Le lundi 23 novembre 2020, le jury de l’Equerre d’argent présidé cette année par l’architecte Marc Barani a rendu son verdict. En démat’, Covid oblige, et en direct sur les sites internet du Moniteur-AMC. Dépourvus de remise des prix in vivo, d’aucuns auraient pu espérer que les membres du jury, pour la plupart anciens récipiendaires du bibelot, auraient, une fois n’est pas coutume, privilégié le fond à la forme. Las…
Depuis dix ans, ce qu’il convient désormais d’appeler LES prix de l’Equerre d’argent surnagent chichement et de plus en plus tristement dans les boîtes mail des agences d’architecture. En août, « Bientôt les prix de l’Equerre d’argent ! ». En septembre « Oyé, les inscriptions aux prix de l’Equerre d’argent sont ouvertes ». En octobre « pensez à vous inscrire, la date est proche ». En novembre « prolongation des inscriptions ». L’inscription étant désormais payante, c’est à se demander si les organisateurs n’ont pas un peu de mal à boucler le budget, malgré la multitude de sponsors. Surtout cette année, où les petits-fours n’étaient pas à l’ordre du jour ?
Toujours est-il que cette cérémonie retransmise en direct n’a pas été en mesure ni d’innover en termes de présentation, ni, si l’on y croyait encore, en termes de fond. Bien sûr, le jury envoyait plutôt du bois, les casteurs du Moniteur sont de bons agents. Pas trop de casseroles, de la trame à gogo, les trémolos très sages dans les pages des webzines. Bref, le risque était minimisé de se retrouver avec un palmarès avec, si ce n’est une bonne idée, au moins une réponse concrète aux problématiques chaque jour soulevées dans les revues qui portent pourtant l’événement avec aplomb.
Incroyable mais vrai, l’agence Bruther, cette fois accompagnée des Belges de Baukunst, s’est vue de nouveau remerciée dans la catégorie « Habitat » avec une résidence étudiante de 192 logements sociaux et parking réversible à Palaiseau. Remerciée, la même agence l’était déjà l’an dernier, sauf que la résidence pour chercheurs, dont la RIVP a déjà perdu les volets, était joyeusement située au bord du périphérique parisien. Ces deux dernières statuettes viennent tenir compagnie à la première statuette, distribuée pour la maison de la recherche et de l’imagination à Caen, dans la catégorie « Activités » en 2016. Autant dire que l’agence Bruther à son rond de serviette au Moniteur.
N’y avait-il pas assez de projets soumis pour que le jury*, qui n’ignorait pas le palmarès déjà fourni de l’agence parisienne, ne fût pas un tantinet tenté de l’écarter du jeu au nom d’une éthique qui se résumerait à « pas toujours les mêmes » ? D’autant qu’à bien regarder, la résidence de Saclay est-elle à ce point si formidable et géniale et fantastique ? Les Luc et Jean-Pierre Dardenne de l’Equerre d’argent, les Emir Kusturica de l’architecture ? Une telle idée pourrait séduire ! Mais non, force est de constater que cela ne fonctionne pas et que les ficelles sont bien visibles. Un bâtiment en béton, tramé façon « Compagnie/Escadron/Batterie/Colonne, HALTE » comme à l’armée, sur un parking, un PARKING !!! en plus …
Cette résidence est plutôt un contre-modèle de ce que la bien-pensance interdirait de faire. Ni un manifeste pour le béton non plus. N’y avait-il pas un joli petit projet en bois ou béton de chanvre ? Un bâtiment évolutif ou franchement frugal ? Pourquoi pas mixte ? Portant une réelle réflexion sur le logement et l’habitat ?
Ce ne pourrait être qu’une simple maladresse, quoiqu’un jury de cette trempe si habitué aux récompenses se doit d’en maîtriser toutes les ficelles. La suite du palmarès ne fut pas pour réconcilier architectes et journalistes avec ce prix, autrefois à la hauteur du fameux Goncourt de l’architecture qui lui était pompeusement attribué, aujourd’hui farce de sponsoring et d’entrisme.
Façon culture, jeunesse et sport, ce sont les inconnus de l’agence parisienne LAN qui sont mis en avant avec le théâtre du Maillon à Strasbourg pour la Ville de Strasbourg. Si le projet s’inscrit fort à propos dans son contexte urbain, revenons à l’histoire. L’agence fut lauréate en proposant un béton noir teinté dans la masse. Tous les architectes et les techniciens du bâtiments savent l’exercice oh combien périlleux, et la laitance persistante. Il en eut fallu bien plus pour décourager les deux architectes, le projet est lancé, les tests réalisés in situ, la catastrophe annoncée a lieu. Le béton dégorge, une partie du bâtiment est en œuvre, la seconde sera réalisée avec un béton lasuré.
Le fiasco était prévisible. Pourquoi diantre récompenser un bâtiment et donc des architectes et maîtres d’ouvrage qui se sont trompés et entêtés pour livrer un bâtiment en dessous des promesses fixées ? Les rédactions du Moniteur / AMC se vantent pourtant « de faire connaître le meilleur de la production architecturale réalisée sur le territoire français ». Au Festival de Cannes et aux Oscars, les statuettes ne sont pas distribuées à des films moitiés finis ou à des acteurs qui ne connaîtraient pas leur texte ! Pourquoi un prix d’architecture, aussi local soit-il, ferait-il exception ? D’autant qu’en désignant ainsi un nom plus qu’une réalisation, l’institution de l’Equerre d’argent décrédibilise encore un peu son prix, déjà en perte de vitesse. Pas de quoi encourager les inscriptions (payantes) futures de projets moins signés mais mieux réalisés.
Rien de plus engageant avec les lauréats des prix « Espaces publics et paysagers » pour la requalification du quai de Southampton au Havre d’Inessa Hansch, en couverture du numéro d’octobre d’AMC, et « Activités » remis à LIN architect urbanist/F.au et au pôle de cultures numériques de l’Université de Nantes, un programme qui s’installe dans le projet plus général de réhabilitation des anciennes halles d’Alstom sur l’île de Nantes.
2020, l’année qui aura été celle des interrogations nécessaires sur la ville vidée de ses habitants, sur l’usages des lieux de travail, celle qui aura vu fermer les universités, n’aurait-elle pas pu voir émerger ne serait-ce qu’un bâtiment tertiaire un peu prospectif ? Ce n’est pas comme si les investisseurs tertiaires étaient au chômage et ne passaient pas commande dans de belles agences force de proposition. A force de n’octroyer que quelques lignes à des agences trop « business », trop ou pas assez « artisanales », ce qui de fait est ironique provenant d’un groupe de presse financé par de gros sous et justement pas par l’artisanat, ces projets d’agences-là ne prennent même pas la peine d’envoyer un dossier, pas assez la tête de l’emploi.
Cherry on the cake, Le Grand Prix remis aux deux architectes mondiales de l’année de Grafton architects, qui à peine remises de la fête du Pritzker, ont dû enchaîner avec le festoiement de l’Equerre qui récompensait la Toulouse School of Economics à Toulouse, pour Université Toulouse 1 Capitole (réalisée avec Vigneu & Zilio Architectes). Ce qui était à prévoir, année paire, pour une star internationale. C’est Rem Koolhaas qui doit être déçu.
Heureusement, comme bien souvent, le Prix de la Première Œuvre donne un peu d’espoir. Cette année, six logements participatifs en autopromotion à Romainville livrés par le jeune Atelier de l’Ourcq ont été récompensés, les maîtres d’ouvrage également comme un encouragement de nouvelles manières de faire.
Comme semble le vouloir la tradition, le cru 2020 des « Equerre d’argent » aura retenu un palmarès encore bien déconnecté du temps et de l’espace. Ce qui est regrettable car, pour une récompense qui se targue toujours d’être la plus haute du paysage architectural, d’aucuns aimeraient un prix ayant valeur esthétique, certes, mais aussi valeur d’engagement social et politique.
Alice Delaleu
Les membres du jury : Marc Barani, président. Christelle Avenier, Sophie Delhay, Pierre Dufour, Raphaëlle-Laure Perraudin, Charles-Henri Tachon, architectes, Bas Smets, paysagiste et Fabienne Duwez, directrice générale de Soreli, Xavier Veilhan, artiste, et Jean-Marc Weill, architecte-ingénieur.