A Bagan, au Myanmar, l’ancienne Birmanie, la jungle est jonchée de temples détruits par les invasions, l’histoire et les séismes. Pour y construire un ‘resort’, elle offre ainsi une brique rouge, matériau abondant et peu onéreux, et surtout immense ressource culturelle. Carnet de dessins de Jean-Pierre Heim.
Un petit avion à hélices me transporte de Yangon à Bagan, dans le centre du pays. La sortie de l’appareil est un électrochoc climatique et géographique. Dans cet environnement étouffant, je suis pris d’une bouffée de chaleur.
C’est dans un 4×4 que le développeur Bruno Van Gaver et moi-même, l’architecte, sommes emmenés vers un petit hôtel à côté du village de Bagan, le long de la rivière Irrawaddy. Au loin, la coupole dorée du plus grand temple bouddhiste de la région domine un horizon désertique avec un fleuve presque à sec où les buffles broutent le peu d’herbes poussant encore en cette saison.
D’un côté le désert, ami du vent, de l’autre un paysage vert et luxuriant, des villages avec pleins d’enfants qui malgré la chaleur étouffante jouent dans les rues. Le long de la route, ce ne sont pas quelques-uns mais par dizaines des temples détruits, des millions de briques rouges jonchant le sol. De nombreuses pagodes sont restées dans leur état initial de destruction.
Les habitations des villages sont des cases au toit couvert de branches de palmier ou en tôle ondulée. Dans un paysage magnifique, dans un environnement pauvre mais propre, nous passons une nuit dans un magnifique lodge hôtel, les étoiles à portée de main. Le silence semble rythmé par le bruit des temples au loin, la journée elle-même rythmée au son des processions – il y en a sans arrêt – avec tambours et cris d’enfants mélangés au clairon des trompettes. Le tintamarre se rapproche et passe une procession. C’est un mariage, les femmes ont des voiles colorés et portent des ombrelles de toutes les couleurs et c’est surtout à dos d’ânes ou dans une carriole que les mariés défilent dans le village.
Non loin, une autre procession, cette fois de moines portant des robes rouges et orange, ce sont des dignitaires bouddhistes. Dans un paysage de bananiers, de palmiers et de pagodes, il fait bon de s’abriter de la chaleur dans un temple. Au fil de mes promenades, je découvre des temples bien dessinés, à la base carrée avec à chaque coin des bouddhas, des niches, des fleurs, et des enfants…
Comme il n’y a pas de touristes en cette saison, les temples redeviennent des endroits de recueillement, la population habitant dans les temples ou à proximité, comme des gardiens.
Les fidèles s’agenouillent, prient et déposent des fleurs, des gestes rituels répétés devant les bouddhas à chaque coin du temple ou aux pieds de Bouddha géants et colorés qui renvoient l’homme à son échelle.
Les routes sont sinueuses et ensevelies sous un sable rouge. De fait, dans chaque hameau où nous nous arrêtons, nous voyons des temples magnifiques en briques, cette brique rouge qui change de couleur de l’aube jusqu’au coucher du soleil.
Le site est en réalité une immense plaine d’exploration archéologique. La puissance de Bagan connaît son âge d’or sous le règne du roi Anawratha (1044-1077). C’est à cette époque que sont construits plus de 10 000 stupas, monastères et lieux de pèlerinage, parmi eux la plupart des sanctuaires que visitent les touristes aujourd’hui. Plus de 2 200 édifices sont aujourd’hui recensés mais leurs ruines à perte de vue témoignent encore de l’histoire et d’une intense ferveur religieuse.
En 1287, les Mongols envahissent le royaume et pagodes et monastères ne sont plus entretenus, ou très peu. Les colons britanniques ne s’en préoccupent guère davantage. Il faudra finalement le grand tremblement de terre de 1975 pour que le monde se souvienne de ces merveilles. Un autre séisme, en 2016, a rappelé l’urgence d’intervenir avec, en fil rouge, un défi supplémentaire : gérer l’augmentation exponentielle des visiteurs !
Cependant, l’histoire des Myanmar, ce peuple qui a dominé la région pendant plus de 250 ans avant l’arrivée des Mongols, n’est pas terminée. Ils ont fini par donner leur nom au pays et leurs descendants – les « birmans-birmans » – forment aujourd’hui les 2/3 de la population du pays.
Je découvre le champ de palmiers, juste au bord de l’Irrawaddy, où je dois construire un ‘resort’. Mon idée sera de construire avec des briques de récupérées dans les villages où les monuments ont été détruits par les hommes ou la nature. C’est un devoir que de respecter cet environnement, de s’inscrire dans cette géographie, dans cette géologie. Dans ce climat tropical, les matériaux locaux – le bois et l’écorces de troncs des palmiers, les briques – ne demandent qu’à s’inscrire dans ce paysage merveilleux et touchant. La conception des 17 villas est inspirée de l’architecture des sanctuaires, avec une base carrée, des terrasses extérieures et un solide mur de protection en briques.
Le long de la route, les pagodes défilent par dizaines, par centaines à l’horizon, et c’est à l’aube que je vais visiter la plus grande d’entre elles. Il faut l’escalader pour, de son sommet, découvrir cette vista, des édifices quasi millénaires transperçant de leurs dômes dorés une forêt tropicale dont le sol est jonché de leurs débris.
Le site de Bagan est désormais inscrit sur la liste du patrimoine mondial de l’humanité.
Jean-Pierre Heim, architecte
“Travelling is an Art” – Février 2022
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