L’appel à projets était prometteur, du moins sur le papier : inédit pour la ville, un vaste laboratoire d’idées et d’architecture, ouvert à tous, international, offrant à l’innovation vingt-trois sites aux échelles variées allant du bâtiment au quartier et, nec plus ultra, des programmes assez souples, sinon libres. Anne Hidalgo avait d’ailleurs, pour l’occasion, choisi comme devise une phrase d’Edgar Alan Poe «Abandonner tout modèle pour étudier les possibles». Réinventer Paris offrait la possibilité d’une évolution formelle de la ville. Dans les mots seulement.
Anne Hidalgo, Maire de Paris, Jean-Louis Missika, adjoint à l’urbanisme, à l’architecture et au Grand-Paris, ont annoncé mercredi 5 février dernier et en grande pompe, le nom des vingt-deux équipes lauréates du concours Réinventer Paris : appel à projets urbains innovants. Ils inauguraient au passage la grande exposition lui étant consacrée au Pavillon de l’Arsenal*, La Mecque d’une architecture très parisienne. Grandeur et décadence d’un concours qui ne laisse au final que peu de place aux illusions.
En effet, rien de révolutionnaire dans la forme, le baron Haussmann ne se retournera pas dans sa tombe. Le Beaubourg du XXIe siècle n’aura pas lieu, et ce malgré quelques perspectives séduisantes. Il y a comme un je-ne-sais-quoi de déjà-vu, ou de trop vu. Les vingt-deux lauréats semblent si interchangeables que c’en est troublant. Faut-il en déduire que le résultat n’est que le pâle reflet du débat architectural français actuel, peu enclin à l’évolution ? A l’origine, vingt-trois sites avaient été sélectionnés mais, ironie de l’histoire, l’hôtel particulier du XVIIe siècle est resté sur le banc de touche, «l’innovation n’étant pas au rendez-vous».
Des murs végétalisés, des potagers sur les toits, de la structure bois… Deux mois après la Cop21, le mot d’ordre était d’évidence à l’écologie. Certes il nous est proposé 26 000 m² d’espaces plantés, labellisés bio (ou «bo-bio», c’est à s’y perdre) mais la moisson d’idées nouvelles se révèle peu folichonne. Et si certains projets, issus d’importantes agences ayant les moyens en recherche et développement, ont joué le jeu de l’innovation (XTU Architects avec In-vivo en tête), les idées novatrices sont rares. Planter mille arbres ? Pour ce qui concerne le «renouvellement urbain», il faudra donc repasser.
Les projets retenus sont bien entendu estampillés «développement durable», mais pourquoi s’entêter à proposer le même code couleur vert? Derrière les discours, sans doute les architectes avaient-ils pressentis, et visiblement à raison, que les acteurs municipaux ne s’engageraient pas dans la voie de l’originalité des symboles et des idées. Si, paraît-il, l’écologie urbaine est une des clés de la fabrique de la ville de demain, il ne faut pas la chercher ici, les lauréats ayant présenté des projets à la mode, prêts à plaire, sans goût ni texture, formatés pour combler le goût des électeurs bobos parisiens.
A l’endroit d’une programmation souple, les propositions n’ont pas non plus de quoi casser trois pattes à un canard. AAVP s’offre le luxe de faire cohabiter une plateforme logistique avec un funérarium, mais dans la globalité du concours, l’invention programmatique n’est guère de mise. Quelle ‘réinvention architecturale’ quand les architectes finissent par se perdre eux-mêmes dans les impératifs de langage de la communication.
Pour être retenu, il fallait bien évidemment des ‘espaces partagés’ (à l’hôtel de Coulanges), des lieux ‘de création’ (Gambetta), des ‘incubateurs’ (hôtel particulier rue de la Boucherie qui offre «le premier incubateur tourné vers la philanthropie» tout un programme!).
Pour être branché, il fallait oublier les besoins réels d’une ville dont le manque de logements est notoire : seuls les vastes projets dont la programmation exigeait une part de logements proposent en tout 1 341 logements dont 50% de social. C’est peu. Anne Hidalgo n’avait-elle pas fait du logement une «des priorités» de son mandat ?
Enfin, pour être branché, il faut aussi utiliser beaucoup d’anglicismes. Le co-working, co-fooding, co-living ou le nudge sont apparemment indispensables à l’heure de la réforme de l’ortografe.
Réinventer Paris devait aussi permettre de donner une chance aux petites agences. Un leurre sans doute puisqu’un appel à projets de cette ampleur et non rémunéré n’est que rarement à la portée des petits poucets dont les moyens techniques et les réseaux sont loin de ceux escomptés par rapport aux enjeux. Bref, il n’est pas étonnant que ce soient les agences ayant la capacité de tisser des partenariats importants avec des entreprises, des promoteurs et des investisseurs qui aient remporté les sites les plus importants. Démonstration d’une évolution peu reluisante des marchés publics. Pour l’éthique, il faudra repasser ! Pour le coup, les petites agences, on leur donnait un peu d’argent et elles se seraient défoncées pour un tel projet et auraient sans doute apporté des idées neuves.
Il est par ailleurs notable que peu de projets lauréats paraissent se préoccuper des questions d’insertion urbaine. Le premier enjeu d’une ville n’est-il quand même pourtant pas d’y vivre ?
Alors finalement, c’est quoi Réinventer Paris ? Des comptes d’apothicaire ? La ville se gargarise de projets autofinancés à hauteur de «1,3 milliards d’euros d’investissements privés et 565 millions d’euros de recettes pour la ville». Au moins la peau de l’ours est déjà vendue et qu’importe si l’audace et l’innovation ne sont pas au rendez-vous. Le modèle sera d’ailleurs réutilisé dans un autre opus de Réinventer Paris et pour ‘Réinventer la Seine’ promet déjà Anne Hidalgo.
Léa Muller