Sans activité, il n’y a pas de recettes. Sans recettes il n’y a pas d’hôpital. Ainsi s’exprimait récemment le directeur d’un établissement hospitalier. Il parlait bien sûr d’un point de vue économique, expliquant que c’était la facturation de la prise en charge des malades qui permettait à l’hôpital d’exister. C’est une évidence. Il en est de même pour les prisons. Sans activité, pas de recettes, sans recettes, pas de prisons. Au final c’est la collectivité qui paye mais, avec les partenariats publics-privés (PPP), qui encaisse les recettes ?
Voyons ce qu’il en est des prisons. Au siècle dernier déjà la France était régulièrement condamnée pour l’état calamiteux de ses prisons surpeuplées. Au fil des plans prisons des gouvernements successifs, le nombre de place en taule a augmenté sans que les prisons françaises ne fussent d’un jour rendues plus confortables ni la promiscuité moins pesante. En 2016, elles n’ont jamais été aussi pleines et le nombre de détenus dépasse de nouveaux records tous les deux mois.
Ce n’est pas lié à la seule augmentation de la population. Selon Pierre Tournier, directeur de recherches au CNRS,* la France a connu, entre le 1er janvier 1975 et le 1er janvier 1995, un accroissement de 98 % du nombre de détenus contre 10 % seulement pour le nombre d’habitants (métropole). «Ainsi en 20 ans, le taux de personnes détenues, qui permet de raisonner à nombre d’habitants constant, est passé de 49 à 89 pour 100 000 habitants», explique-t-il. Ce taux de personnes détenues est passé à 101 en 2014.
Les PPP devaient soi-disant désengorger la fosse, les majors du bâtiment possédant sans doute expertise en la matière.
Maintenant, imaginons qu’une politique magique de la paix civile fasse diminuer radicalement la criminalité et, en conséquence, le nombre de prisonniers. Hourra ! Hourra ! Et qu’est-ce qu’il dit alors le député-maire de Triffouillis qui a poussé à la construction de cette nouvelle prison flambant neuve sur son territoire qui a coûté tant de millions et qui ne sert plus à rien, faute de détenus. Il aurait l’air malin le député-maire.
Surtout que même pour une prison vide, avec les PPP, il faut quand même payer le loyer aux majors du bâtiment et à la kyrielle de sous-traitant dont la prison est le business – blanchisserie, repas, équipements, uniformes, etc. – et qui sont pour la plupart également des majors de leur propre catégorie.
En tout cas, d’un point de vue financier, un rapport de la cour des comptes d’octobre 2011 estime que rien n’indique que le privé soit plus performant. Ainsi que le note le rapport, «le coût de construction, d’abord, n’a cessé d’augmenter : une place de détenu coûtait, en 2008, 145 500 euros en gestion déléguée, contre 108 300 euros en simple contrat de conception-réalisation». Surtout, ses auteurs, inquiets, faisaient remarquer que «la soutenabilité budgétaire» de ces loyers cumulés pour des décennies allait passer de 95,4 millions d’euros en 2010 à 567,3 millions d’euros en 2017. Cinq fois plus, une paille ! 2017, nous y sommes, les PPP ont asséché les crédits publics et la justice n’a plus un rond.
Pour 567 millions, c’est dans l’intérêt de beaucoup de monde que le besoin de cellules puis de locataires de ces ‘espaces de vie’ soit exponentiel, comme leur financement. Dit autrement, plus les places de prisons sont nombreuses plus la criminalité augmente et plus les lois sont restrictives et plus il faut de places de prisons.
Toujours est-il qu’avec l’apparition des PPP, la population pénale est passée de moins de 50 000 détenus en 2002 à près de 59 000 en 2004, soit une augmentation de 20% en deux ans !!! De quoi justifier mieux encore ces fameux PPP ?
Mauvais cauchemar ? Théorie du complot ?
Non, les exemples abondent. C’est aux Etats-Unis que les prisons et autres pénitenciers furent privatisées pour la première fois, des PPP pré-Thatchérien. Qui se souvient que le village des athlètes des Jeux olympiques de Lake Placid aux USA en 1980 était destiné à devenir une prison ? Ce qu’il est devenu et demeure encore. Aujourd’hui des villes américaines ont fait de la prison leur principale industrie, comme d’autres sont spécialisées dans le poireau ou l’industrie métallique. La prison crée des emplois, la ville apprend à gérer des flux et quand les flux augmentent, il est question de croissance. Donc le flux grossit et on construit plus de places qui seront immédiatement remplies. Comme par hasard, les députés-maires et consigliere des majors arguent de concert, au nom de la sécurité, la nécessité de lois de plus en plus répressives qui permettront de remplir les taules d’autant. La preuve, les Etats-Unis ont le taux de détention par habitant le plus élevé au monde (697 pour 100 000, soit près de sept fois plus qu’en France). Et roule ma poule, la prison est un business qui marche.
Qui plus est, la logique des PPP invite aux économies d’échelle, d’où ces prisons récentes, gigantesques mais sans âme. Qui se souvient qu’à La Santé, les cellules avaient des fenêtres ? On n’y allait pourtant pas par plaisir. Toujours est-il que, en dix ans, la population carcérale a cru en France de 26 % par rapport à 2003 quand, sur la même période, elle baissait en Allemagne, en Angleterre, en Finlande, en Suède, aux Pays-Bas ou au Portugal.
Au-delà du fait qu’il n’a absolument rien changé au problème, une fois celui-ci livré, le Sénat a calculé le coût par cellule du programme 13 200, initié en 2002 et dont les derniers établissements ont été livrés en 2015. En voici le détail : 108,2 millions d’euros pour les établissements pénitentiaires pour mineurs, soit un coût moyen à la place de 280 000 € constant, valeur janvier 2008 ; 1 406 millions d’euros (remarquer la pudeur du Sénat à éviter le mot milliard qui risque de fâcher), 1,4 Mds€ donc pour les établissements pour majeurs, soit le coût moyen de la place à 120 000 d’euros hors maisons centrales et établissements outre-mer ; le coût moyen à la place pour les deux maisons centrales est de 290 000 € ; 68,4 millions d’euros pour la construction de quartiers dédiés à la réinsertion, soit un coût moyen à la place de 110 000 € pour les quartiers «nouveaux concepts» et 85 000 € pour les quartiers de semi-liberté.
Ainsi, au total, le coût du programme 13 200 s’élève à environ 1,6Mds€. Où l’on constate que ce sont les quartiers de réinsertion et de semi-liberté qui coûtent le moins cher et que 68 millions seulement – sur 1,5 milliard ! – leur sont consacrés. Sacré changement de paradigme en effet depuis le programme 4000 qui le précédait et dont la volonté humaniste était clairement affichée. Ce d’autant plus qu’avec les nouvelles prisons, en PPP mais pas seulement, le détenu n’est plus seulement privé de liberté mais coupé du monde. Les incidents sont tellement nombreux que l’actuel garde des sceaux Jean-Jacques Urvoas, qui a annoncé en septembre 2016 un nouveau programme 10 000, quitte à multiplier le nombre de cellules, a opté pour de plus petits établissements, plus proches des villes.
Sinon, un détenu coûte 32 000 euros par an à l’Etat, de quoi vivre pendant un an dans un très bel hôtel en bord de mer. Considérant que près de 40% des détenus ne sont absolument pas dangereux pour l’intégrité physique d’autrui (stups, vols simples, escroqueries, abus de confiance, infractions routières ou à la police des étrangers, etc.), que par ailleurs environ 30% sont des prévenus, c’est-à-dire en attente de procès, cela fait cher la sévérité. Pour ce prix-là, autant leur donner une maison Borloo à 100 000€ et une bourse annuelle de 32 000 € pour qu’ils restent chez eux. Il y aura sans doute plus de chance qu’ils ne récidivent pas, sauf à vouloir agrandir leur petit chez eux.
«C’est une course sans fin, bâtir de nouveaux établissements ne fait qu’encourager de nouvelles incarcérations car la nature a horreur du vide», écrivait en 2012 ce militant de l’Observatoire international des prisons, le député Jean-Jacques Urvoas, qui affirmait encore «préférer les solutions qui limitent les flux d’entrées et augmentent les flux de sorties aménagées». Devenu ministre de la justice, voilà le même qui multiplie les annonces de nouvelles prisons. Ni la raison ni l’économie ne résistent au gain politique espéré à hurler avec les loups, voire plus forts que les loups.
Preuve de l’indécision des gouvernements successifs depuis 20 ans, la taille d’une cellule simple était d’abord de 10,5m². Puis elle est passée à 13,5m² pour deux personnes, puis à 8,5m² pour une personne avant de revenir finalement à une cellule individuelle de… 10,5m². Si cela n’est pas de la constance….
Mais voilà, la prison, si c’est une plaie pour la société tout entière, c’est bon pour l’économie locale et les lobbies de toute sorte. «Sur le plan économique, 58 millions d’euros sont injectés dans l’économie polynésienne, la construction de la prison fait travailler une vingtaine d’entreprises locales. De plus, près de 200 familles des salariés du centre de détention arriveront dans la région de la presqu’île, cela donnera un coup de fouet à l’économie locale», explique sans fard Gilbert Marceau, directeur du centre de détention de Papeari**.
S’il s’agit de faire tourner l’économie, il y a peut-être de meilleures solutions. C’est vrai quoi, pourquoi l’Etat ne ferait-il pas un deal avec les communes ? A 120 000 euros l’unité plus 32 000 euros d’allocation annuelle, peut-être seront-elles heureuses de gérer gentiment tous ces détenus non dangereux : après tout un logement social, c’est à peine 10 000 euros par an, alors il y a de la marge. Puisqu’elles se plaignent de la baisse des dotations de l’Etat, voilà qui serait une source de revenus bienvenue. Les Pays-Bas par exemple ne s’y sont pas trompés. C’est bizarre mais dans ce pays où la consommation de cannabis est depuis longtemps dépénalisée, les prisons ne sont pas pleines et les Néerlandais louent leurs cellules vides à leurs voisins en proie à la surpopulation. Et le prisonnier belge il est sans doute mieux aux Pays-Bas qu’en Belgique ou en France.
Bref, ne nous leurrons pas, l’Etat français n’est pas prêt de vider ses prisons. C’était quand la dernière amnistie présidentielle. ? Alors qui en profite pour le coup ?
Christophe Leray
* Tournier, Pierre V. CNRS Directeur de recherches au CNRS, Centre d’histoire sociale du XXe siècle – Université Paris 1
*Cité par Noémie Debot-Ducloyer, Tahiti Infos, lundi 31 août 2015