Le modèle social scandinave est enviable à bien des égards et notamment celui de l’école. Alors que l’enseignement se fait dans un cadre ouvert sur la ville et sur la communauté, dans nos contrées, l’école claquemure sans vergogne les enfants, en se plaignant de l’individualisme omniprésent et du manque d’ouverture des dernières générations. Un lien de cause à effet ?
Le 15 juin 2022, la philosophe Elisabeth Badinter, dans un long entretien au Point dressait un amer constat. « Nous avons légué à nos enfants et petits-enfants une méconnaissance du concept de liberté, emportés par un individualisme qui n’a plus de limites », dit-elle.
Depuis 30 ans maintenant, l’enseignement laïque et républicain, fierté nationale, est mis à mal. Moyens sans cesse revus à la baisse, ambition pour les élèves nivelés par le bas, musellement des enseignants sur des valeurs pourtant cruciales de vivre-ensemble et de laïcité, remise en question systématique des contenus, au point de conduire à des dérives sanglantes au nom de l’inculture et de l’intolérance, tout a été fait pour privilégier l’individu au sein du groupe.
Quel rôle joue alors l’école et la programmation des équipements scolaires dans cet échec qui est la perte de la valeur groupe au profit de l’individu ?
La symbolique de l’ouverture de l’école sur la ville et sur la communauté s’est délitée au profit de murs aveugles sur ce qui l’entoure. Sous couvert de protection physique, l’école est aujourd’hui une ode à la fermeture intellectuelle et ce dès le plus jeune âge. Ce dont témoigne l’architecture.
Une des traductions des programmes scolaires s’écrit en termes de grilles et de fermeture. Pour répondre à une surprotection des enfants et au nom du sempiternel principe de précaution contre des attaques terroristes, les édiles enferment dès la maternelle les élèves. L’école, lieu d’apprentissage et d’ouverture sur le monde devient un lieu de repli sur soi et sur un unique programme d’apprentissage.
Parmi les réponses architecturales qui tentent avec habileté à éclairer un peu les élèves, les cours de récréation surélevées telles que les conçoit l’architecte Dominique Coulon à Villejuif (Val-de-Marne) ou à Vaulx-en-Velin (Rhône)* restent symboliquement de bien maigres contributions à la réouverture et à l’imaginaire.
L’enseignement des enfants et des ados, à l’âge où la curiosité s’éveille et les vocations se font sentir, ne sort plus, physiquement, de ses murs et de sa salle de classe. Elle n’en sort visiblement plus intellectuellement quand on voit les attaques dont a été l’objet l’autrice Sylvie Germain après qu’un extrait de son livre « Jours de colère » paru en 1989 ait été donné à l’épreuve du Bac, pourtant par le commentaire de texte le plus difficile qui soit.
Si Internet et les réseaux sociaux donnent un accès sans limite à une grande partie du savoir à des personnes qui n’y auraient pas eu accès, il suscite aussi aux débats sociaux lourds et fondamentaux qui nécessiteraient une grande pédagogie. Noter cependant qu’ils s’immiscent très (trop ?) tôt à l’intérieur de l’école au fur et à mesure que le corps professoral se retire sans bruit, par crainte, de ces mêmes débats.
Comment inculquer ouverture d’esprit et esprit critique, sens moral et sens du groupe, quand toute tentative est automatiquement rejetée aux noms de principes de liberté et de laïcité dévoyés puisque mal compris de n’être plus expliqués ?
En s’enfermant, l’école a perdu son statut de terrain neutre et de lieu d’apprentissage de l’ouverture à l’autre et du vivre-ensemble pour contribuer à forger un peu plus une société dans laquelle l’individualisme est roi. Pour preuve, le succès fracassant des méthodes d’enseignement dites alternatives de type Montessori, aussi refermée sur l’entre-soi des catégories sociales favorisées, ou l’augmentation de l’école ‘à la maison’.
L’uniformité architecturale des programmes d’équipements scolaires est révélatrice de l’uniformisation de la pensée au sein même des lieux d’enseignement.
Pourtant, si l’école réapprenait un peu à jouer avec son ancrage en s’adaptant, non pas à chacun des élèves, mais au territoire dans lequel elle s’inscrit, à la mémoire des lieux, aux formes qui la constituent, à la culture locale, aux métiers et à l’artisanat, le pari pourrait être pris que quelques métiers ne soient plus en voie de disparition ou que des territoires entiers ne se vident pas de sa jeunesse.
En témoigneront peut-être dans quelques années les anciens élèves de l’école de Lugrin**, en Haute-Savoie, livrée par l’atelier o-s architectes (Vincent Baur, Guillaume Colboc, Gaël Le Nouëne) et qui s’ouvre sur le grand paysage, tout en reprenant les formes constructives locales. Idem avec l’étonnante insertion en cœur de ville à Neuvecelle, en Haute-Savoie également, d’un équipement à vocation éducative livré par PNG en 2020.*** Assurément, même en France, la proximité avec la Suisse, semble favoriser la construction d’équipements ouverts.
En Suisse justement, l’école primaire de Meinier, dans le canton de Genève, livrée par Mue atelier d’architecture en 2021, s’inscrit dans un espace public dilaté et crée des porosités avec les espaces verts existants.**** Et que dire des écoles scandinaves***** !
Plutôt que d’autres normes absurdes ou abstraites, en réinvestissant le territoire, en s’ouvrant à la communauté qui l’entoure, l’école saura raviver l’attrait et le prestige qu’elle n’aurait jamais dû perdre.
Tous les campus universitaires grandiloquents de transparence, visant à réinstaller la prétendue « excellence » française dans les classements internationaux, et dont les bâtiments sont œuvre d’agences étrangères ni feront rien. Pour accéder à l’enseignement de l’école Normale ou de l’X, il s’agirait encore d’en avoir le niveau et cela commence tout petit avec la curiosité et l’ouverture sur le monde dans des bâtiments ad hoc.
Mais tant que les écoliers seront embastillés…
Alice Delaleu
*Lire notre article Reportage à bord du Trans-Coulon Express
**Lire notre article A Lugrin, l’extension en Corten de l’école signée O-S est contextuelle
***Lire notre article A Neuvecelle, un équipement à vocation éducative par PNG et al
****Lire notre article En Suisse, l’école primaire de Meinier est signée Mue
***** Lire notre article Ecoles scandinaves en trois leçons (Tour de France contemporain 2022)