Bernard Quirot et les architectes qui participaient en juillet 2022 au séminaire de Pesmes (Haute-Saône) sont-ils l’avenir radieux de l’architecture ? A l’occasion de la parution de l’ouvrage « Pesmes, Art de construire et engagement territorial »*, le pavillon de l’Arsenal organisait à Paris, le jeudi 6 octobre suivant, une conversation autour de ceux qui œuvrent différemment. Compte rendu.
Bernard Quirot et Emilien Robin, accompagnés d’Emeline Curien – qui a interviewé les dix architectes de l’ouvrage – ont évoqué leur pratique ancrée territorialement et matériellement. Cette conversation réjouissante repose la question du rôle de l’architecte et de sa pratique dans un monde en crise perpétuelle.
En 2008, Bernard Quirot a décidé de rentrer chez lui. A Pesmes. En Haute-Saône. Un village de 1 000 habitants. Un retour à la matière et à l’engagement dans des lieux de vie délaissés non par l’architecture mais par les architectes. De fait, ces lieux et ces vies se sont bâtis sans eux. Pourtant Bernard Quirot défend le rôle et la présence de l’architecte dans les campagnes, les espaces ruraux, là où « l’architecture est toujours détestée par tout le monde car trop cher ». Mais, dans ces lieux, la ville est déjà là, il faut faire avec. Là est selon lui le rôle de l’architecte, celui de s’investir auprès d’un territoire, de ses habitants, au plus près de leurs besoins.
En 2015, il fonde le séminaire de Pesmes avec son association l’Avenir Radieux, pour « reconstruire une famille de pensée », « faire famille ». Formé par l’architecte Henri Ciriani, Bernard Quirot se souvient des années de duels avec Bernard Huet et des jeunes gens enthousiastes et passionnés par les débats et les partis pris. Ce n’est pas pour créer un nouveau duel entre architectes des campagnes et architectes de villes que Bernard Quirot a créé le séminaire mais bien pour construire une pensée, réfléchir collectivement. A la tectonique notamment. De l’architecture du commun, de la proximité. Une architecture issue d’un mode constructif intégral. « Construire avec un matériau précis, c’est peut-être permettre au grand public de comprendre le rapport à la matière », dit-il.
Cette attention à la matérialité est également le choix d’Emilien Robin. Investi dans le nord de la France, la brique est son matériau, celui qui lui permet de comprendre les savoir-faire. Le travail de l’architecte redevient ce pont avec l’artisanat et un échange entre celui ou celle qui construit et celui ou celle qui bâtit. Il relit le travail à celui des ‘Arts and Crafts’, à la pensée de William Morris, à cette complémentarité entre art et artisanat qu’il nous faut redécouvrir, retisser, hors des villes, où le luxe n’est pas pécuniaire.
Les territoires ruraux et les campagnes sont des espaces et des lieux du concret. Du bois, de la tuile pour Pesmes. De la brique dans le Nord. L’architecte peut alors devenir l’entrepreneur que Fernand Pouillon décrivait, celui du dialogue avec les artisans, en revenant à l’essence de l’architecture. Et peu à peu s’ancrer dans le territoire, ouvrir un dialogue avec celui-ci et avec ses habitants. L’agence de Bernard Quirot est d’ailleurs le 2ème employeur de Pesmes (à égalité avec une épicerie Carrefour) avec quelques employé.e.s de moins qu’une entreprise locale de construction de maisons individuelles.
S’engager sur un territoire, c’est aussi s’engager politiquement et vouloir faire différemment. Défendant sa profession, il aimerait que celle-ci s’engage. Parce que « même si nous avons des architectes méritants, les villes ne sont toujours pas agréables. De l’aménagement du territoire qui est une catastrophe absolue, les architectes sont aussi coupables », explique Bernard Quirot. Les architectes ne sont pas les seuls coupables, les ingénieurs technocrates le sont tout autant. Alors pour reprendre le pouvoir, il faut aller au contact, d’un maire, des habitants, refaire de l’intelligence. Même si le maire de Pesmes n’est pas dans le dialogue, la donne peut changer.
« Sans demande sociale et sans commande, l’architecte ne peut construire pour les gens », souligne Emeline Curien. L’association de Bernard Quirot est donc destinée à répondre aux besoins des particuliers : « c’est une autre manière de travailler pour l’architecte, une manière aussi de faire aimer un peu la profession », dit-il.
Quand dans la salle un jeune architecte, qui se dit désireux de s’installer dans un espace rural, interroge les deux architectes sur le modèle économique de leur agence, il ne semble pas comprendre que là n’est pas leur choix. Ce n’est pas tant la rentabilité de leur agence ou leur intégration dans le modèle capitaliste qui les mobilise mais la possibilité de faire autrement, de revenir à l’essence de l’architecture. A petite échelle, avec des petites commandes. Et de réfléchir à cette architecture, à ces villes jusque-là sans architecte, voire de s’essayer à l’autopromotion architecturale pour Emilien Robin, même si celle-ci reste compliquée en raison des marchés immobiliers ; entre tension et déprise, il faut trouver le bon terrain.
Emilien Robin a la dent dure contre le capitalisme, et « l’architecte qui sert l’ultra-riche », tandis que Bernard Quirot se réfugie derrière Gilles Perraudin pour qui « on ne construit plus pour des besoins mais pour le capital ». Le modèle devient autre, celui d’enrichir et de se nourrir du local.
L’idée est là, le retour à la terre est le retour aux gens et aux liens.
Julie Arnault
* L’ouvrage Pesmes, Art de construire et engagement territorial, est né d’une double volonté. Celle de Bernard Quiriot et du photographe Luc Boegly. Recueil d’échanges avec les architectes du séminaire de Pesmes, mis en mots par Emeline Curien, fait famille autour des pratiques d’architectes sur des territoires ruraux ou hors des grandes villes, tandis que le corpus photographique de Luc Boegly sur les paysages de Pesmes permet d’accompagner et d’ouvrir un autre regard sur les qualités de l’espace rural.