On dit que Jean-Paul Viguier est un architecte français célèbre. Et un des plus connus à l’étranger. Pourquoi pas. Mais qui est vraiment « on » ? A 71 ans, Jean-Paul Viguier ne fait pas partie des architectes français les plus célèbres de sa génération. Pour autant que je sache, il n’est l’auteur d’aucun livre marquant sur l’architecture, ni d’aucune œuvre majeure, en tout cas rien qui lui permette de figurer dans une histoire internationale de l’architecture contemporaine.
Sa biographie ne repose pas sur une liste impressionnante de réalisations, de projets ou de distinctions professionnelles, non plus. Et pourtant, tous ceux qui s’intéressent un tant soit peu à l’architecture connaissent Jean-Paul Viguier, ne serait-ce que de nom. Etrange…
Etrange décalage
Ce décalage entre l’importance de l’œuvre et la réputation établie de Viguier étonne, forcément. Je me dis que je suis passé à côté de l’essentiel, que j’ai sous-estimé la portée de ses travaux, rien compris au sens général de son œuvre. Si un nom est connu, cela ne peut pas être sans raison valable.
Alors, je me remets à chercher. A passer et repasser en revue ses travaux. Dans les livres. Sur internet. Je m’attarde encore une fois sur le siège de France Télévision, sur Cœur Défense et la tour Majunga. Leur élégance classique est incontestable. Mais est-ce suffisant pour établir une réputation de grand architecte lorsque tant de réalisations prestigieuses ont par ailleurs marqué le paysage de Paris et de La Défense sur la même période ? Il y a forcément autre chose.
J’écarte le parc André Citroën en me disant qu’après tout c’est un jardin (et une coproduction). Pas de l’architecture. Je ne retiens pas non plus la tour Sofitel, là encore sobre et chic, mais sans originalité particulière. Jusqu’au moment où le mystère se dissipe d’un coup : c’est évident, Viguier n’est pas seulement un bon architecte, c’est aussi, surtout, un très bon communicant ! Et ce sont ces deux qualités qui lui permettent de se hisser à la hauteur des plus grands.
Oh miroir, mon beau miroir…
Je relis l’article sur Wikipédia qui lui est consacré. Des détails qui ne m’avaient pas frappés lors de la première lecture me sautent aux yeux. A la différence de l’article français, la version anglaise précise en introduction que Jean-Paul Viguier «est considéré comme l’un des plus grands architectes du monde (ce qui est pour le moins exagéré) et l’un des rares Français à travailler largement en dehors d’Europe (ce qui est largement infondé)». Du reste, aucune des références mentionnées ne permet d’appuyer cette affirmation.
Concernant le parcours de l’architecte, l’article français précise bien que «de 1975 à 1992, ses projets ont été réalisés en association avec Jean-François Jodry». Seul problème, cette phrase a sauté dans l’article anglais alors que le reste du paragraphe a été conservé. Mieux, quand son ex-premier associé revendique la copaternité du parc André Citroën et du pavillon de Séville, Jean-Paul Viguier prend soin de dater ces deux premières réalisations marquantes de l’année de leur séparation, soit 1992. Ce n’est pas tout…
Quelques libertés avec la réalité
Contrairement à ce qu’il ne cesse d’affirmer, l’architecte n’est pas l’un de ceux qui ont le plus travaillé à l’international. Outre un immeuble à Budapest, il n’a conçu en dehors du continent européen qu’une tour de bureau au Maroc et un hôtel à Chicago pour la chaine française Accor. Histoire de gonfler une expérience qui pourrait sembler un peu maigre, l’article mentionne la réalisation du musée Mcnay à San Antonio, au Texas, en prenant soin de préciser de façon très solennelle : «En juin 2008, le premier musée d’art moderne américain construit par un architecte français, a été inauguré».
Il n’y aurait rien à redire si cette affirmation n’était… fausse. Il ne s’agit pas du musée Mcnay, dont la construction est bien antérieure aux années 2000, mais juste d’une extension. Faut-il continuer ? Wikipedia estime à ce jour que l’article français – et non pas, paradoxalement, l’article anglais qui en est pourtant la copie conforme à quelques exceptions près – «ne cite pas suffisamment ses sources». Ah oui ?
Une philosophie de marque
Bien sûr, rien ne permet d’affirmer que ces articles aient été rédigés ou réécrits par l’entourage de l’architecte. Mais on ne peut s’empêcher de mettre en relation cette biographie pour le moins partiale avec la façon dont Jean-Paul Viguier se présente sur son site et la façon dont ce discours est relayé presque mot pour mot par des médias.
Cela n’enlève rien aux qualités par ailleurs bien réelles de l’architecte. Il fait incontestablement partie de ceux qui ont construit le plus de sièges sociaux en France et, pour les entreprises, cette expérience est précieuse. Sa connaissance de l’immobilier commercial, de ses spécificités et ses contraintes, est indéniable (même si elle s’appuie largement sur ce qui se fait et se dit aux Etats-Unis depuis des années). En bon commercial, il sait écouter les clients, donner corps à leurs attentes en leur conférant une touche d’élégance que nul ne peut lui contester.
Enfin, et ce n’est pas la moindre de ses atouts, Jean-Paul Viguier n’est pas seulement un architecte, c’est une marque et une agence qui ont une existence propre. Ces points forts n’effacent pas la façon dont Viguier forge méticuleusement sa réputation, quitte à prendre quelques libertés avec la réalité. Après tout, n’est-ce pas inhérent aux hommes d’affaires ?
Franck Gintrand