L’architecture par fonction est représentative de la société dans laquelle elle est construite. Loin des polémiques endogames parisiennes, à la campagne pour le dire autrement, que nous dit-elle de la France d’aujourd’hui ? Alors, anxiogène la France ? Oui et non selon le bout de la lorgnette par laquelle on la regarde.
Vues de la ville dense et cosmopolite, les petites villes françaises – quand elles ne sont pas élues plus beaux villages de France à la télé – n’apparaissent souvent que comme l’expression du lotissement imbécile, d’entrées de ville devenues d’une infinie tristesse et d’un habitat social moche planté tout au bout de la ligne de bus. Un urbanisme qui en dit long sur l’organisation de la société.
Le fait est que le commerce s’est emparé des entrées de ville et trente ans plus tard on voit le résultat. Puis le ‘grand commerce’ s’est emparé, au terme d’un long lobbying, de la ‘librairie’. Ce premier pas vers la culture industrielle s’est avéré payant, les multinationales de l’édition et de la distribution ayant ratatiné le réseau des libraires indépendants. Il en reste bien quelques-unes mais tout comme Lactalis, la multinationale du lait qui a inventé le fromage générique, conserve quelques ‘vraies’ laiteries pour sa communication. Les mêmes ‘grandes familles’ ont d’ores et déjà récupéré la parapharmacie et c’est la pharmacie tout court – ou plus largement toute la santé – qu’elle entend désormais privatiser. La France est en Europe le pays qui compte le plus de centres commerciaux et celui dont les habitants consomment le plus d’anxiolytiques : cause à effet ?
L’architecture de fait qui existe en ces lieux reflète donc exactement ce que furent les politiques de l’équipement et de l’urbanisation, leurs impasses et compromissions, depuis trente ou quarante ans dans ‘tous les territoires’ comme on dit en novlangue. Mais cette vision est réductrice, forcément, et c’est encore l’architecture qui le démontre. Il suffit pour cela d’observer dans ces mêmes petites villes et bourgs les équipements publics qui se construisent. Quelques réflexions en vrac.
Premier point : A chaque fois, la contemporanéité du bâtiment est non seulement parfaitement acceptée mais est au contraire vue comme un vecteur dynamique de la société. Tous les architectes ayant construit une médiathèque dans l’une de ces petites villes sont surpris plus tard de l’impact positif de leur bâtiment sur une communauté d’habitants, si l’ouvrage a bien sûr été construit avec un minimum de cœur et de savoir-faire.
Il est vrai que même dans les villages le logement social peut parfois susciter des poussées d’urticaire mais l’architecture contemporaine est dans son ensemble plutôt bien accueillie. Certes, nombreux sont les élus à expliquer que l’architecture contemporaine ne «serait pas acceptée par la population» et blablabla et blablabla et autant d’excuses pour faire des affaires mais, comme par hasard, dès qu’elle sort des assemblées politiciennes, l’architecture contemporaine, en tant que telle, n’a aucun mal à s’insérer dans le paysage de son temps et beaucoup de maires, quelle que soit leur couleur politique, acceptent sans encombre l’idée d’une démarche s’appuyant sur une idée forte et marquée.
Deuxième point : Il est heureux de découvrir que, dans ces petits bourgs donc, ces bâtiments – pourtant de budgets modestes car publics – sont plutôt bien construits, et plutôt rapidement.
Cela permet de relativiser ce qui se passe en ville. Certes les infinies réclamations et recours des habitants du XVIe à Paris font la une des journaux, et elles ne sont que l’arbre cachant la forêt, mais ces recours eux-mêmes ne font que témoigner du (dys)fonctionnement de notre société. Surtout quand le recours en soi est devenu un métier, surtout si le logement ou l’équipement est ‘social’.
Imaginez, vous être une major du bâtiment, sur un chantier à trois chiffres en M€ dans un arrondissement parisien et l’un de ces ‘avocats’ professionnels est déterminé à vous pourrir la vie pour un changement de titre !!!! Le temps est un élément clef de l’investissement. Faut-il tenter d’assommer les importuns avec toute la force de services juridiques formés pour ça ? A quel prix ? Ou négocier la levée des recours ? A quel prix ? Que faire ?
Et ce n’est pas comme si la justice française s’imposait par la rapidité et la cohérence de ses décisions…
Bref, quand à Paris, un bâtiment peut se prendre quatre, cinq, six ans de délai, voire plus, ailleurs en France, il est bon de se souvenir qu’ils sont nombreux les maîtres d’ouvrage, architectes et entreprises, à savoir construire n’importe quel projet public plus vite que ça et le faire avec bienveillance tant au plan de la réflexion que de la mise en œuvre. Bref, dans les villages, foin d’acrimonie, il est encore permis parfois de travailler en bonne intelligence.
Troisième point : A chaque fois, pour tous – surtout pour l’édile – se retrouve la volonté partagée de faire bénéficier l’économie locale de ce chantier exceptionnel à l’échelle du territoire. Pour une petite piscine à 6M€ investi sur le territoire, bien sûr qu’il y a des entreprises spécialisées pour l’extraction et le traitement de l’air et de l’eau, des contraintes techniques qui demandent beaucoup d’expertise. Mais dans une piscine, il peut rester un lot plomberie pour l’artisan local, s’il sait ce qu’il fait bien sûr, et le carreleur n’a peut-être pas besoin de venir de l’autre bout du pays.
Notons à ce propos les incohérences de l’Etat jacobin. Alors que le débat sur le chômage est prégnant, que chacun sait que ce sont les TPE et les PME qui embauchent, l’Etat impose d’une part la division des lots afin de soutenir l’activité des artisans et des petites entreprises de construction mais, d’autre part et concomitamment, impose le BIM qui signe justement rien moins que la disparition de ces mêmes artisans, le plombier de Trifoullis-les-deux-oies ayant déjà du mal à faire les plans d’exé.
Résultat prévisible : avec la première réglementation, les maîtrises d’ouvrage n’auront aucun problème à contourner le propos de la division des lots puisqu’il suffit de déconnecter les lots VRD, espaces verts et construction pour que les entreprises générales continuent à travailler comme avant ; tandis qu’avec la seconde, seules les plus grosses sociétés seront capables de maîtriser le BIM, ou de payer quelqu’un pour le faire, et cela va lancer un nouveau cycle de consolidation. Après avoir perdu la poste, le café et la boulangerie, les villages n’auront bientôt plus d’artisanat que l’auto-entrepreneur pour s’occuper du jardin de la voisine.
Quatrième point : ces équipements locaux sont représentatifs du vieillissement de la population et d’une meilleure attention portée aux handicapées, les deux allant de pair. Dans toute piscine désormais, il y a un appareillage pour mettre les PMR à l’eau quand d’autres, de plus en plus, proposent que le fond d’une partie de la piscine puisse être ajusté à différentes hauteurs.
Connaissez-vous par exemple «l’aqua-vélo» ? C’est pourtant ce que pratiquent aujourd’hui de pimpants retraités dont les parents ne savaient sans doute pas nager et n’auraient jamais imaginé leurs enfants faisant de l’aquabiking dans une piscine avant un sauna ou un hamman pour évacuer les toxines.
Cette attention aux handicapés, aux enfants, aux blessés, etc., d’abord imposée par la norme (qui a ses défauts certes), est aujourd’hui parfaitement intégrée par les architectes, pas seulement dans un souci réglementaire mais parce qu’il s’agit d’attentes sociétales désormais parfaitement claires et identifiées.
Bref, s’il est question d’architecture, face à la démagogie politicienne et aux intérêts bien compris des cadors, loin des débats biaisés du grand ceci ou du grand cela, et même si les promoteurs pressés y construisent également autant d’horreurs qu’en ville, un petit tour à la campagne, en plus du bol d’air, a pour vertu parfois de se réconcilier, sans tambour ni trompette, avec l’architecture contemporaine.
Christophe Leray