Dès ma première tentative de photographier l’architecture, j’ai réalisé que je voulais que le bâtiment et le paysage racontent une histoire commune et forment un tout indissociable. Chronique-Photos d’Erieta Attali.
Deux processus clés sont à l’œuvre simultanément lorsque je photographie l’architecture en tant que composante du paysage qui l’entoure : l’un dirigé vers l’intérieur et l’autre dirigé vers l’extérieur. Lors du premier, le paysage est interprété à travers le bâtiment agissant comme une lentille, réfléchissant, réfractant, révélant, unissant et séparant.
Simultanément – au cours du deuxième processus – le bâtiment est interprété comme faisant partie du paysage et prend du sens au travers de son contexte.
Dans les deux cas, j’essaie de communiquer une expérience continue par opposition à un parti pris visuel statique, les matériaux transparents jouant un rôle crucial dans cette négociation spatiale.
Comme le souligne [l’architecte japonais] Kengo Kuma, il y a des moments très particuliers tout au long de la journée où l’eau et les surfaces de verre changent de rôle : elles sont réflecteurs ou filtres immatériels voire lentilles déformantes qui unifient l’intérieur et l’extérieur. La transparence des matériaux, fonctionnant comme des capteurs, offre la capacité de projeter sur l’architecture des phénomènes atmosphériques et lumineux volatils.
Rencontres photographiques avec les Anti-Objets
Une conception affirmée suggère, et exige à la fois, une approche spécifique qui ne soit pas figée à l’avance et ne découle qu’en partie du concept architectural. Certes il faut s’engager avec l’œuvre dans un dialogue qui tient compte du concept original et des intentions de l’architecte ; idéalement ces intentions sont communiquées par l’architecture elle-même.
Très souvent, j’ai utilisé cette interprétation pour produire des photographies où des bâtiments encadraient le paysage ; les formes tectoniques ordonnaient le tableau et offraient des perspectives prédéfinies. Bien que cette stratégie produise de belles images structurées, elle trouvait très vite ses limites.
La première prise de conscience à cet égard s’est produite lorsque j’ai visité la Water/Glass House à Atami (Japon) en 2001. Pour la première fois, j’ai senti que le travail de l’architecture n’imposait pas des vues cadrées du paysage. Au contraire, je découvrais un chevauchement et une continuité entre le bâtiment et son contexte environnant. Selon les mots de Kengo Kuma, le bâtiment a cessé de se comporter comme un « objet ».
La quête de Kuma a été « d’effacer l’architecture », non pas en la dissimulant mais en dissolvant le concept d’objet architectural, soit une construction médiatique exaltée ne représentant que la relation à sens unique de l’architecture à la fois avec l’utilisateur et son paysage environnant. En déployant des matériaux réactifs, en séparant les éléments tectoniques et en utilisant une logique de composition issue des concepts japonais traditionnels de flux et de continuité, l’architecture de Kuma représente une exploration de « l’anti-objet » : une entité qui nécessite et en même temps génère son propre contexte dans lequel s’épanouir.
Ce que je veux souligner ici est que ma façon de travailler est directement liée au travail de Kengo Kuma, sans que j’aie moi-même à l’époque étudié ni son positionnement théorique ni ses – jusqu’alors – projets réalisés. Ses ouvrages se sont avérés exprimer de manière très naturelle ce que je recherchais dans mes photographies : une immersion totale dans le paysage, même si l’on est à l’intérieur du bâtiment. L’architecture est pour moi un filtre ou une lentille à travers lesquels j’observe et décris le paysage comme un tout.
Plutôt que de fournir une représentation descriptive de bâtiments et de paysages spécifiques, je choisis de me concentrer sur les relations entre l’architecture et son environnement en constante évolution, les constructions humaines étant traitées comme des « objets trouvés » rendus à la nature, amenant le regard du photographe à explorer et à repenser le monde.
Erieta Attali
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