Quelles gares pour le Grand Paris Express ? A l’envers de considérations purement économiques et normatives qui conduisent souvent à de la reproduction en série, l’architecte Jacques Ferrier, coordinateur du projet, entend que chacune des 68 gares futures soit porteuse de sa propre identité, de sa propre histoire. Pas de gares ‘Pailleron’ donc. Mais, dans leur diversité, suffiront-elles à contribuer à une identité métropolitaine faisant aujourd’hui défaut ?
C’est en 2012 que l’équipe menée par Jacques Ferrier a été désignée par la Société du Grand Paris, pour guider les grands principes du Grand Paris Express, autour de mots-clés tels qu’identité, cohérence ou encore temporalité. «Nous choisissons de mettre l’accent sur la dimension sensuelle des gares du Grand Paris : leur aura, l’émotion qu’elles suscitent, l’empreinte qu’elles laissent dans l’esprit, le récit qu’elles racontent», expliquait-il alors. Le 23 juin 2016, quelques mois avant le démarrage du chantier de la première gare du Grand Paris Express et dans le cadre du Mois de l’architecture en Ile-de-France, l’architecte faisait une nouvelle présentation du projet. Compte-rendu.
«Le Grand Paris Express constitue plus qu’un projet», explique en guise d’introduction le maître de cérémonie, Bernard Cathelain, membre du directoire de la Société du Grand Paris et maître d’ouvrage. En effet, le réseau de la métropole du Grand Paris mettra en communication plus de 200 km de lignes ferroviaires (dont 70 km en souterrain), et 68 gares à l’horizon 2030.
«Il faut relier les banlieues qui aujourd’hui communiquent mal entre elles et ne plus être obligé de passer par le centre de Paris», assure Jacques Ferrier au début de son allocution. A cette échelle, l’architecte préfère au ‘projet métropolitain’ un ‘projet de transformation du territoire’. «Les lignes majoritairement en rocade vont modifier le territoire et relier les grands pôles métropolitains», dit-il.
Le Grand Paris Express, en évitant la traversée de Paris, doit amorcer un nouveau fonctionnement du territoire, celui d’une ville archipel avec différents centres desservis les uns et les autres en autonomie vis-à-vis de son centre historique et l’Ile-de-France deviendra enfin cette métropole, pour ne pas écrire mégapole, tant désirée.
Dans un premier temps, Jacques Ferrier s’est attaché à comprendre «le feuilletage de temporalités» que le transport induit, ou plutôt les temporalités que la ville offre, comme un luxe. «Cependant, plus on s’éloigne du centre, plus le feuilletage se réduit, pour finalement devenir monocorde», souligne-t-il. A propos de l’enclavement de certains territoires, il relate cette anecdote. Le maire de Clichy-sous-Bois se souvient qu’enfant, dans le quartier du Chêne Pointu où il a grandi, il voyait très bien la Tour Eiffel. Pourtant s’y rendre relevait du parcours du combattant. «A Clichy-sous-Bois, une nouvelle gare verra le jour et rendra accessible la dame de fer à ses voisins», se félicite-t-il.
«Les architectes qui vont dessiner les gares seront responsables de cette temporalité», poursuit Jacques Ferrier. «Ils doivent offrir l’usage du temps aux voyageurs, notamment en ouvrant la gare sur la ville. Je crois qu’une gare doit dire plus que des horaires de train». Le parvis en sera l’élément central. «Nous ne voulons pas être dans la philosophie de la bouche de métro, sans transition avec le territoire. Nous allons proposer des bâtiments singuliers, contextuels et attentifs à l’environnement», dit-il, évoquant l’idée des «plaisirs de l’intermodalité».
Ces nouvelles gares, pour environ les trois quarts d’entre elles, seront reliées au réseau existant. Si le métro parisien impose sa puissance symbolique, il ne s’agit pas pour autant de proposer une collection d’architecture en compétition avec le réseau historique, «il s’agit de mettre la créativité personnelle de la trentaine d’architectes en résonance avec le territoire».
Cette chorégraphie des gares indique l’importance, selon son coordinateur, de trouver une identité à chacun des nouveaux pôles ferroviaires. «L’identité d’une gare est définie en rapport avec une esthétique du quotidien, contrairement à un musée par exemple dont l’appareillage peut et doit alors être spectaculaire, voire extravagant. L’usager de la gare la fréquente tous les jours, elle ne sera pas étonnante plus d’une semaine. Il faudra se la coltiner ensuite pendant des années, quand bien même on s’en est depuis longtemps lassé», justifie-t-il. Pour chacune dans son contexte, il entend donc proposer une architecture mémorable, forte et puissante, dont les effets ne s’épuisent pas. «La gare doit être un bâtiment public pérenne et familier», soutient-il.
Contre une forme de «franchising» et pour éviter de figer l’architecture, les chartes qu’il a élaborées sont surtout destinées à orienter la réflexion des hommes de l’art autour de thèmes tels la frugalité, la sobriété, le matériau, le concept d’insistance, ou encore «l’intuitivité des déplacements». A l’architecte en charge d’une gare de se concentrer sur le territoire, en comprendre la qualité, les usages et ainsi de proposer une vision singulière propre à l’esprit du lieu.
La gare, l’élément structurant de ce réseau, doit désormais proposer des points de rencontres, des lieux de vie, des services. «La gare est souvent le seul bâtiment public traversé dans la journée par la plupart des gens», remarque Jacques Ferrier. La cohérence recherchée est alors guidée par «l’expérience du voyageur», laquelle «doit être mémorable de la ville au quai, et du quai à la ville», insiste l’architecte. Autant dire que, sous la houlette des hommes de l’art, les ingénieurs bossent déjà sur les enjeux de la qualité de l’air, de la lumière et de l’acoustique de ces bâtiments.
«Le Grand Paris Express doit être porteur de l’identité métropolitaine et proposer une image mentale d’appartenance à une métropole qui n’existe pas encore», conclut Jacques Ferrier. En tout état de cause, si une identité métropolitaine, quelle qu’elle soit, doit apparaître, elle passera sans doute par ces 68 gares.
Léa Muller
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