Au pied de la tour Montparnasse, le maire, le promoteur, l’architecte, le paysagiste… se demandent quoi faire ? «Nous souhaitons célébrer les qualités intrinsèques du lieu, sa vocation culturelle… un projet immobilier à taille humaine, intégré au tissu urbain de la ville…». Voilà pour les promesses.
Le projet de rénovation du centre commercial, situé au pied de la tour Montparnasse, soumis à l’évaluation du public, mériterait d’être examiné d’un point de vue urbain. De l’avis de nombreux Parisiens, la tour Montparnasse n’est pas belle, son centre commercial non plus, il ne s’ouvre pas sur la ville.
Dans ces promesses, aucune ambition n’apparaît. Quels sont le projet réel et l’envie de ville ? On peut juste craindre que Montparnasse Village ne refasse surface avec son marché de Noël ! Des idées, c’est bien d’en avoir mais ce n’est pas suffisant. Si certaines idées sont bonnes, d’autres peuvent être mauvaises.
Est-ce une bonne idée de vouloir prolonger la rue de Rennes au travers du centre commercial ? Est-ce une bonne idée d’envisager une pseudo forêt urbaine et prétendre que cela va renforcer la vocation culturelle du quartier ? Est-ce une bonne idée de créer trois ou quatre centres commerciaux sans aucune relation entre eux ?
L’excellente idée serait tout simplement de faire vivre la Place du 18 juin, de rendre vivantes les rues du Départ et de l’Arrivée et de réfléchir à la manière de redonner un côté qualitatif à la rue de Rennes qui se dégrade au fil du temps. La bonne idée serait de penser qu’un véritable projet urbain est à mettre en place, de manière urgente, dans cette partie de la capitale.
La gare Montparnasse a longtemps été l’aboutissement de la rue de Rennes avec sa façade surélevée sur l’actuelle place du 18 juin jusqu’à ce qu’une locomotive tombe sur la place. Personne n’oubliera cette image saisissante. Après cet accident, à la fin des années 60, la petite gare a fait l’objet d’un projet ambitieux, elle a été prolongée, au sud, par la désespérante place de Catalogne et le discret jardin Atlantique. Pas de quoi pavoiser. Curieux destin, également, de la rue de Rennes qui commence au numéro 41, faute d’avoir réussi à rejoindre la Seine, au nord !
Aujourd’hui, on rebat les cartes. Alors que le boulevard du Montparnasse était le terme définitif de la rue de Rennes, voilà qu’on nous propose de prolonger la rue de Rennes jusqu’au boulevard de Vaugirard, au sud. L’idée semblerait séduisante pour certains, surtout accompagnée de son valet, une forêt urbaine et, cerise sur le gâteau, un urbanisme discontinu de petits plots… Après un concours international et une concertation locale, c’est finalement une salade russe qui va servir de recette pour cet ambitieux projet parisien. Tout semble en place pour une nouvelle catastrophe, l’histoire des halles n’aura donc pas servi de leçon.
Nous avons donc là une tour qui fait aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Est-elle belle ? Le sera-t-elle après son lifting ? Le sujet est ailleurs, il est véritablement urbain et architectural. On peut penser que les architectes, les urbanistes, les paysagistes, les écologues, les sociologues, les historiens, les ingénieurs et autres plasticiens ont réclamé, en amont, une étude sur les effets du vent, au pied de la tour.
Avant de se mettre au travail, ils ont certainement étudié avec attention la course de l’ombre portée par la tour sur le quartier. Assurément, ils ont parcouru toutes les rues avoisinantes, flâné sur différentes terrasses et compris pourquoi il était plus agréable, dans l’après-midi, d’être à la terrasse des cafés côté sud. Après ce préalable, l’examen du site a dû commencer.
C’était, selon moi, l’occasion unique de doter Paris d’une architecture remarquable, frontale, et non de prendre un petit chemin de traverse en pensant que l’émiettement était la solution. Le vrai sujet est celui de la façade, elle appartient au centre commercial qui doit être ouvert sur la ville et en faire partie. La taille ferait-elle peur ? Le programme serait-il insuffisant ? C’était l’occasion de faire preuve «d’imagination urbaine» mais l’heure est aux choses sérieuses, la concertation avec les riverains viendra plus tard lorsque les idées seront claires.
Un constat préalable s’impose, la façade sur la rue de Rennes est orientée au nord, elle sera sombre et inhospitalière. Au lieu d’éluder la question il faut l’affronter, non de façon formelle en faisant de belles perspectives ensoleillées et séduisantes, mais à partir de l’usage réel, de la perception, en se mettant au niveau du sol.
La modernité a chassé le recours à l’histoire qui aurait permis de construire une démarche, en évitant les erreurs d’échelle, les propositions grandiloquentes, voire le démantèlement de ce que nous avons en partage et de plus précieux : la ville et le bien commun.
La façade des Invalides se déploie sur 192 mètres, elle est deux fois plus longue que celle de ce centre commercial qui fait si peur avec ses 90 mètres. La difficulté est de rendre attractive une façade orientée au nord comme l’est celle de l’Ecole militaire, austère elle aussi. Il faut affronter ce problème : aujourd’hui nous avons les outils pour que l’attraction soit au rendez-vous alors que prolonger la rue de Rennes est une manière de se dérober à la difficulté.
La rue de Rennes a une histoire sans fin à l’une de ses extrémités, il lui faut un aboutissement à l’autre ! Nous disposons aujourd’hui de moyens que ni Libéral Bruant ni Jacques-Ange Gabriel ne possédaient pour traiter une façade nord. Si l’on regarde l’Opéra, l’église de la Madeleine, les Invalides, l’Observatoire, l’Ecole militaire… à cette époque, l’architecture ne faisait pas peur, on en était fier. Il n’était pas question de cacher le pied d’une tour par un village sans rapport avec le contexte.
L’architecte du Centre Pompidou a su rendre compte de la monumentalité urbaine et de la vie, de la même façon les critiques soulevées par la façade ondulante, orientée au nord, de la Samaritaine, ont été oubliées. Dans les deux cas, les échelles urbaines et architecturales ont trouvé des réponses justes. Les exemples qui tournent le dos à l’idéologie villageoise abondent.
Quel est le projet réel du quartier ?
De Saint-Germain à Montparnasse, les XIVe, XVe, VIe arrondissements, c’est tout Paris qui est en jeu. Un tel projet concerne toute la ville, c’est un enjeu pour la métropole entière ! Au pied de la tour, le centre commercial se meurt, d’où ma question sur l’exploration des terrasses. La gare Montparnasse est en rénovation, le centre commercial Gaité fait lui aussi l’objet d’un projet de rénovation, tout comme la tour elle-même. Mais quelle sera sa vocation ? Quid de la fermeture du passage souterrain de l’avenue du Maine ? Et les espaces du parvis de la gare ? Chacun chez soi ?
Nous aurions besoin d’une vision large, pas d’un projet frileux, restreint, qui n’aborde pas le vrai dessein de l’ouverture sur la ville d’aujourd’hui. Il faut offrir le spectacle d’une modernité assumée : un quartier Montparnasse vivant 24 h sur 24, 7 jours sur 7, comme Ginza, le quartier chic de Tokyo ou Sanlitun, le quartier animé de Pékin. De l’ouverture ! De la transversalité entre la rue du départ et celle de l’arrivée ! Et une façade exceptionnelle donnant sur Saint-Germain-des-Prés !
Par peur d’affronter une façade de 90 mètres, on la morcelle, on la découpe, on la masque sous une «forêt». Arrive ce qui devait arriver, un non-projet. De quelle nature sera donc sa «vocation culturelle» ? Quelle forme aura la place du 18 juin et le parvis de la gare ? Comment seront traités les passages entre la rue du Départ et celle de l’Arrivée ? Comment accèdera-t-on aux terrasses ensoleillées, à l’abri du vent et du bruit ? Comment pourrons-nous rivaliser avec le vénérable Rockefeller Center ou le soubassement du siège de la banque HSBC à Hong Kong ?
Ne rêvons pas ! Nous allons profiter d’un petit centre commercial confiné, entouré de sa petite forêt de pacotille. J’ai peur, qu’une fois encore, nous ayons raté une belle occasion.
Alain Sarfati
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