J’avais bien évidemment prévu un autre édito pour l’édition de ce jour. Jusqu’à ce que Notre-Dame de Paris ne parte en flammes lundi 15 avril 2019 dans la soirée. Enfin pas tout mais une bonne partie quand même. Comme tout le monde, je suis passé par plusieurs états de sidération.
Sidération de regarder ce bâtiment ô combien symbolique brûler pendant des heures au cœur de la capitale, le pompier dans sa nacelle avec sa lance à eau semblant bien dérisoire face à l’intensité du brasier. Je suis certain que les pompiers se sont maintes fois entraînés à réagir à un incendie à Notre-Dame. De fait l’évacuation semble s’être passée en bon ordre et aucune victime, apparemment, ne semble heureusement à déplorer.
Mais personne n’a-t-il donc envisagé le pire, pour s’y préparer, qu’il faille se résoudre à regarder Notre-Dame se consumer de l’intérieur jusqu’au cœur de la nuit comme une centrale nucléaire hors de contrôle ? Un tel évènement occasionnant de tels dommages, c’est donc possible ailleurs également dans Paris ?
Sidération lorsque s’effondre la flèche de la cathédrale, une image pathétique qui n’est pas sans rappeler l’effondrement des ‘Twin Towers’ à New York.
Si toutes les hypothèses sont aujourd’hui envisagées, de l’accident de chantier dû à la sottise humaine à la passion pyromane d’un autre idiot, voire l’intention terroriste d’un fanatique illuminé, aucun commentateur ne semble pourtant devoir envisager la colère divine. Feu purificateur pendant la Semaine sainte ? Par les temps qui courent, des prélats auraient de bonnes raisons de se méfier, voyez ce qui est arrivé à Sodome et Gomorrhe.
Au moins, dans les temps anciens, la colère divine était une explication permettant de rationaliser un évènement aussi déroutant que celui auquel nous avons assisté lundi soir. Chez les populations isolées, la mort de quiconque prenait invariablement des airs mystérieux. «Mais je l’ai vu hier chasser le pécari et il/elle semblait en pleine forme». Il est cependant probable qu’il ou elle avait peut-être depuis des années des problèmes de cœur ou de ceci ou de cela dont nul n’avait aucune idée et qui lui fut subitement fatal.
Ce n’est pas parce que l’on ne sait rien dès évènements imprévus dont nous sommes témoins qu’ils n’ont pas d’explication rationnelle. Sauf que sans elle, pour les croyants, la colère divine vaut ce qu’elle vaut. Mais bon, espérons donc que l’enquête déterminera une cause accidentelle, ni humaine ni divine, le deuil en sera moins pénible.
Sidération encore à la vue de cet échafaudage qui aura lui résisté jusqu’au bout, ce qui est quand même paradoxal, comme un exosquelette qui ne porterait plus rien, résistant mais devenu inutile jusqu’à l’absurde.
L’outrage de l’incendie, d’une infinie tristesse, n’en est pas moins consommé. Certes les pertes sont incommensurables pour la France et le monde du point de vue de l’histoire, de l’art, de l’architecture, de la culture, mais il ne sert à rien de pleurer sur le lait renversé. La cathédrale telle que nous la connaissions n’est plus, et ne sera jamais plus. Mais sa présence symbolique demeurera quoiqu’il arrive : que dira-t-elle dans le futur de notre époque ?
Que faire ? Reconstruire évidemment, d’autant que les cathédrales en général, celle-ci en particulier, en ont l’habitude. En plus, à l’heure d’écrire ces lignes, la structure semble sauvée. Cette entreprise de réédification ne pourrait-elle pas, puisque nous ne sommes plus tout à fait au temps des cathédrales, tout en conservant la spiritualité du lieu, transcender la religion et incarner les valeurs universelles que sont celles de Paris et de la France dont Notre-Dame était devenue au fil du temps l’un des ouvrages tutélaires ? Quoi qu’il en soit, face à la désolation, à moins de conserver ces ruines dans le centre de Paris comme une sorte de Colisée, est-il d’autre alternative qu’une reconstruction ?
Prévoir en tout cas un débat d’une féroce cruauté entre Anciens et Modernes avant que toute décision ne soit prise, au risque qu’il nous faille attendre 107 ans, le temps qu’il fallut selon l’expression consacrée pour édifier Notre-Dame (en réalité 200 ans entre le XIIe et XIVe siècles).
A l’actif des Modernes, le fait est que la cathédrale elle-même a subi nombre d’interventions, dont la construction de cette flèche de 90m édifiée en 1860 seulement et aujourd’hui déjà disparue. Les mêmes diront que l’ouvrage a vu apparaître l’automobile avant de la voir disparaître.
Les Anciens rappelleront qu’un an après la livraison de Notre-Dame, en 1345, les hostilités reprenant entre Français et Anglais, Edouard III débarquait dans le Cotentin, envahissait la Normandie et marchait sur Paris ; alors pas question, ad infinitum, de reconstruire une cathédrale aux couleurs de la dernière mode en cours ou des lubies d’untel ou d’unetelle bien en cour.
Prévoir encore des discussions au sujet du financement. Une cathédrale est financée par l’Etat, la région, la commune, l’Europe peut-être pour certains travaux de rénovation, par la métropole qui sait, par la communauté des croyants en tout cas, par quelques mécènes sans doute, bref par à peu près tout un chacun quelle que soit son obédience. Si l’on n’y prend garde, ces marchandages de marchands du temple dont nos politiques sont coutumiers risquent eux aussi de prendre 107 ans, la capacité du pays à agir efficacement dans l’urgence étant reconnue dans le monde entier.
Puisqu’il a déclaré le soir même de la catastrophe que «cette cathédrale, nous la rebâtirons», une idée pour le président Macron et Stéphane Bern : organiser un Super Super Loto du patrimoine, un loto MONDIAL pour Notre-Dame de Paris !
Et puisque les USA est le pays des béni-oui-oui – même Donald Trump a versé une larme -, ne pas hésiter à aller taper Hollywood – Sauver Notre-Dame comme Free Willy – et aller taper Disney puisque son bossu est désormais collector. Vladimir Poutine est un autre béni-oui-oui qui a bien financé sa propre cathédrale à Paris et qui pourrait donner un coup de main. Qui sait, même le Vatican pourrait mettre la main à la poche !
Toujours est-il que, face à l’histoire, le moment en appelle à une détermination sans faille pour laquelle les vœux pieux ne suffiront pas. Pour info, les Américains ont reconstruit la ‘One World Trade Center’ en six ans à peine (entre avril 2006 et août 2012, le dernier morceau de la flèche étant installée en mai 2013), soit peu ou prou en dix ans à partir de la date du 11 septembre 2001.
Pourquoi un tel objectif ne pourrait-il pas être atteint à Notre-Dame ? L’occasion est inespérée pour la France de montrer tout son savoir-faire – y compris les savoir-faire immémoriaux de ses artisans – pour reconstruire sans attendre une nouvelle cathédrale qui sera encore dans 700 ans le symbole contemporain du dynamisme de la France, de l’unité de la nation et des vertus de ses maîtres d’œuvre.
Prévoir des recours cependant. D’ici qu’Anciens et Modernes aient fini de s’invectiver, à cette heure grave, le moment est donc celui de lancer sans attendre un grand concours (international ?) d’architecture pour une nouvelle Dame.
Budget : illimité.
Temps de chantier : illimité.
Récompense : architecte à vie de la cathédrale.
Juste une chose malgré tout à destination du jury : s’il vous plaît, pas de canopée.
Christophe Leray