Après les capitales mondiales de la culture, capitales mondiales du design, voici les capitales mondiales de l’architecture. L’Unesco en partenariat avec l’Union Internationale des Architectes désigne tous les trois ans à partir de 2025 une ville qui accueillera les congrès de l’organisation des architectes et des manifestations célébrant la profession. Barcelone rafle la mise pour 2026.
C’est au congrès de Rio en plein été 2021 qu’a eu lieu le vote. Avec 147 voix en sa faveur, Barcelone a été élue Capitale mondiale de l’architecture pour 2026, contre 129 voix pour Pékin.
De Barcelone, les images qui arrivent aux professionnels et les noms qui la ponctuent restent liés à l’art nouveau (Gaudi, possiblement Domènech i Montaner, et peut-être Puig i Cadafalch, pour les trois plus célèbres) et au pavillon de Mies van der Rohe. Puis un vaste passage à vide, jusqu’aux Jeux Olympiques de 92, qui ont permis à la ville de revenir sur la scène mondiale, avec la requalification du front de mer menant à ce qui fut nommé « le modèle Barcelone ». Ce qui eut le don également d’attirer le star-système de l’architecture, que cela soit Gehry, Nouvel, Richard Meier, Dominique Perrault, Toyo Ito, etc. De fait, quelques noms d’architectes contemporains catalans sont arrivés jusqu’en France, comme Joan Busquet, Carme Pinós, Enric Miralles, ou RCR lors de leur consécration par le Pritzker.
La singularité de l’architecture catalane réside peut-être dans son anonymat, dans cette continuité marquée depuis le GATCPAC*, Sert, Coderch, Antoni Bonet, et même parfois Enric Miralles, d’une « architecture sans architecte », celle qui, liée aux formes épurées de l’architecture vernaculaire méditerranéenne, réinterprète celle-ci avec une matérialité et des matériaux locaux (la brique, le bois, la pierre etc.). Par ailleurs, la politique urbaine de la ville a été très largement menée par des architectes dont le legs est encore palpable aujourd’hui dans la manière de concevoir la ville, mais aussi l’architecture.
Si Barcelone a su profiter des Jeux Olympiques pour redonner vie à son littoral, et construire une politique urbaine de reconquête et de développement, elle l’a fait notamment grâce à Oriol Bohigas et Manuel Solà-Morales, le premier en tant que délégué puis régisseur de l’urbanisme à la mairie de Barcelone, et le second à la tête du Laboratoire d’Urbanisme de Barcelone.
L’impulsion donnée par ces deux architectes est encore présente et si la Barcelone Olympique, leur œuvre conjointe, est encore un point d’attraction, elle a permis d’ouvrir le vaste chantier de transformation de la ville. Le 22@, quartier industriel attenant à la Barcelone olympique, qui a su recycler ses entrepôts et créer un quartier nouveau avec un respect du patrimoine existant, comme en témoigne Can Framis de BAAS arquitectura**. Le 22@ est un quartier vivant et familier, et dont la jonction avec la ville historique, notamment à travers la destruction du nœud autoroutier des Glories, a permis de remettre du lien. Le Raval, cœur historique de la ville mais avec un état de délabrement très avancé, a retrouvé de sa superbe (même si des questions d’habitat indigne reste très présentes).
L’influence de Solà-Morales, qui a aussi été directeur de l’école d’architecture de Barcelone tout comme Bohigas avant lui, reste encore prégnante. Sa conception de l’architecture comme une œuvre publique et destinée à la ville modèle encore la conception et la formation des jeunes architectes. Si le bâtiment peut changer de fonction, son aspect extérieur et sa relation à la ville sont là pour perdurer, l’architecture est avant tout pensée pour l’émotion qu’elle donne à l’espace public. « Les architectes doivent servir la ville et non pas se servir d’elle. L’urbanité vient des arbres, des pierres, de l’espace public », disait Solà-Morales.
La pensée de Solà-Morales est encore largement présente dans l’architecture catalane. Cet été, à la découverte de la ville de Tortosa, la rencontre avec le petit tribunal de ville laisse deviner ce qui perdure de cette manière de construire et de concevoir la ville***. Le nouveau tribunal Camps Felip Arquitecturia inauguré en 2020 s’adapte à la déclivité de la vieille ville et ménage des espaces extérieurs adaptés à la mobilité tout en faisant pénétrer la lumière dans les ruelles tortueuses de la vieille ville. Le bâtiment par ces trois façades différentes les unes des autres s’intègrent parfaitement par le choix des couleurs et de la pierre ocre de Tortosa. L’édifice n’est pas conçu pour imposer l’idée de la justice mais pour s’intégrer dans le continuum de la ville.
Ce besoin de qualité de l’espace public est perceptible aujourd’hui à Barcelone qui, tout comme beaucoup d’autres villes postpandémie, réfléchit à adoucir la ville en la rendant aux habitants, en réduisant le trafic automobile et en favorisant les mobilités douces. La ville s’est engagée dans un long travail avec les « super îlots », très largement critiqués au début mais qui aujourd’hui ont trouvé leur place et leur design.
Cerdà avait conçu une trame de mobilité autour de groupes d’îlots où les services – marché, commerces, etc. – devaient être accessibles et le trafic hiérarchisé. Les services d’architecture et d’urbanisme de la ville sont repartis de l’idée originelle de Cerdà pour adapter cette trame aux questions actuelles. Deux « super îlots » ont été réalisés à Poblenou et San Antoni avant que le reste de la ville ne connaisse le même sort dans les prochaines années.
La place de l’automobile a été amoindrie voire supprimée**** rendant l’espace aux habitants, avec des lieux aménagés pour lire, jouer, des voies cyclables, et un design urbain en adéquation avec les équipements proposés. Quelques heures dans le quartier de San Antoni démontrent que cela fonctionne, que les rues sont utilisées par tous, jeunes, vieux, familles, etc. La tranquillité a remplacé les klaxons, la rue qui n’était qu’un lieu de passage est devenue un lieu de rencontre et d’activités.
De la même manière, toujours en s’appuyant sur Cerdà, Barcelone a rouvert des cœurs d’îlots pour construire un « chemin de jardins ». L’îlot Cerdà de 113m de côté offre au centre des espaces soit anarchiquement construits, soit des espaces parfois vides et aménageables. Huit cours intérieures ont d’ores et déjà été redonnées aux habitants, à terme la municipalité prévoit la réappropriation de 50 jardins intérieurs avec des services publics à disposition (centres sociaux, de santé publique, etc.). La ville qui a déclaré « l’urgence climatique » en 2020 change d’aspect et, pour qui connaît la ville depuis longtemps, plus rapidement qu’il n’y paraît.
Assumpcion Puig, présidente du Collège des architectes de Catalogne, a posé les jalons des défis à relever pour la ville d’ici 2026 et, plus globalement, pour toutes les villes : « Si avant les Jeux Olympiques, la priorité était de récupérer le front littoral et de rendre digne la vie des citoyens, maintenant il faut aborder l’urgence « d’habiter » et les problèmes sociaux, en y ajoutant la durabilité, la qualité de vie et l’équité comme vecteurs. Tout cela se base sur la même formule : la rénovation urbaine. Jusqu’en 2026, nous avons beaucoup de défis globaux et locaux à relever : crise climatique, gaspillage des ressources de la planète, migrations, accès au logement, vieillissement de la population, urbanisme de genre et santé. Pour cela, nous promouvons une architecture à échelle humaine, avec les personnes au centre du jeu »*****.
Rien de bien novateur, avec certes des enjeux communs à toutes les grandes villes occidentales, mais des questions et des défis que l’architecture catalane semble déjà être prête à relever******.
Julie Arnault
** https://chroniques-architecture.com/ibiza-la-fin-de-larchitecture-moderne-espagnole/
** https://chroniques-architecture.com/jordi-badia-baas-arquitectura-la-facade-appartient-a-lespace-public/
*** https://www.plataformaarquitectura.cl/cl/955530/juzgados-de-tortosa-camps-felip-arquitecturia
**** La largeur des rues dans l’Eixample de minimum 20 mètres permet un trafic à trois voies automobiles.
***** https://www.lavanguardia.com/cultura/20210812/7657432/capital-mundial-arquitectura-personas.amp.html
****** Le collège des architectes de Catalogne a mis en ligne une base de données des réalisations de la région, extrêmement riche et bien référencé : https://www.arquitecturacatalana.cat