Tous les architectes le savent déjà, la dérive des prix des matériaux est « monstrueuse », pour citer l’un d’eux, et ce n’est rien d’écrire que depuis quelques mois les appels d’offres ne se font pas dans la joie. Le prix de l’acier a doublé, et donc le prix de la ferraille à béton, le bois a triplé, les délais de livraison des matériaux, et donc des ouvrages, sont multipliés par deux ou trois.
Même les produits pétroliers sont en augmentation et pour les maîtres d’œuvre, ce sont les devis de l’étanchéité qui s’envolent. A la dernière augmentation du pétrole, nous avons eu les Gilets jaunes.
S’il n’y avait que l’étanchéité…
De fait, la situation est telle que des entreprises préfèrent se dédire de marchés signés et payer les pénalités ad hoc qui seront moins onéreuses que les marges explosées par l’augmentation des matières premières. La finance, c’est un métier !
Si encore il n’y avait que le bâtiment mais ce sont toutes les couches de l’économie qui sont frappées du même mal : trop de demande et pas assez d’offre dans un monde fini. Et revoici le spectre de l’inflation. Parce que les projets déjà engagés, il va bien falloir trouver quelqu’un pour les payer. Ou les laisser non finis, comme dans les Balkans ? Bref, la pagaille, à court terme.
Pas pour tout le monde cependant, à voir comment les bourses mondiales, CAC 40 y compris, et leurs plus gros actionnaires se félicitent de ces années Covid, les milliardaires n’ayant jamais été aussi nombreux et si riches qu’ils se targuent de philanthropie, c’est dire…. Concomitamment, le hasard sans doute, l’Etat est plus ruiné que jamais et – miracle de la loi ELAN – le nombre de logements, sociaux en particulier, mis en chantier ou construits, n’a jamais été aussi faible, du moins aussi loin peut-être que s’en souvient la Ve République.* Et jamais d’aussi pauvre qualité. Et maintenant la hausse durable du prix des matériaux… Quand le bâtiment veut pas …
Si encore il n’était question que des matériaux, juste d’un petit problème conjoncturel à cause de la croissance mondiale qui pète le feu. Ainsi ce constat d’alarme de la Fédération des Tuiles et Briques daté de mai 2021 : « Si les carnets de commandes sont là, les inquiétudes portent désormais sur des tensions liées au recrutement, aux prix, et aux disponibilités de certaines fournitures (bois de charpente, liteaux, écrans de sous-toiture…) ». Dit autrement, à part le carnet de commandes, la pagaille.
Et pour recruter, pas seulement dans le bâtiment, la pénurie est telle qu’il va falloir augmenter les salaires et en télétravail encore**. Autant dire que le devis d’aujourd’hui ne dit rien du prix réel de demain. Et les J.O. qui se profilent – un succès à Tokyo ! – et tous ces chantiers du Grand Paris, sans parler des Réinventer, les donneurs d’ordre vont avoir de grosses explications à offrir à leurs administrés concernant la facture finale et la qualité des produits livrés, et cela va être compliqué de tout mettre sur le dos de l’architecte comme c’est trop souvent la coutume, à Paris notamment…
Heureusement l’Etat jacobin est visionnaire. Tenez le bois par exemple. Les entreprises, les architectes, les maîtres d’ouvrage se font des cheveux blancs en anticipant la rentrée, mais la rédaction reçoit chaque jour de la part des pouvoirs en place – ministères, régions, départements, agglomérations, communautés de communes, mégapoles, métropoles, associations des communes rurales, etc. – des communiqués de conquérants pour la ville durable.
En attendant, le 15 juin 2021, la Fédération Nationale du Bois signe un communiqué rageur intitulé : « Export des bois vers la Chine : les coopératives forestières soutiennent les scieries françaises et proposent de sécuriser leur approvisionnement en bois ». Ha, parce qu’on exporte du bois en Chine quand la filière de la construction bois crie misère ?
Le 2 juillet, c’est au tour de la Fédération nationale des communes forestières de crier au scandale avec autant de politesse que possible. Le sujet : l’Etat veut augmenter la contribution des 11 000 communes qui financent en partie le budget de l’Office national des forêts (ONF) de 40%, soit 70M€, tout en supprimant 500 emplois. Payer plus pour avoir moins en somme. Un budget à mettre en regard des milliards lâchés à l’industrie automobile par exemple. Pour s’occuper des forêts, c’est une stratégie de se mettre à dos son propre office national et, comme il n’y a pas d’urgence pour les forêts françaises, renvoyer chez eux ces fainéants et leur savoir-faire sans doute une bonne tactique. Titre du communiqué de la Fédération ? « Contrat Etat – ONF : la honte et la trahison ». Ambiance… Heureusement qu’en France, nos forestiers font pousser du pin, beaucoup, voire du chêne, et non des bananiers, que dirait-on sinon à Abidjan ou à Dakar ?
Dit autrement, alors que la filière bois promettait notre salut à tous, que l’Etat a quand même eu le temps de s’organiser depuis son premier accord-cadre national Bois Construction Environnement lancé dès 2001***, après la promesse d’un village olympique tout bois, entre autres poudres récentes de Perlimpinpin, le citoyen découvre à l’été 2021 comment travaillent dans la joie et la bonne humeur tous les acteurs de la filière, au nom de l’intérêt bien compris de l’Etat et de son indépendance industrielle évidemment. Un modèle de management de la start-up nation !
Ce sont les architectes qui se sont formés au bois pour suivre la tendance et qui se sont engagés auprès de leurs clients qui vont être contents de l’apprendre… Et dire qu’il faut au moins 25 ans pour faire pousser un arbre…
Maintenant, imaginons que la goutte froide qui a méchamment refroidi l’ouest de l’Allemagne et le Benelux se soit décalée de 100 kilomètres vers le sud-ouest. La Moselle et la Lorraine dévastées, nous serions, à l’heure où j’écris ces lignes, en période de deuil national et le président, comme Angela Merkel aujourd’hui, profondément choqué, d’annoncer des mesures « fortes ». Plus jamais ça !
Ha ben non, il y a un an à peine, en octobre 2020, déjà une vallée au nord de Nice était totalement dévastée dans des proportions dantesques, des villages coupés du monde – ils le sont encore – et d’autres rayés de la carte en moins de 12 h ! Les martiales séquences émotions en direct du gouvernement avaient à cœur de nous convaincre. Un an ans plus tard ? Les mesquineries politiciennes d’un président qui, avec son référendum bricolé en forme d’écran de fumée, semble bien plus préoccupé de sa réélection que d’imaginer un avenir pour le pays. Et, en guise de consolation, un nouveau tour de vis dans l’état d’urgence qui finit par durer si longtemps qu’il devient l’Etat tout court.
Pas grave, pour la rentrée, en regard des tragiques évènements en Allemagne, le président va convoquer une grande convention citoyenne pour l’environnement dont les conclusions seront reprises sans filtres par le gouvernement. Ha bah non, ça c’est fait. D’ailleurs, tout le monde a vu la différence. Bref, la pagaille.
De fait, l’Agence internationale de l’énergie (AIE) a dévoilé en juillet 2021 (AFP 20/07, citée par Le Monde) que les émissions mondiales de CO² devraient atteindre en 2023 de nouveaux records. L’AIE remarque que les Etats ont débloqué des sommes spectaculaires pour affronter la pandémie mais à peine 2 % sont allés à la transition en faveur des énergies propres. « Depuis le début de la crise du Covid-19, de nombreux gouvernements ont dit combien il était important de mieux reconstruire, pour un avenir plus sain, mais beaucoup doivent encore joindre les actes à la parole », relève le directeur de l’AIE, Fatih Birol. Pas d’exception française ?
Souvenez-vous de la catastrophe à la Faute-sur-Mer. En février 2010, la tempête Xynthia a provoqué la mort de 53 personnes en France dont 29 sur la seule commune de La Faute-sur-Mer en Vendée. Une digue a cédé. Et le niveau de la mer n’a pas baissé depuis. Pourtant les exemples ne manquent pas, encore aujourd’hui, de zones qui deviennent soudain constructibles en dépit du bon sens. Ok, pourquoi pas. Mais si c’est pour laisser ces nouveaux espaces aux promoteurs, qui ne feront que ce qu’ils savent faire, la catastrophe sera écrite avant la pose de la première pierre. Si en revanche ces espaces laissent la place aux éléments – merci la biodiversité – rien ne dit que des habitants ne puissent pas s’approprier ces nouvelles géographies issues de nouveaux cataclysmes d’ores et déjà prévisibles.****
Encore faut-il changer de paradigme de développement. Les architectes peuvent l’imaginer et trouver des solutions, les promoteurs en PPP ou en conception-réalisation, non ! Mais comme la loi ELAN a donné les clefs du camion aux seconds plutôt qu’aux premiers, à l’heure de l’inflation des matériaux, prévoir la pagaille pour la ville durable et, à ce rythme, encore plus demain qu’aujourd’hui.
En attendant, avant la rentrée qui viendra bien assez vite, et pour les architectes le cauchemar des prochains appels d’offres, de la loi ELAN inique et des arguments médiocres des couards, profitons donc autant que faire se peut de ces quelques semaines d’été, si la météo nous l’autorise et tant qu’est encore valable, avant l’arrivée du variant Omega, notre permis de circuler.
Bref, bel été à tous.
Merci de votre fidélité
Christophe Leray
Rédacteur en chef
Retrouver notre Edition spéciale Eté 2021
*Voir notre article Le logement, un sujet trop sérieux pour être laissé à Macron ?
** Voir notre article Le télétravail dans le BTP, solution post-pandémie des Majors
*** Voir notre article A Paris, il faut arrêter le cirque pseudo écolo de la construction bois !
*** Voir notre article Bayou-sur-Yon, on dirait le Sud. Une éco-fiction