Le mois de juillet est souvent synonyme de rendus sous des chaleurs écrasantes, de fignolages, de rangement, bref de dernière ligne droite avant un repos bien mérité. Le mois de juillet est aussi celui des préparatifs d’avant-plage où chacun glissera un, deux, dix, … vingt livres pour l’été ! Le transat n’a-t-il pas été dessiné pour quelques plaisirs coupables ou assumés à souhait ?
Petit, grand ou éternel adolescent, nous avons tous un souvenir d’un personnage de BD au langage fleuri, d’une enquêtrice de la Belle-Epoque, d’un ténébreux marin voyageur en noir et blanc, d’un détective cynique dans les rues de Paris, d’un héros de la mythologie colorisé… De tant d’autres !
La patte d’Hugo Pratt, les couleurs d’Hergé, le style de William Vance, l’atmosphère urbaine de Tardi auront sans doute éclairé bien des vocations, à tout le moins un goût pour le dessin, et ce malgré l’omniprésence des ordinateurs.
Bien des ponts peuvent ainsi être lancés entre les aventures d’Eugen Robick et les élucubrations plus terre à terre d’architectes en noir et blanc. C’est pourquoi Chroniques d’Architecture vous propose, en guise d’avant-goût de vacances, et histoire de compliquer un peu plus le bouclage des valises, une sélection d’ouvrages dessinés, avec plus ou moins de lettres à l’intérieur, à lire dans un sens, puis dans l’autre, dans des styles graphiques à ravir les dessinateurs que les architectes sont toujours un peu !
Classique parmi les classiques
Les Cités Obscures, «La fièvre d’Urbicande», Peeters et Schuiten, Casterman.
Urbicande. Une ville altière, majestueuse, conquérante. Ses lignes d’une pureté sans pareille font l’admiration de tous ; peut-être sa splendeur en fait-elle la ville des villes. Pourtant, l’urbatecte Eugen Robick, l’un des grands artisans de ce rayonnement architectural, est insatisfait. La Commission des Hautes Instances, véritable gouvernement d’Urbicande, lui refuse l’aménagement dans la cité d’un troisième pont qui, prétend Robick, rétablirait un équilibre urbain gravement menacé. C’est dans ce contexte de tension politique et émotionnelle qu’un étrange objet fait son apparition sur le bureau de Robick : une structure cubique évidée d’origine inconnue, faite d’un métal apparemment indestructible, et qui commence lentement à croître et proliférer…
Paul Auster, Woody Allen, Patrick Modiano… version BD
Asterios Polyp, David Mazzucchelli, Casterman.
Fils d’immigrant, Asterios Polyp est l’archétype du brillant universitaire américain de la côte est. Un intellectuel plein de charme et d’assurance, tour à tour cynique, séducteur ou arrogant. Mais le personnage social sophistiqué qu’Astérios s’est composé avec soin va voler en éclats par une nuit d’orage, alors qu’il vient d’avoir cinquante ans. Jeté à la rue par l’incendie accidentel de son appartement, Asterios, bouleversé, part au hasard d’un bus Greyhound, comme s’il larguait soudain les amarres de toute une vie…Une parenthèse ? Un nouveau départ ? Ou le début d’un sévère examen de conscience, ponctué du souvenir de ses amours et de ses échecs ?
Parce qu’il n’y a pas qu’Haussmann dans la vie !
Robert Moses – Le Maître caché de New York, Pierre Christin, et Olivier Balez, Glénat
À New York, il est presque impossible de marcher, de rouler, de nager, de pratiquer un sport, de s’asseoir ou même de dormir sans utiliser la création d’un certain Robert Moses, véritable équivalent new-yorkais du baron Haussmann. De 1930 à 1970, cet architecte va littéralement transformer le visage de la Grande Pomme en construisant quelques-unes de ses structures les plus célèbres comme le pont de Verrazano. Grand urbaniste, il créera également de nombreuses aires de jeux, des piscines ou des écoles et bâtira 150 000 logements, remplaçant ainsi ceux qu’il avait fait détruire pour dégager de soi-disant taudis et faire passer ses routes… Car par ses grands travaux, Moses deviendra un homme controversé, faisant peu de cas des populations défavorisées et des minorités en se rendant notamment responsable de la «ségrégation invisible».
Alerte talent !
Negalyod, Vincent Perriot, Casterman.
Après des polars urbains qui fouillaient l’âme humaine avec intelligence et une certaine grâce (Belleville Story, Paci), Vincent Perriot, qui a mis deux ans à dessiner cet album se plonge dans la galaxie de la science-fiction. Il laisse libre cours à la virtuosité de sa plume et aborde les thèmes qui lui tiennent à cœur, liés aux bouleversements environnementaux et sociétaux du monde contemporain en proie à l’emprise du réseau, les écarts sociaux entre villes et campagnes… La BD montre une ville qui n’est pas techno-futuriste, sans doute pour des questions de goût et d’esthétique. Vincent Perriot s’est permis de fantasmer une ville géante à partir d’éléments empruntés aux Dogons, aux Égyptiens, aux Grecs…
Ciel d’Acier, plume acérée
Giant, tome 1, Mickaël, Dargaud
A la rencontre de la force et du coeur des ouvriers immigrés de New York au XXe siècle. New York, 1932. Malgré la grande dépression qui frappe durement l’Amérique, les buildings s’élèvent toujours plus haut dans le ciel de Manhattan et les chantiers prolifèrent. C’est là que travaille Giant, un homme taciturne à la carrure imposante. Ses collègues le chargent d’avertir la famille d’un compatriote irlandais du décès accidentel de celui-ci. Mais, dissimulant la triste vérité, le mystérieux colosse envoie une belle somme d’argent à Mary Ann, la jeune veuve, ainsi qu’une lettre dactylographiée qui pourrait être de son mari… Elle lui répond et commence alors une correspondance régulière, sans que Giant dissipe le mensonge. Vient alors le jour où Mary Ann et ses enfants débarquent à New York…
Stop à la vitesse, savourez le ralenti
Chisakobé, 4 tomes, Minetaro Mochizuki, Le lézard noir (édition française)
Chiisakobé est un seinen manga de Minetarō Mochizuki, librement adapté d’un roman de Shūgorō Yamamoto.
Shigeji, jeune charpentier, perd ses parents et l’entreprise familiale, Daitomé, dans un incendie. Se rappelant les paroles de son père, «Quelle que soit l’époque dans laquelle on vit, ce qui est important, c’est l’humanité et la volonté», il fait le serment de reconstruire Daitomé. Adaptation du célèbre roman de Shûgorô Yamamoto situé dans la période Edo et que Minetarô Mochizuki transpose dans le Japon d’aujourd’hui, Chiisakobé attire d’abord le regard par son dessin pop, agréable et élégant, qui nous donne envie de nous attarder sur chaque case. D’une composition originale et rempli d’humour, l’univers de Chiisakobé charme le lecteur tout en le prenant rapidement dans son suspense : Shigeji parviendra-t-il à reconstruire Daitome ?
Historique
Les damnés de la Commune, «À la recherche de Lavalette» part.1, Raphaël Meyssan, Delcourt
«Qui est Lavalette ? Il a habité mon immeuble, il y a un siècle et demi, en pleine Commune de Paris. Je suis parti à la recherche de ce voisin communard, guettant ses traces dans de vieux livres et des archives endormies. Dans mon enquête, j’ai croisé Victorine. Son témoignage bouleversant m’a accompagné, me dévoilant peu à peu les années de tourments qui ont conduit à la révolution de 1871».
Entièrement réalisé avec des gravures issues de journaux et de livres du XIXe siècle, ce roman graphique nous révèle la vision que l’époque avait d’elle-même.
Social
Demain Demain, «Gennevilliers cité de transit 1973», Laurent Maffre Arte Editions Actes Sud.
1973 : Relégués aux confins de la ville dans les baraquements insalubres d’une cité de transit, la famille de Kader se désespère d’attendre. Face à cette injustice, le fils, Ali, compte bien construire sa vie à sa manière. La famille Saïfi a été installée route du Port à Gennevilliers, un no man’s land où plusieurs cités de transit ont été édifiées. Fruit de la pensée coloniale, elles se présentaient comme le lieu où une action socio-éducative devait être menée afin de favoriser l’insertion sociale des populations immigrées et l’accession aux HLM. Les familles livrées à elles-mêmes se désespèrent d’attendre leur tour qui ne viendra pas.
Marginalisés et surveillés par l’administration, les enfants de la seconde génération prennent conscience de l’injustice de leur condition. Demain, demain retrace les trajectoires divergentes d’un père et d’un fils. De l’usine automobile où Kader, le père, trime en tant qu’O.S. (ouvrier spécialisé), au trou des halles où Ali, le fils, voit naître ses premiers désirs d’émancipation.
Prendre le temps et ralentir
L’homme qui marche, Jirô Taniguchi, Casterman.
Qui prend encore le temps, aujourd’hui, de grimper à un arbre, en pleine ville ? D’observer les oiseaux, ou de jouer dans les flaques d’eau après la pluie ? D’aller jusqu’à la mer pour lui rendre un coquillage dont on ne sait comment il est arrivé chez soi ? A l’heure où d’autres se laissent accaparer par les obligations et les tracasseries quotidiennes, happer par la course toujours plus effrénée des jours qui défilent, lui sait prendre le temps. Lui, c’est l’homme qui marche. Odes aux moments volés, aux détours parfois oisifs et aux plaisirs simples de la promenade, ses déambulations en apparence anodines sont autant d’invitations à laisser le spectacle du monde nous révéler nos paysages intérieurs.
Coup de cœur avoué : Déambuler et observer
Monde parallèle, Clément Charbonnier Bouet, L’Association
Dans un décor urbain rigoureux et géométrique, un homme marche. Il scrute l’espace qui l’entoure, palpe la jungle des matériaux, observe les êtres qu’il croise. Est-il fou ? Perdu ? Il observe, poète implacable. Monde parallèle déroule le monologue d’un homme seul, arpentant avec acharnement un paysage qu’il tente de définir, un environnement périphérique qui l’a vu naître et dont il a renoncé à s’échapper. Le style graphique, noir et blanc au trait épais, géométrique et implacable, non négociable, est aussi construit et urbain que la ville et la vie de banlieue, triste et grise, qu’il dépeint.
Le pont de la rivière «East River»
The Bridge, PeterJ. Tomasi, Kamiti
Un album étonnant car reposant sur le récit de la construction d’un pont. Et pas n’importe lequel puisqu’il s’agit de celui qui relie Manhattan et Brooklyn à New York !
Le scénariste Peter J. Tomasi propose avec The Bridge de découvrir l’histoire derrière la construction du pont de Brooklyn, qui relia à la fin du XIXe siècle New York à Brooklyn. Une construction bien plus rocambolesque que nous pourrions l’imaginer car, au-delà de prouesses techniques rares pour l’époque, la construction de l’ouvrage se conjugue aussi avec une histoire familiale.
Celle de de la famille Roebling : après avoir fait fortune dans la production de câbles d’acier, John et son fils Washington se lancent dans l’aventure d’une vie, à savoir la construction d’un pont suspendu entre Brooklyn et New York. Un projet pharaonique qu’ils remportent grâce à leurs plans ingénieux et la promesse d’une construction de courte durée. Les quatorze années que nécessite finalement l’édification de l’ouvrage éprouvent beaucoup la famille.
Choc des cultures
Thermae Romae, Mari Yamazaki, Casterman (édition française)
L’histoire se déroule à Rome sous le règne d’Hadrien. On suit Lucius Modestus, architecte spécialisé dans la construction de thermes, qui se trouve être sur la pente descendante. Ses idées sont jugées trop classiques et il délaisse sa femme. Tout bascule lorsqu’un jour, se baignant dans des thermes, il est aspiré sous l’eau et se retrouve projeté dans le Japon moderne. Il découvre alors des procédés et des objets inédits qu’il met en pratique une fois de retour dans son monde antique. Par la suite, à chaque fois qu’il a besoin d’une idée pour innover, il se retrouve dans un endroit du Japon correspondant à ses besoins.
Le chef-d’œuvre, ce héro
L’aimant, Lucas Harari, Sarbacane
Pierre, un jeune étudiant en architecture parisien, se rend en Suisse afin de visiter les thermes de Vals, situées au cœur des Alpes. Le bâtiment a été conçu par le célèbre architecte suisse Peter Zumthor. Au fur et à mesure qu’il s’approche de la magnifique bâtisse, une mystérieuse attraction se révèle, de plus en plus forte.
Alice Delaleu
Merci aux libraires passionnés d’Atout Livres BD, (54 boulevard de Reuilly, 75012 Paris) pour leurs précieux conseils.