Dans le cadre du programme 8 000 promis par le président Macron, nombre d’appels d’offres sont en cours ou en passe d’être lancés, pour livraison en 2022 et 2027, années d’élections présidentielles. La doctrine de l’administration évolue lentement mais l’équilibre du système pénitentiaire demeure fragile. Raison de plus pour les architectes de s’emparer du sujet.
Depuis la révolution, la prison, comme les écoles, les hôpitaux, etc. fait partie du système républicain. Il s’agit d’un pouvoir régalien, garant du respect de la règle, la démocratie en l’occurrence. Si vous allez en prison, ce n’est plus au nom de l’arbitraire royal ou religieux, mais au nom de la protection due à tout citoyen. Les curés pédophiles en découvrent aujourd’hui les attraits.
D’ailleurs, les architectes du XIXe siècle ont abordé le sujet de la prison, et de l’hôpital psychiatrique en symétrie, avec l’enthousiasme des Lumières. Aujourd’hui, les agences d’architecture qui construisent des prisons prennent le risque de l’opprobre et d’actions plus ou moins violentes de la part d’anarchistes en mal de cause. De fait, l’architecture carcérale est très peu enseignée dans les écoles, l’influence sans doute de Mai 68 et son slogan «ni casernes ni prisons». Pourtant, la société telle que nous la connaissons n’a jamais cessé de construire des prisons et, en ce moment, en France, il y a du travail.
Même si Emmanuel Macron a divisé de moitié son plan prison original, 8 000 places n’en seront pas moins lancées d’ici 2022 et livrées jusqu’en 2027. Qu’on en juge, liste non exhaustive (prenez votre respiration) : Tremblay-en-France (700 places), Noiseau (700 places), Val d’Oise (600 places nettes), Melun (700 places nettes), Caen-Ifs (550 places), Rennes (450 places nettes), Angers (400 places), Strasbourg Eurométropole (500 places), Pau (250 places), Toulouse-Muret (600 places nettes), Perpignan (500 places nettes), Alès (500 places nettes), Avignon (400 places nettes), Var (600 places nettes), Nice (650 places nettes).
Sans oublier les opérations déjà engagées ou en voie de l’être (on reprend une bouffée d’air) : Centres pénitentiaires de Baie-Mahault (300 places, livraison 2022), de Lille – Loos (840 places, 2022), de Marseille – les Baumettes 3 (740 place, 2022)*, ou celui de Troyes (500 places, 2022). Sans oublier la Maison d’arrêt de Basse-Terre (200 places, 2021), conçue par Cardete Huet, ou encore la future prison de Lutterbach (520 places, 2011) imaginée par SCAU ou encore, livré début 2019, le SPIP (Service pénitentiaire d’insertion et de probation) ET QSL (quartier de semi-liberté) de 92 places imaginé à Nanterre par LAN.
Mine de rien, cela en fait des appels d’offres, pour des projets compliqués généralement bien rémunérés….
«Le programme immobilier pénitentiaire à venir doit permettre de diversifier les établissements pour mieux adapter les régimes de détention à la situation de chaque détenu selon sa condamnation, son profil, son parcours», indique l’APIJ (Agence publique pour l’immobilier de la justice). Ce programme permettra, à titre principal, de construire des maisons d’arrêt, c’est-à-dire ces établissements où croupissent nombre de prévenus en attente de leur procès et où sévit la surpopulation.
Le marché des prisons, sans être réservé, était pour ceux qui osaient en accepter la charge, souvent à leurs risques et périls, le fait de quelques agences historiques, Guy Autran, puis SCAU, Architecture Studio et Archi 5 notamment, chacune payant son dû en injures et exactions diverses, l’étendard républicain étant parfois difficile à porter.
Aujourd’hui, pour les nouveaux concours, le message de l’administration est de prendre des agences qui n’ont jamais fait de prison. Dont acte. Des agences connues sont d’ores et déjà sur les rangs de ces gros budgets. Pour la maîtrise d’ouvrage, l’objectif est de faire émerger de nouvelles idées architecturales. Ce qui revient à supposer que les agences ‘spécialisées’ auraient elles-mêmes cessé d’innover, ce qui, dans le respect du cahier des charges, reste à prouver.
Ce d’autant que les quartiers pour détenus radicalisés (QPR) qui font désormais florès, dont celui de la maison centrale de Condé-sur-Sarthe, témoignent d’un changement de paradigme. Il était auparavant estimé que la dissémination permettait d’éviter les violentes logiques de gang ou de sectes raciales ou religieuses, l’idée étant que 10 loups entourés par 200 brebis se tiendraient à carreau. La réalité s’est montrée cruelle, les 10 loups ayant tôt fait de pourrir la vie de tout le troupeau. A ce titre, la prison est l’exact reflet de la société.
D’où l’idée nouvelle de prendre ces ‘radicalisés’ hors du système par défaut et les isoler dans un coin où ils seraient tous regroupés. C’était déjà l’idée de Georges Bush avec Guantanamo, la légalité en plus. Du coup, par exemple, parmi les appels d’offres en cours, une mission de maîtrise d’œuvre portant sur l’aménagement d’un QPR au centre pénitentiaire d’Aix-Luynes ou la conception-construction-aménagement d’un QPR au centre de Bourg-en-Bresse.
C’est justement la raison pour laquelle les architectes doivent reconsidérer les prisons et, par extension, tous les lieux d’enfermement car eux seuls sont en capacité de chercher le plus possible à les humaniser et en atténuer l’aspect délétère. Ce d’autant plus qu’une évolution du système pénitentiaire est malgré tout notable.
A l’instar d’autres pays, et bien après eux, le système pénitentiaire français retrouve timidement un objectif d’accueil et de réinsertion dans la vie sociale extérieure, avec une volonté de privilégier une sûreté passive plutôt que physique. Dit autrement, autant faire que le voleur de pommes ou le conducteur sans permis qui se retrouvent incarcérés n’en ressortent pas complètement abîmés par le système.
C’est tout le sens des unités de vie familiale (UVF), nées en 2003, permettant aux détenus de recevoir leurs proches dans l’intimité. Signe d’une timide évolution des mentalités, Médiapart relevait en 2016 que seulement 28 établissements sur 188 en étaient équipés. Aujourd’hui, par la grâce des architectes, ces UVF ont évolué, elles possèdent toutes les aménités d’une chambre d’hôtel, parfois même une terrasse (ce qui a d’ailleurs le don d’entretenir l’ambiguïté : «aller en prison comme à l’hôtel» comme disent ceux qui n’y sont jamais allés).
Toujours est-il que depuis le programme 13 200 de 2002, un dialogue entre la maîtrise d’ouvrage, les utilisateurs et les concepteurs a réussi à s’instituer. «Sauf que les relations entre les détenus et les gardiens se sont détériorées avec le changement de système : avant, le gardien était proche des détenus, aujourd’hui, le même n’a matériellement plus le temps d’apporter cette dimension humaine. Quand il y a un gardien pour 60 ou 100 prisonniers, il est lui-même rendu au rôle de porte-clefs et se retrouve à pousser les gens comme des pions», déplore un architecte proche du sujet.
Dit autrement – et ce sont là sans doute les limites de la bonne volonté d’évolution de l’APIJ – pour la partie fonctionnelle, «ce n’est pas DisneyWorld», comme dit l’un de ces architectes historiques. «Construire une prison est un projet extrêmement complexe, plus compliqué qu’un hôpital ou un aéroport avec un système d’organisation spatiale et fonctionnelle d’une grande contrainte», dit-il. Avis aux impétrants.
Si l’architecte tente de valoriser quelques éléments – l’image extérieure de l’édifice, le parloir, les UVF, etc. – il va en effet vite se heurter aux mêmes murs que les détenus. «Dans une cellule, il y a les toilettes, une douche, une cuisine, une T.V., tu vis comme hors les murs mais dans 10,5m². La prison n’est pas inhumaine, c’est la façon dont on y vit qui est inhumaine», dit l’un, exprimant ainsi la limite des architectes. «On met de la lumière, on nous rajoute des grilles, des barbelés, pour la ‘sécurité’», ricane un autre tristement.
Qui plus est, la prise de risque de l’administration est par définition limitée. Il y a la force de l’habitude – il y aura toujours 250 raisons pour ne rien changer – et la peur panique de l’incident rédhibitoire pour une carrière de fonctionnaire, comme celui, récent, de Condé-sur-Sarthe.
Cela dit, pour accompagner cette transition, un autre sujet sur lequel travaillent les architectes est l’image de la prison, qui tend à revenir en ville – c’est la proposition de quelques-uns des concours lancés par l’APIJ -, ne serait-ce que pour sa valeur d’exemplarité. Pour le coup, les miradors et barbelés tendent à disparaître pour l’expression d’un bâtiment public offrant une vision nouvelle de l’incarcération. Pour se réinsérer dans la ville, faut-il vivre en ville ? Se souvenir qu’il y a une prison au cœur de Downtown Chicago et que, à la fin du XIXe siècle, Paris intra-muros en comptait une vingtaine.
Enfin dernière difficulté : considérant le prix du terrain en ville, entre une prison et un projet de logements de Nexity, il choisit quoi le maire ?
Construire à la campagne ? Sauf que les terrains refourgués à l’administration pénitentiaire sont les plus pourris dont même les chèvres ne veulent pas, avec toujours une ligne haute tension pas loin. Sinon, entre un centre commercial et une prison, il choisit quoi le maire rural ?
Bref, le fragile équilibre de l’évolution du système pénitentiaire français est à la merci d’une agression spectaculaire comme celle de Condé-sur-Sarthe en mars 2019. Avec tout ce qu’il y a de prisons à construire dès aujourd’hui, si l’on veut garder l’espoir d’un futur meilleur, l’implication des architectes n’est pas seulement nécessaire, elle s’impose.
Christophe Leray
*Mis à jour le 28/08/2019