a fallu construire dans la gadoue. «Le Plateau de Saclay est un terrain qui n’absorbe pas l’eau et, le sous-sol imperméable la laisse ruisseler en surface. Aussi, et afin de nous protéger de toute éventualité de stagnation des eaux, et de toute pénétration horizontale dans les ouvrages, nous avons décidé, tout d’abord de remonter d’un étage le plus possible d’ouvrages puis de dessiner un jardin qui prendrait en compte cette nature humide et persistante des sols. Le jardin, dessiné par Pascal Cribier, est ainsi fait de rigoles en étoile, de caniveaux qui filent, de bassins riches en biodiversités et de douves profondes. Ce dispositif donne à l’opération sa première composition d’ensemble», explique-t-il. Malgré son apparence, le bâtiment est donc tout à fait contextuel.
Le centre EDF, affichait d’emblée une «ambition énergétique», ce qui est bien le moins pour le premier producteur d’électricité dans le monde. De fait, le centre bénéficie évidemment d’une double certification environnementale (HQE et BREAAM) et du label BBC (Bâtiment Basse Consommation). Parmi les installations du projet de Francis Soler, une dalle active rayonnante de 20 000 m² utilisant l’inertie thermique du béton, la récupération de la chaleur produite par les serveurs informatiques, 36 sondes géothermiques destinées à assurer les besoins en chauffage et refroidissement des bâtiments.
Enfin 3 250 m² de panneaux photovoltaïques pour une production annuelle évaluée à 455 MWh, avec autoconsommation de l’électricité produite, complètent le dispositif. Un bâtiment exemplaire par nécessité, pourtant pas tape-à-l’œil. Rien ne se voit, sauf dans les détails, tels ces discrets tuyaux percés préférés à d’inélégantes bouches d’aération. Citons encore les luminaires, tous spécifiquement dessinés pour l’opération, l’architecte se félicitant d’une grande puissance lumineuse mais basse consommation. Mais là n’est pas ce qui caractérise ce bâtiment.
EDF avait aussi comme objectif de favoriser «toutes les collaborations entre les équipes de recherche d’EDF et celles du plateau de Saclay». De fait, les quatre bâtiments – Opale, Emeraude, Azur, Iroise, – comme autant de point cardinaux – concilient une zone ouverte à tous et accessible sans badge – l’accueil, la restauration, les amphithéâtres – et une zone réglementée – bureaux, laboratoires, ateliers, etc. Un tiers des 1 500 postes de travail du centre sont réservés pour des partenaires extérieurs, des stagiaires, ainsi que 150 thésards.
De ce point de vue, la conception en cercles de bâtiment peu élevés a permis à Francis Soler de mettre en place des circulations verticales et radiales qui permettent à chacun des usagers de chaque bâtiment de n’être jamais à plus de 50 m d’un collaborateur. «La distance la plus courte est le rayon d’un cercle», souligne l’architecte. Dans le restaurant du bâtiment Iroise, qui peut servir jusqu’à 1 700 convives, «les grandes baies vitrées et les larges terrasses, sur lesquelles elles ouvrent, sont des ponts entre fonctions et sensations», dit-il.
Dans un site sans alignement – ce bâtiment était le premier construit dans son environnement – la conception en cercles a permis, en lieu du bâtiment compact demandé au concours, de décomposer les éléments du programme*. Il fallait concevoir des équipements et des espaces autant pour des analyses en mécanique avancée ou l’analyse des marchés et de leur environnement que des labos de recherche sur le management des risques industriels ou la simulation neutronique.
«Un noyau central, une grande portée, un poteau… Dans un cercle, il n’y a jamais d’angle à traiter», souligne Francis Soler. Douze mètres entre les poteaux, une dalle de 45 cm portant les garde-corps qui portent les éléments en verre. «Nous ne sommes en rien des aménageurs de l’espace intérieur», dit-il. A la recherche d’un maximum de flexibilité, l’architecte a donc laissé toute possibilité d’aménagement en fonction des besoins et des désirs des chercheurs. «Il faut laisser respirer les gens dans leur espace, ne pas les dessiner jusqu’au bout, permettre les choses, l’imprévu». A l’intérieur, la différenciation des fonctions s’effectue au gré des circulations selon qu’elles sont ouvertes ou réglementées.
Vu de l’extérieur, de près ou de loin, les formes et façades homogènes des bâtiments – il y a pourtant trois types de façades différents -, qui accueillent des programmes des programmes d’une grande diversité, offrent une perception globale du projet qui évolue en fonction de la lumière, de la météo. «Il était impératif de gérer les contraintes de sécurité tout en gardant l’image d’un lieu ouvert», précise Francis Soler. Ainsi l’auditorium de 500 places, avec son bar et son foyer, dispose-t-il d’une entrée indépendante. Du fait du manque d’équipement sur le site, cet auditorium est loué quasiment tous les jours de l’année.
Autre avantage de ce dispositif en cercles, où que l’on soit dans le bâtiment, il n’y a aucune salle aveugle, la lumière naturelle pénétrant au cœur des espaces. De plus, tous les fluides passent sur les surfaces extérieures, toutes dotées d’une coursive accessible permettant l’entretien aisé des ouvrages.
Vu du ciel, le bâtiment Opale, le plus grand, fait penser à un immense et délicat mécanisme d’horlogerie, ce qui souligne la mécanique de grande précision du projet. Il manque cependant un quart du cadran, cette partie du terrain étant réservée pour une extension potentielle. Francis Soler souligne que, dès le début, la communication entre le maître d’ouvrage et l’équipe de maîtrise d’œuvre a été féconde.
Ce n’est pas le moindre des paradoxes qu’EDF investisse plus de 400 M€ (212 M€ pour le bâtiment) sur ce site alors même que l’entreprise se trouve confrontée à des défis colossaux pour la construction de ses EPR – retards importants, surcoûts vertigineux -, que l’électricité nucléaire française, dont elle est garante, se révèle soudain beaucoup plus onéreuse à produire que jamais, sans parler du chantier du démantèlement de centrales nucléaires vieillissantes. Il faut pourtant, pour avoir une chance de répondre à ces défis, investir encore, y compris dans la recherche nucléaire. Au-delà de l’aspect financier, c’est encore l’image et la confiance en la marque EDF, garantie par l’Etat, qui peut faire la différence auprès des investisseurs. D’où ce bâtiment étendard.
EDF dispose aujourd’hui de huit laboratoires en partenariat avec d’autres acteurs de Paris-Saclay. Des recherches sont par exemple menées avec le CNRS et Polytechnique sur le photovoltaïque. Objectif : parvenir en 2030 à un coût de production de 30 centimes par watt**. Dont acte.
Au final, si ce bâtiment est important ce n’est donc pas tant pour ses qualités intrinsèques décrites ci-dessus mais parce qu’il s’est débarrassé du diktat de la raideur obséquieuse et formelle des conventions. Ni bâtiment de bureaux ni bâtiment industriel, pourtant les deux à la fois, il porte une vision volontaire et transparente du futur. L’ouvrage raconte qu’il n’y a pas de fatalité, qu’il faut croire en la recherche et l’intelligence des chercheurs. En tout cas, Francis Soler y croit.
Christophe Leray
* Le programme consistait en la construction d’un centre de recherche et développement proposant 1 500 postes de travail en première étape (salariés, thésards, partenaires, prestataires, stagiaires) et comprenant 1 auditorium de 500 places, 2 Auditoriums de 75 places, une halle d’essais, des salles de commissions, des salles d’expérimentation, des bureaux, des laboratoires, un restaurant, une brasserie, des cafétérias et 8 hectares d’espaces extérieurs. 950 places de stationnement et 125 emplacements de stationnement deux roues.
** La Croix, Denis Peiron, le 03 avril 2017