Le 14 décembre 2017, en début de soirée, avait lieu à la Maison de l’architecture d’Ile-de-France* la restitution de la seconde journée de ‘Design Thinking’ consacrée à la réforme du logement. L’idée était de réunir divers acteurs de la construction – aménageurs, promoteurs, architectes, élus, journalistes, etc.** – qu’ils identifient ensemble les freins et les opportunités du logement en France, le résultat de ces travaux devant alimenter la conférence du consensus initiée par le Sénat.
Le 13 décembre 2017, Gérard Larcher, président du Sénat, et Jacques Mézard, ministre de la Cohésion des territoires, ont en effet lancé au Sénat la conférence de consensus sur le logement. Dans le cadre de cette conférence, les parlementaires et les professionnels du bâtiment sont appelés à «co-construire le projet de loi logement Elan (pour Evolution du Logement, de l’Aménagement et de la transition Numérique».
Au Couvent des Récollets, sous l’égide de Catherine Lenglet (L’Autre Design)***, au travers de post-it et mots-clefs, Il s’agissait donc en l’occurrence pour les participants, à l’issue de deux demi-journées de travail, de formuler des réflexions communes, sinon consensuelles, avec l’assurance qu’elles «remonteront jusqu’au gouvernement». Il fut parfois difficile pour ces acteurs d’admettre être d’accord sur tel ou tel point et les débats furent vifs à l’occasion.
La formalisation de ces travaux est sans doute prévue mais il était intéressant d’écouter à chaud la restitution des cinq tables de travail tant les attentes d’amélioration et les sujets de blocage sont nombreux. En ressort même l’idée que, sur un sujet aussi important que le logement, la grande question du XXIe siècle, l’Etat français semble être arrivé dans une impasse. D’où l’urgence pour les architectes de participer au débat.
Le compte rendu de cette restitution est volontairement resserré afin de rester conforme à l’esprit de ce ‘design thinking’ effectué avec de simples mots ou schémas sur des post-it. Pot-pourri donc des remarques, récriminations, propositions et espoirs, parfois contradictoires, issus de cette initiative. Pour le logement, ce n’est pas gagné !
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«On fabrique le logement avec les mêmes critères depuis plus d’un siècle mais de plus en plus petit. Le même paradigme jour/nuit repose sur les attentes imaginées des usages. C’est de l’idéologie». Hum… Mettre une famille, deux parents, deux enfants, dans un T3 en open space ? Comme chez les Chinois dans les années 60 ? Les attentes ne sont pas imagées, c’est la réalité. En fait, ceux pour qui ces logements sont faits sont désormais insolvables. Ce sont les promoteurs qui veulent sortir du paradigme pour vendre au même prix une surface moindre mais dotée d’un séjour distributif. «Le carcan de la typologie est débilitant alors que l’innovation est l’alpha et l’oméga du logement».
«Le marché du neuf représente 1% de la production. 90% des ventes sont dans l’ancien». Pour info, selon Alain Dinin, patron de Nexity (qui n’était pas présent), un point haut a été atteint en 2017 avec la production d’un peu plus de 400.000 logements neufs, contre 376.500 en 2016. Valeur d’exemple ou tout le monde s’en fout ?
«Il faut remplacer la démarche séquentielle par une logique collaborative, comme dans l’industrie». Sauf que dans l’industrie, pour un ‘project car’, il y a 10 millions de voitures ‘ordinaires’ qui sortent des lignes de production. Pour un ‘project building’, ben il y a un bâtiment, voilà tout. Une politique industrielle de l’architecture en France, depuis Haussmann, reste à réinventer.
«Se préoccuper de la maintenance dès la conception». Parce que ce n’est pas toujours le cas ? Les architectes connaissent pourtant la différence entre un budget de construction et un coût de maintenance et comment le second est lié à la qualité, ou non, du premier. Qui alors ne se soucie pas du futur ?
«L’emploi classique salarié est extrêmement fragilisé, les emplois étant remplacés par d’autres formes de travail, notamment chez soi. La distinction travail/résidence sera bientôt obsolète». Faut-il s’en réjouir ? La perte de distance entre le travail et la résidence hyperconnectée tend en réalité à augmenter la temporalité du travail au détriment du temps de l’intimité. C’est le syndrome inversé du ‘salary man’ japonais qui doit rester au bureau, quitte à ne rien faire, jusqu’à ce que le patron s’en aille. Là, c’est le contraire, le patron est rentré depuis longtemps que ses employés, entre la poire et le fromage, continuent à travailler. Work in the City ? Même les architectes préfèrent bosser à l’agence !
«Tous propriétaires, est-ce si évident que cela ?» Se poser la question est déjà douter de l’évidence, assénée pourtant comme une antienne par tous les gouvernements successifs. Dans des villes trop nombreuses pour être citées et des pans entiers de campagne, nombre de biens perdent chaque jour de la valeur et sont invendables. N’y a-t-il pas d’autres horizons que la propriété foncière pour de nouvelles générations parfaitement urbaines et mobiles, plus à l’aise avec le compost dans un tiroir de cuisine qu’avec un vrai jardin ? Sauf qu’à la fin, chacun aime être chez soi.
«La traçabilité des matériaux». Plus facile à dire qu’à faire. Quand une major propose un bâtiment en structure bois, paraît-il que dès que l’on remonte la chaîne des sous-traitants, 80% du bois, on ne sait pas d’où il vient. Légende urbaine ? Acheter du béton à une multinationale qui fait du business en Syrie avec Daech, ça vaut dans la traçabilité ? D’ailleurs, on a vu dans le Sud-ouest, des lasagnes à la viande de cheval.
«Réinventer Paris, c’est une incitation à faire toutes les promesses du monde». Qui n’engagent que ceux qui les écoutent… Ce n’est pas de la poésie, c’est ce que la mairie de Paris appelle de l’innovation. Sans doute la raison pour laquelle les contrats issus de ces consultations s’avèrent extrêmement complexes à rédiger. D’ailleurs, «la défiance empêche l’évolutivité dans les contrats». Des acteurs beaux parleurs mais arc-boutés ?
«Tenir compte de l’arrivée du digital». Hum… peut-être faut-il se méfier avant de s’enflammer. L’arrivée de l’écran plat a condamné les designers de meubles TV.
«Enlever le permis de construire (PC) aux maires». Pour le donner à qui ? A une intercommunalité ? A une armée mexicaine de fonctionnaires ? Idem pour les PLU ?
C’est peut-être le PC qu’il faut revoir. Dans la plupart des pays anglo-saxons, la concertation a lieu en amont du PC, pour qu’il n’y ait plus ensuite de possibilité de recours. «Instaurer la collégialité dans la décision pour les PC» ; «Un PC mixte qui ne préjuge pas de la destination». C’est comme si c’était fait.
«Uniformiser les règles du PLU pour logements et bureaux». Avec le risque que les promoteurs ne construisent plus que des bureaux à la fiscalité plus avantageuse ? Paris manque déjà cruellement de logements mais regorge de bureaux vides.
«Pas une réforme générique mais adaptée à chaque territoire». A chaque région ses normes et ses canons, pondérés comme une réglementation thermique ? Pour vendre une telle réforme à l’Etat jacobin centralisateur, il va falloir convaincre. En attendant, poursuivre le théâtre de l’absurde.
«VEFI : vente en l’état inachevé». Permettre l’appropriation en faisant baisser les coûts, l’idée est séduisante. Au risque du syndrome ‘village des Balkans’ dont tous les logements sont dans des immeubles à moitié finis, en attendant le financement ou des jours meilleurs ?
«Revoir les règlements de copropriétés». En effet, quid des espaces communs et partagés désormais à la mode ?
Pour finir, puisque nous sommes au début de l’année 2018, un vœu pieux : «Diminuer les marges au profit de la qualité».
Christophe Leray
*Couvent des Récollets. A l’initiative de Dominique Boré, présidente de la Maison de l’architecture Ile-de-France, l’évènement est piloté par Francis Soler et coordonné par Olivier Leclercq. Il a été préparé par Francesco Marinelli, Patrick Rubin, Guillaume Sicard, Marc Sirvin et Sébastien Van Cappel.
** Parmi les invités : Altaréa Cogedim, BDP Marignan, Dominique Boré, Cadre de ville, Canal architecture, Compagnie de Phasbourg promotion, Elioth ingénieur, Emerige promotion, Epamarne, Fondation Abbé Pierre, Grand Paris aménagement, Groupe SNI , I3F bailleur, It’s, Olivier Leclercq, Christine Leconte, Le Moniteur, Les Echos, Libération, Logéo, Quartus promotion, Pierre Mansat, Nacarat promotion, Nexity promotion, Nexity Appolonia, Ogic promotion, Paris Habitat, François Pupponi, Rabot-Dutilleul construction, RAW [playground], REI Habitat, SML architecte, Architecte, SVC Architecte, Tempere construction, Urban Era Bouygues, VPEAS économiste, Vinci Immobilier
*** le Design Thinking, ou Design des connaissances, est un outil de représentation et d’exploitation de la complexité des projets. L’autre design https://www.lautredesign.com