Le 17 avril 2019, à l’issue du Conseil des ministres, d’ailleurs entièrement consacré au sujet – le reste du monde, les gilets jaunes, le grand débat, tout ça peut attendre –, le premier ministre a annoncé le lancement d’un concours international pour reconstruire la flèche de la cathédrale Notre-Dame. Quelle audace ! Qui n’a pas hâte d’en connaître les détails ?
Ce concours «permettra de trancher la question de savoir s’il faut reconstruire une flèche, s’il faut reconstruire la flèche qui avait été pensée et construite par Viollet-le-Duc ou s’il faut, comme c’est souvent le cadre et le cas dans l’évolution du patrimoine et l’évolution des cathédrales, doter la cathédrale Notre-Dame de Paris d’une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque», a expliqué Edouard Philippe.
Une déclaration qui eut le don d’exciter les architectes. Même Sir Norman Foster s’est immédiatement fendu d’une proposition pro domo. Même les architectes dijonnais Godart+Roussel ont des idées et eurent l’honneur de France Bleue.
Pourtant l’intitulé même de ce concours illustre un conservatisme bien français, au fond assez effrayant. D’ailleurs toute la France de se réjouir que le coq de la flèche ait été retrouvé intact. Cocorico !
En effet, le concours n’est pas encore lancé qu’il est déjà restreint à la flèche. Pour le reste, tout le reste, c’est déjà tranché. Ce sera comme avant. Pas de concours international pour refaire la toiture ? Pour imaginer une cathédrale du futur ? On ne se donne même pas l’occasion de réfléchir. Notre fierté : refaire à grand-peine ce qui se faisait de mieux à l’époque de Jeanne d’Arc sans autre forme d’interprétation contemporaine, ça c’est de l’ambition !
C’est en tout cas la preuve évidente d’une grande ouverture d’esprit et d’une capacité à penser à 700 ans d’avance. ‘Back to the past’ comme on dit à Hollywood ! Seule concession à la modernité, la nouvelle charpente, qui ne se verra pas, pourra peut-être être construite autrement qu’en bois pour des questions de coût, de poids, de rapidité, etc. Parce que sinon, pour l’identique, les charpentiers vont devoir réviser fissa leurs tenons et mortaises s’ils ne veulent pas que la reconstruction prenne 107 ans, le temps de faire pousser les chênes. A moins que le CLT bien sûr…
Au cas où, sans attendre, les marchands d’acier ont proposé d’offrir tout le métal nécessaire à une nouvelle structure, idem avec les fournisseurs de béton, de verre, de vis et de boulons et les fabricants de sprinklers. Pour ce chantier, c’est bien simple, tous les matériaux seront gratos et on n’attend plus que les bénévoles pour les mettre en œuvre. Et pourquoi pas des chantiers de la jeunesse à la gloire de Notre-Dame ?
Ces offres désintéressées des industriels s’ajoutent aux dons en espèces de riches familles soudain touchées par la grâce. Bernard Arnault et LVMH apporteront ainsi 200 millions d’euros. C’est l’effet Whaou ! Se souvenir pourtant qu’en 2013, le quotidien Libération expliquait comment le même avait, au nom de l’avenir préservé de ses enfants, transféré en Belgique ses participations dans LVMH, pour un montant de 6,6 milliards d’euros. Alors 200 boules, aussi loin qu’il est concerné, ce n’est pas un don, c’est une obole. Merci quand même.
Selon l’AFP, la famille Bettencourt-Meyers et L’Oréal en ont mis autant, d’oboles. Ceux-ci réagissaient à la mise initiale de la famille Pinault qui la première avait débloqué 100 M€. D’autres gros donateurs ont suivi dont Total (100 M€), les propriétaires de Decaux (20 M€), Martin et Olivier Bouygues (10 M€), le groupe Disney ($5M)…
Rien du Vatican, soit-dit en passant, sinon des prières … Inestimables les prières sans doute !
Toujours est-il que, devant tant de dévouement, il n’a pas fallu deux jours pour que l’opinion publique – déjà à cran de gilet jaune – ne hurle à l’optimisation fiscale, dont ces familles et ces groupes sont coutumiers. François-Henri Pinault, président d’Artemis, annonçait alors bravement qu’«il n’est pas question d’en faire porter la charge [de ses dons] aux contribuables français». Il faudrait le remercier en plus ?
En tout cas, depuis, Les autres généreux donateurs se sont faits discrets même s’ils se félicitent sans doute, in petto, que ce même 17 avril, à la sortie du Conseil des ministres, le Premier ministre ait conservé «dans les conditions actuelles» cet avantage fiscal qui leur offre l’accès à la culture. Ouf ! Pas trop chère la rédemption ! Charité chrétienne bien ordonnée commence par soi-même… Ce qui en passant en dit long sur l’ambition des dites riches familles pour le pays ! Avant l’illumination de Notre-Dame, d’évidence, ces centaines de millions ne ruisselaient pas.
Nous disons ‘familles’ mais ce n’est que facilité de langage puisque ce sont surtout leurs fondations ad hoc qui sauront prendre en charge ces importants travaux de rénovation d’utilité publique ; ce n’est pas comme si les héritiers allaient manquer d’argent de poche à cause de Notre-Dame. Manquerait plus que ça ! C’est bien la preuve que ces fondations ont tant d’argent qu’elles ne savent qu’en faire puisqu’il suffit d’un coup de fil du boss pour débloquer dans l’heure 100 ou 200 millions.
Le divin animerait-il les divers sponsors qui se sont manifestés ? Ou Notre-Dame sera-t-elle le lieu où s’afficheront bientôt des logos triomphants, tels ceux qui pavoisent sur les stades de foot ? Et pourquoi pas un concours international de ‘naming’, à 500 M€ le ticket ? Notre-Dame de l’Oréal Notre-Dame d’AXA ou Notre-Dame de LVMH, histoire de reconstruire une cathédrale bien représentative de l’époque ?
Toujours est-il que voilà un milliard d’euros récolté en quelques jours et c’est bien le signe qu’il y a beaucoup trop de cash aux mauvais endroits, en ce sens que l’Oncle Picsou n’est connu ni pour son progressisme ni pour sa capacité à innover pour le futur. Mais quand Notre-Dame fait pleurer dans les chaumières, Picsou n’est pas le dernier à demander que tout demeure «comme avant». Mauvaise conscience ? Pour information, 1 Md€, c’est le prix tout compris, inclus l’ensemble des équipements dernier cri, du futur CHU de Nantes ! Et avec de la marge encore.
En regard de tant de générosité, considérant qu’il n’y a pas eu à Paris la moindre victime, même pas un touriste blessé ayant besoin d’une cellule psychologique d’urgence, après les attentats au Sri Lanka lors du week-end de Pâques, c’est toute la dette de ce pays qui devrait être dans quelques jours comblée par les donations œcuméniques du monde entier. Allez les mécènes, encore un effort pour le Sri Lanka ! Montrez-nous donc votre générosité chrétienne ! A noter d’ailleurs qu’à Notre-Dame l’afflux de fonds – ceux à 100M€ le ticket – s’est tari aussi vite qu’est née la polémique sur leur défiscalisation optimisée. Ce qui en dit long par ailleurs de l’échelle des indignations en cours.
Bref, que faire de ce tas d’or puisque se poser la question montre la bonne tournure des évènements ? Confier la cagnotte à l’appréciation des députés de la nation puisque l’Etat est propriétaire de la parcelle ? «Chaque euro versé pour la reconstruction de Notre-Dame servira à cela et pas à autre chose», a déclaré, martial, le Premier ministre. Voire.
Puisque l’on sait déjà qu’il va falloir refaire la charpente de telle façon que la future toiture ressemble à s’y méprendre à ce qu’elle était avant, puisqu’une nouvelle flèche est déjà acquise (et elle ne sera pas signée Daniel Libeskind, à moins que la Compagnie de Phalsbourg…), le montant des travaux peut être estimé à environ 600 M€, à plus ou moins 100 M€ près. C’est déjà le prix d’une belle tour. Et c’est vraiment compter large. Bref, les 400 M€ de différence par rapport au milliard déjà encaissé représentent par exemple au moins vingt fois le gain espéré par le fameux loto du patrimoine cher au président.
Bien sûr, chaque donateur voudra son nom sur son morceau d’histoire à Notre-Dame mais devra peut-être, via la Fondation du patrimoine, sponsorisée par Total d’ailleurs, se contenter d’une mention sur la plaque d’une église dans le Morbihan. Ce n’est pas comme si l’Etat allait rendre la monnaie et, à moins de couvrir la toiture de Notre-Dame à la feuille d’or…
En attendant, c’est le ministère de la Culture, auquel échoit de conduire les travaux, qui va devoir briller, et sans tarder encore. Sans oublier non plus l’empreinte carbone du projet ; la nouvelle Notre-Dame sera BREEAM, au minimum, ou ne sera pas ! Les propositions de flèche vont affluer par milliers de toute la planète. Sous les yeux du monde entier, voilà Franck Riester prévenu. S’il voulait un quart d’heure de célébrité, il est servi !
Pour finir, cet incendie de Notre-Dame se montre finalement plein de vertus. Il a multiplié encore le nombre de touriste autour du site au point qu’il peut paraître opportun à Anne Hidalgo, maire de la capitale, d’en interdire tout accès à la voiture au moins depuis Bercy d’un côté, depuis le Trocadéro de l’autre.
Il démontre encore la capacité de ce pays à se projeter dans le futur avec audace, inventivité et foi en l’avenir. La preuve, c’est à Stéphane Bern, l’obséquieux et compassé biographe des rois et reines, qu’est confiée l’affaire de réparer à peu de frais «le lien abîmé entre l’église et l’Etat», pour citer le révolutionnaire Macron, républicain en diable. D’ailleurs la reconstruction ne va prendre que cinq ans !
Christophe Leray