Louis Paillard aime à dire que « l’architecture est un sport de contact« . C’est en effet au contact de ses « héros » qu’il a appris le métier pour lequel lui-même dégage aujourd’hui des ondes positives, malgré une approche critique sans concession. Il oppose aux « spécialistes » spontanéité et fraîcheur, non sans application. Portrait d’un personnage attachant.
Dans son bureau jaune de l’agence multicolore en rez-de-chaussée, qui donne sur la petite rue des Prairies dans le 20ème à Paris, Louis Paillard possède deux globes terrestres. « J’en ai trois autres à la maison. Je les collectionne, à des époques différentes, parce qu’ils montrent le partage du monde. J’ai beaucoup de livres sur les cartes et la manière de représenter le monde tant la vision du monde par outil géométrique me fascine« , explique-t-il. Dans un enchaînement de pensées, il précise savoir dessiner des ‘anamorphoses’, un dessin géométrique savant qui ne permet de voir l’image que d’un seul angle.
Ainsi, sait-il que toute représentation du monde, y compris par le dessin, n’est pertinente que selon le point de vue d’où on la regarde et à un instant T. Et, puisque le monde est insaisissable, lui a choisi d’ancrer (et d’encrer) son existence dans « l’hyper réalité » du temps présent, tel qu’il est à l’instant T. « Je suis dans la meilleure période de l’histoire de l’homme et j’ai envie de la vivre à 150 à l’heure. Je n’aime pas trop cette architecture dite futuriste parce que mon futur, c’est ce que je vis maintenant. Chaque jour est différent et je veux le vivre là« , dit-il. Et, puisque cela a un rapport sans doute, il précise enfin bien aimer le 20ème arrondissement car c’est « un quartier populaire où les gens habitent« .
« Dans ce monde sauvage et incertain, le métier d’architecte est devenu une pratique dangereuse. Il faut constamment prendre des risques : économiques, politiques, sociologiques et esthétiques« , expliquait Louis Paillard en 2005, alors qu’il s’apprêtait à livrer l’Ecole supérieure des Beaux-arts de Valenciennes, première opération d’importance – une rénovation – pour celui qui avait, quelques années plus tôt, quitté Périphériques pour repartir à zéro, ou presque, dans 35m², dans le 20ème déjà.
La philosophie de l’agence est aujourd’hui encore plus explicite : « No risk, no fun« s’affiche en préalable à la visite de son site Internet. « Ma femme me dit ‘vu la crise, est-ce que c’est bien d’annoncer ainsi la couleur ?’ Mais c’est ma personnalité« , dit-il. « Et faire un mauvais bâtiment requiert autant d’énergie, voire plus, que construire un bâtiment qui a de l’intérêt« , ajoute-t-il. Quelle qu’en soit l’échelle d’ailleurs. Il prend l’exemple d’une conférence d’Alvaro Siza qui avait choisi, plutôt que l’école d’architecture de Porto, de présenter un escalier construit pour sa soeur. « L’usage, la matérialité, les proportions, etc. tout était résumé dans ce petit projet« , se souvient Louis Paillard. Et quand Louis Paillard est impressionné, il va à la rencontre, littéralement, de ses « héros« .
S’il dessinait et bricolait, Louis Paillard enfant, issu d’une famille de la grande banlieue parisienne (Mantes-la-Jolie, dans les Yvelines) sans « accointance » avec l’architecture, n’imaginait pas devenir architecte. Il a 16 ans quand son père l’inscrit, à son insu, au concours de l’Ecole Boulle à Paris. 600 candidats, dont le petit Louis Paillard qui n’a rien préparé et pour cause. Il est reçu. Un déclic ! « Je dois avoir un petit don« , a-t-il pensé. Qu’il a développé dans un bâtiment « très Jules Ferry, noir, sombre, technique« , alors même qu’en France « travailler de ses mains est très mal vu« .
S’il ne s’étend pas sur ce qu’a éprouvé l’adolescent, il se souvient parfaitement d’images d’enfant qui allaient au final avoir une influence déterminante sur la course de sa vie. La première est le souvenir, lors de rares visites à Paris en voiture avec ses parents, de sa fascination envers ces »bâtiments de verre, éclairés la nuit« . Dans les années 70, c’était beau une ville, la nuit. Ayant par ailleurs vécu en Suisse – il a la double nationalité -, il raconte avoir « instinctivement » aimé ces maisons « solides, épaisses, des maisons ‘objets isolés’ dont on pouvait faire le tour« . Elles lui serviront plus tard à construire une architecture « compacte, solide et épaisse » dont la massivité est la première des protections.
Six ans à l’Ecole Boulle et un brevet de technicien designer plus tard, il réalise qu’à cet enseignement technique lui manque « une culture esthétique et contemporaine » qu’il ira chercher à l’école d’archi de La Villette, son instinct, encore, lui dictant qu’il avait envie de construire. Avec alors déjà une première conviction. « J’avais appris à l’Ecole Boulle qu’une commode Louis XV doit être parfaite et, pour moi, un bâtiment doit être aussi bien fini qu’une voiture ; la précision de mise en oeuvre est très importante et j’y suis très attaché« , dit-il.
Ses bacchantes n’avaient pas encore commencé à pousser que Louis Paillard collectionnait déjà, outre les globes, livres et bandes dessinées dont il se débrouillait pour rencontrer les auteurs. En devenant architecte, il découvre que, « tout à coup« , des personnalités emblématiques émergent. « Herzog & de Meuron, [Rem] Koolhass, [Jean]Nouvel sont des constructeurs mais avec un truc en plus, ils transcendent le métier« , dit-il. « Des icônes, des stars, des personnalités fortes » qu’il a, évidemment, voulu rencontrer.
« Pour moi ce sont des héros« , dit-il. La manie lui est restée. « Quand je vois un bâtiment intéressant, j’appelle l’architecte« , dit-il. C’est désormais réciproque. La veille de l’entretien, c’est Nouvel qui appelait pour lui dire tout le bien qu’il pensait de la requalification du Stade Marcel Saupin à Nantes, réalisée avec Jacques Ferrier et Philippe Gazeau (FGP). « J’aime bien le contact, on n’est pas tout seul dans son trou« , explique-t-il.
Après La Villette, son diplôme en poche, il ouvre immédiatement son agence car il pense que « c’est comme ça qu’on fait« . « Pendant 15 jours, j’ai attendu un appel« , se souvient-il, encore aujourd’hui autant étonné de sa naïveté de l’époque que du fait d’avoir effectivement reçu l’appel d’un confrère « qui cherchait un indépendant pour suivre un chantier« . Aujourd’hui enseignant, il met en garde ses étudiants. « Je pense qu’il faut dire la vérité, il y a un vrai décalage entre l’idée de l’architecture et la réalité de l’architecture« , dit-il. Et encore un autre, selon lui, entre la réalité et l’hyper réalité.
Un concept qu’il développe une fois devenu « mercenaire » de la perspective. « On dessinait à la main, c’était assez épique à l’époque. Mais nous avions un statut de star, nous étions très bien payés, on voyait le boss, nous étions responsables de l’image des bâtiments de l’agence. J’ai notamment introduit le collage chez Nouvel« . Réalité ou hyper réalité de l’image… « Surtout, j’ai pu voir comment fonctionne une agence et j’ai appris mon métier« , dit-il. Surtout, à force de travailler pour ses « héros« , il a acquis la certitude qu’il existe deux types d’architecture : une architecture banale qui, selon lui, représente 95% de la production en France et une architecture « autre » qui « transcende la commande » pour fabriquer un bâtiment qui va marquer un territoire.
« Un bâtiment ne doit pas seulement s’inscrire dans un contexte urbain, financier, politique et social mais il doit aussi émettre des ondes positives dans ce contexte« , dit-il. D’aucun aura compris quelle type d’architecture Louis Paillard souhaite réaliser. Mais Ondes Positives ? « Comme Blake&Mortimer dans SOS Météores, j’y crois beaucoup« .
De sa rencontre avec Anne-Françoise Jumeau, il commence à grimper les échelons de la »très bonne architecture » avec, sur un palier de l’échelle, la rencontre avec David Trottin, Dominique Jakob et Brendan MacFarlane, qui déclenche la formidable aventure Périphériques. « Mieux vaut être mousquetaire que tout seul« , résume Louis Paillard, que l’idée de solitude et repli sur soi semble terrifier.
Le groupe innove en manière de communication en faisant, notamment, appel à un graphiste pour leurs premières productions éditoriales. Une première exposition ‘Concours perdus’ est un énorme succès, une seconde – ’36 modèles pour une maison’, produite par arc en rêve à Bordeaux – fait le tour de la planète, de la foire de Reims aux galeries huppées de Suisse, d’Angleterre ou d’Australie. Les grands média généralistes s’en font l’écho et les architectes de Périphériques sont les premiers à voir leurs bobines en Une du Moniteur. En 2002, Anne-Françoise Jumeau et Louis Paillard se séparent, ce dernier quittant Périphériques dans la foulée en laissant tous les projets, sauf celui de l’Ecole des Beaux-arts de Valenciennes, qu’il construira seul. »J‘étais dans une grosse Ferrari, je me suis retrouvé en 4L« , dit-il.
S’en suit « un an de flottement« . Il pense reprendre le fil de sa passion première, le dessin, avec un concept « le roman dessiné », mais s’aperçoit vite de l’impasse financière. »Je suis retourné à ce que je savais faire : rencontrer des gens et faire de l’archi« , dit-il.
Ce qu’il ne savait pas, ou n’avait pas réalisé, est que, d’une part, son nom, au travers de l’aventure Périphériques, était connu et que, d’autre part, il pouvait compter sur des « amis très proches« . Ferrier et Gazeau notamment, avec qui il fonde FGP. C’est Gazeau encore qui lui fait rencontrer l’AP-HP, un maître d’ouvrage qui le retient pour le concours de l’extension de l’hôpital Robert Debré à Paris, qu’il gagne face à « un gros casting« . Il est invité à concourir pour le Macro lot A3 de la ZAC Seguin à Boulogne-Billancourt grâce à l’intervention de Patrick Chavannes ; il gagne encore. L’architecte Frédéric Gams, associé sur l’hôpital Debré, le suit et le soutient dans toutes ses pérégrinations. Avec de tels amis, qu’importent les ennemis.
Aujourd’hui, à 49 ans, Louis Paillard a les moyens de ses ambitions soit la pratique d’une architecture « efficace, économique, esthétique, durable, rationnelle, inventive, contextuelle, pratique, sobre, enthousiaste et contemporaine« . Avec un mot d’ordre : »partager les idées mais les négocier« . Il rit mais c’est d’un débat de fond qu’il s’agit. C’est ainsi qu’il a engagé un « dialogue à distance » avec Anne Lacaton et Philippe Vassal.
« Moi aussi, j’aime bien construire le maximum avec le minimum, mais j’essaye d’ajouter un plus à la matérialité de mes bâtiments« , dit-il. S’il se dit convaincu par l’approche et la générosité de Lacaton&Vassal, son « économie de l’esthétique » diffère sensiblement de leur « économie maximaliste« . « Tout est pauvre partout chez Lacaton&Vassal et, à un moment, l’aspect plastique n’existe plus chez eux. Moi, j’ai un côté baroque dans le choix des matériaux« , dit-il.
Baroque certes mais surtout ne pas se fier à son regard volontiers curieux, interrogateur et / ou amusé. L’économie de l’esthétique est une « attitude projectuelle franche et radicale » puisqu’il s’agit de « partager avec les utilisateurs l’idée qu’il faille utiliser le budget travaux opportunément plutôt que de l’étaler comme du beurre sur une tartine de façon égale« .
L’école des Beaux-arts de Valenciennes symbolise ces choix. Avec un budget extrêmement réduit – 600 euros/m² -, il a concentré ses ressources autour de cinq ou six lieux de convivialité et de rencontre – la cafétéria, le hall, l’entrée, etc. – à 1.000 euros/m², tout en proposant des salles de cours le plus neutre possible – blanches du sol au plafond, avec chemins de câbles apparents, etc. -, prenant le pari cependant que les étudiants des Beaux-arts allaient s’approprier ces espaces. Ce qui fut (est) le cas.
Le choix de la couleur s’inscrit dans cette approche. « La couleur ne coûte pas plus cher que le blanc mais c’est génial pour créer des ambiances fortes, électriques« . Autre exemple avec la maison Trapèze, construite en béton et parpaings mais revêtue d’un bois précieux, avec un gymnase en structure métallique mais bardée de polycarbonate « couleur Gold, avec un sol en béton mais un plancher chauffant« . Au final, là où la répétitivité de Lacaton&Vassal finit par nuire à leur propos, l’inventivité de Louis Paillard tend à donner à ses bâtiments un cachet que ne justifie pourtant pas nécessairement le budget.
« J’essaye d’introduire, autant que faire se peut, une approche critique des projets« , dit-il. Une volonté manifeste dans les logements de Boulogne-Billancourt, où il propose une vêture en panneaux métalliques perforés qui reprennent des motifs bucoliques (cerfs et biches dans les bois, etc.). Or, ces motifs, issus de la broderie ou de la peinture, sont des « signes de la bourgeoisie« . Puisque ces appartements lui sont destinés… CQFD.
« Je ne suis pas dupe ; je leur dis [aux futurs propriétaires de ces appartements] : ‘vous êtes de cette catégorie' ». Dans son bureau, au mur, la page d’un grand quotidien est punaisée. Non à cause de l’article, sans relation avec lui ou son travail, mais à cause de la photo qui l’illustre, celle d’un café branché à Paris dont il a conçu le design intérieur. Au mur, des têtes d’animaux empaillées. Louis Paillard pourrait bosser pour la reine d’Angleterre sans oublier jamais qu’il connaît très bien le Val Fourré.
Lui se demande d’ailleurs s’il fait bien partie de la catégorie des architectes, du moins de l’idée que s’en fait le grand public. « Nous apparaissons comme une corporation extrêmement traditionaliste avec un rôle assez mystérieux, en copinage avec les édiles, une profession de notables de province qui coûte cher, dont on ne sait pas trop à quoi elle sert sinon à faire son truc dans son coin sans consulter personne« . Puisque c’est le grand public qui le dit…
A ne pas faire de compromis avec lui-même, Louis Paillard a fini par trouver son territoire aux limites d’une société trop conformiste à son goût dont l’architecture « hyper sécurisée » jusqu’à l’absurde l’inquiète. « Je pense que l’apprentissage du danger fabrique l’éducation« , dit-il. L’univers circassien qu’il a découvert avec sa femme trapéziste lui apporte un cursus de valeurs – liberté, indépendance, une forme d’insolence sous-jacente et un professionnalisme pointilleux, ‘si tu tombes tu meurs’ – qui lui convient.
Pour une médiathèque, le programme imposait un bâtiment de plain-pied. Il a proposé des étages. « Je ne vois pas pourquoi les personnes à mobilité réduite n’auraient pas droit à un parcours vertical« , dit-il. Hasard ? L’agence, qui compte désormais huit personnes, n’a pas moins de six projets à livrer dans les deux ans à venir.
En attendant, Louis Paillard est enfin l’acteur principal de sa propre histoire ‘anamorphique’, hic et nunc ubique terrarum (ici et maintenant, partout sur la terre).
Christophe Leray
Cet article est paru en première publication sur CyberArchi le 11 mars 2009.