Alors que Bouygues, dans les choux lors du concours pour le village olympique en décembre 2019, semblait avoir raté le coche des jeux olympiques, voilà qu’après la piscine c’est le gymnase olympique qui lui échoit. Ces deux victoires coup sur coup éclairent d’un œil nouveau la déconfiture supposée du match aller. Coup de pot ou coup de maître ?
Le 27 mai 2020, l’AFP rapportait que Bouygues, qui était en concurrence avec un duo Vinci-Eiffage, remportait l’appel d’offres pour l’Arena 2*, Porte de la Chapelle à Paris (XVIIIe). Cet équipement à 100M€ environ, confié aux agences d’architecture SCAU et NP2F, a vocation à accueillir des épreuves des jeux olympiques 2024 puis à devenir le domicile du Paris Basket, une équipe professionnelle parisienne évoluant en seconde division mais dotée des ambitions de haut niveau de son propriétaire américain.
L’ouvrage est en tout cas financé à 50% par l’État, la ville de Paris et la région Ile-de-France à travers la Solideo (la société publique qui supervise les chantiers des JO) et à 50% par la ville de Paris sur son budget propre.
Bien.
Cette annonce fait suite à celle, à peine un mois confiné plus tôt, indiquant que Bouygues venait déjà d’emporter le marché de construction et d’exploitation du centre aquatique olympique à Saint-Denis, un équipement prestigieux à 180 M€ signé par les agences VenhoevenCS et Ateliers 2/3/4/.
Ce qui conduit Le Figaro (27 mai 2020) à noter que, après avoir perdu la bataille du marché de construction du village olympique à Saint-Denis, « [Bouygues] continue donc de prendre sa revanche ».
Nous-mêmes à Chroniques avions été étonnés de l’apparente déroute de Bouygues sur le village olympique, emporté par le projet Nexity/Eiffage coordonné par CoBe et KOZ et le projet d’Icade coordonné par uapS. Nous avions d’ailleurs cherché l’explication. « Les deux projets lauréats [faisaient] des propositions d’une qualité urbaine aimable, intéressante, très structurée, qui parle d’un certain bonheur de vivre en métropole », soulignait alors Dominique Perrault, auteur du plan-guide du village olympique.
« Pour cet enjeu emblématique, ce travail d’exception est l’œuvre d’équipes très soudées. Les deux groupements lauréats ont gagné parce qu’ils ont de bonnes équipes, capables de travailler ensemble, de parler aux entreprises et au maître d’ouvrage », précisait-il.
A croire que les équipes de Bouygues s’y étaient prises comme des manches. Les mêmes seraient pourtant capables de « prendre leur revanche » comme le souligne Le Figaro ? Voire.
Billard à trois bandes
Même si nous nous gaussons dans ces colonnes régulièrement des Majors en général, de Bouygues en particulier, d’aucuns auraient tort de penser que ces multinationales de la construction ne sont dirigées que par des neuneus.
Voyons. En toute hypothèse, sans même parler du Covid, le village olympique, pour n’importe quel promoteur, est un sac de nœuds. Il s’agit de bâtir des milliers de logements pas chers et vite construits pour 15 jours de jeux olympiques plus 15 autres de jeux paralympiques et qui devront ensuite être transformés en logements pour toutes les classes sociales, du social au très privé, le tout végétalement correct et dans des délais serrés. Après toutes ces nuits sans dormir, après avoir compté toutes les bouses, quelle marge à la fin de la foire ?
Sans compter qu’au moindre pépin en effet – un ouvrier déprimé qui se jette sous le bus de la délégation par exemple – c’est l’image internationale de l’industrie française qui est en jeu. Si tout se passe bien et que la France est un exemple pour le monde entier, super. Sinon, bonjour la pression dans toutes les langues.
Pour un analyste du risque, le marché du village olympique peut vite ressembler à un bourbier, avec au bout un gain incertain, au mieux.
Maintenant, les projets de piscine olympique et d’Arena pour le basket étaient dans les tuyaux pendant que la bataille du village gaulois avait lieu. Et voilà le candidat malheureux de cette compétition, que nul n’entend cependant vraiment garder hors du banquet, qui gagne enfin son ticket pour les JO avec cette piscine, puis encore, cette arena. Oh le joli lot de consolation !
En effet, pour ces deux ouvrages, rien de bien compliqué : normalement une piscine, Bouygues devrait savoir le faire – encore que ce sera une première en l’occurrence – tandis qu’une ‘arena’ fait partie de son pain quotidien. Dans les deux cas, il s’agit là de dossiers connus avec des marges peu ou prou prévisibles.
Ce d’autant plus que ces stades auront les honneurs des médias du monde entier, tous les jours durant les compétitions, quand le village olympique ne fera sur CNN que l’objet d’un magazine de 90 secondes quelques jours avant que ne soit allumé le feu, et encore s’il est réussi.
A tout prendre, pour un analyste du risque, quelle était en l’occurrence la formule la plus rentable à terme ? Et sans nuits sans sommeil …
Christophe Leray
* L’Arena, qui comptera 6 000 m² de toiture végétalisée, accueillera pendant les Jeux Olympiques de 2024 les épreuves de badminton puis de parabadminton et parataekwondo pendant les Paralympiques. Après les JO, l’équipement, dont le club Paris Basket sera résident pendant dix ans, sera accessible aux habitants du quartier avec deux gymnases dédiés (20 M€ supplémentaires, ville de Paris) et transformé en une nouvelle aire de loisirs et de commerces. Début des travaux : juin 2021. Livraison prévue : été 2023.