Disons-le comme ça. Quand l’incurie est politique, l’homme de l’art est le faire-valoir ou le bouc émissaire des projets qui ne se font pas. Par exemple, l’île Seguin de Boulogne-Billancourt puisqu’on en parle. Jean Nouvel, ancien pamphletiste, y propose un nouveau projet, au moins aussi bon ou mauvais que l’ancien. Sauf qu’il est déjà cuit.
Bref rappel historique : après l’élection présidentielle en 2007 mais avant les municipales de l’année suivante, Jean-Pierre Fourcade est encore maire – puissant, croyait-il – de Boulogne-Billancourt, la deuxième ville d’Ile-de-France.
«L’île Seguin sera un jardin des statues et autres œuvres monumentales», décréta-t-on pourtant en haut lieu. Le temps d’en rire, le sort de l’île Seguin en était jeté.*
Voire.
De fait, Le Figaro annonce aujourd’hui en juin 2011 que ‘Jean Nouvel invente une autre île Seguin’. Comme quoi les promesses n’engagent que ceux…
‘Autre’, l’île Seguin de Jean Nouvel l’est certainement sur le papier, et ce ne sont pourtant pas les ‘autres’ versions qui manquent. Nouvelles promesses. Sur le terrain, pendant ce temps, des oies paissent.
A l’époque, en 2007 donc, sur ce site de 11ha, le projet comptait 170.000m² construits avec de bons clients tels l’Université Américaine, un hôtel 5*, une résidence de chercheurs, une salle de musique et de bons architectes, Ricciotti et cie. Peu de bureaux, beaucoup d’équipements.
Jean-Christophe Baguet, catapulté de l’Olympe, l’a pourtant emporté aux municipales en dénonçant un programme «trop dense» pour l’île Seguin. Derechef, il éjecte les Fourcade, Ricciotti, Poitevin, FOA et consorts.
Après dues indemnités aux acteurs déjà engagés sur l’île, après avoir engagé Jean Nouvel lui-même pour le gros lot, Jean-Christophe Baguet, maire, fait trois ans plus tard voter en conseil municipal (le 16 juin 2011) un changement de PLU pour l’île, autorisant le développement de 330.000m² de SHON, dont 2/3 de bureaux.
170.000m² avant. 330.000m² après.
Trop dense ?
A ce titre, puisqu’il semble permis de dire n’importe quoi, autant alors transformer l’émergence en Macao-sur-Seine, en Las Vegas de Brimborion – il y a déjà le cirque du Soleil -, en Monaco accessible en métro. Ou alors en faire une réserve de chasse, une sorte de Jurassic Park biodivers – pourquoi Paris n’aurait-elle que le zoo de Vincennes de mémoire fameuse ? Ou encore une‘gated community’ accessible uniquement en hélicoptère ? Après Jean Nouvel, Zaha Hadid ?
C’est, d’aucuns en conviendront, prendre l’électeur pour une truffe (consentante ?) quand urbanisme et architecture ne sont à ce point qu’excuses et pièges à gogos. Qu’est-ce qu’on se marre dans la seconde ville d’Ile-de-France…
C’est de la politique paraît-il, alors pourquoi pas, sans remords, cette autre île Seguin.
En attendant, au-delà du cas Nouvel, l’île Seguin garde son mystère. Tandis que le temps passe, même si tout le monde a un avis, de cette table rase personne au final ne sait que faire.
Deux ou trois choses pourtant.
Jean Nouvel vient de livrer la tour Horizon sur le Trapèze de Billancourt. Ironie de l’histoire, c’est Jean-Pierre Fourcade qui avait signé le permis de construire. «C’est Boulogne qui assassine Billancourt», disait l’autre. Virer sa cuti, pourquoi pas ? Son projet sur l’île Seguin est cohérent. Mais jouer à la radio et à la télévision l’architecte de circonstance au service de la communication désespérée d’un maire aux abois ? Que fait un Pritzker dans cette galère ?
L’île Seguin n’est qu’un exemple disions-nous. Voyons.
De sa main droite et de sa main gauche, Pénélope Hyde défait la nuit ce que construit le jour Pénélope Jekyll, même quand un permis de construire est signé, même quand les travaux sont engagés. Il faut y aller à la manœuvre.
A Aix-en-Provence, le tribunal de Francis Soler est annulé par le ministère de la justice. Les tribunaux de Jacques Ferrier à Rouen, d’Anne Demians à Douai, de K Architectures à Foix, entre autres, passent aussi à la trappe. Avant que le ministère de la justice ne relance aujourd’hui un concours à… Aix-en-Provence. Si ce n’est pas temps perdu et gabegie.
Et à Béthune, et à Rouen… jusqu’en Navarre.
Au final, les architectes et les contribuables en sont eux, quand vient l’aube, pour leurs frais, les premiers étant aux seconds, les moutons blancs, boucs de circonstance.
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur le Courrier de l’Architecte le 22 juin 2011