Quoi de mieux pour se remettre en selle pour le Tour de France contemporain 2024 de Chroniques que de découvrir la première réalisation d’une agence ? Pour cette première journée de reconnaissance* et de reprise en milieu d’hiver, direction l’étape 5, entre Saint-Jean-de-Maurienne et Saint-Vulbas, pour découvrir Les écuries de la Roche réalisées à Vourles (Rhône) par F+G Architectes.
Cette cinquième étape marquera la fin de l’épopée alpine du peloton et de leur remontée des Alpes. Une épopée romanesque embrassant les Alpes dans leur intégrité géographique au-delà des frontières administratives reliant la France et l’Italie par le plaisir du vélo et de la course. Elle sera plus calme que les précédentes, les combats en altitude auront déjà été menés. C’est une étape de retour à la plaine. Idéal pour la reconnaissance que de commencer par ce qui constitue une accalmie pour les professionnels. L’amateur lui, le corps plein de toxines des fêtes de fin d’année, l’envisage plus comme un défi de reprise.
Les écuries de la Roche appartiennent à ce programme spécial de la vie des agences, la première commande. Elle apparaît rêvée une fois le bâtiment livré pour l’observateur extérieur. La réalité est évidemment beaucoup plus nuancée. À la direction du projet, deux jeunes architectes confirmés, Thomas Faye et Frédéric Grandvaux, qui décident de se lancer et qui pour premier contrat ont la chance de réaliser un programme vaste dans un site merveilleux.
Il en est de la première commande comme de toutes les premières fois. La chance y règne, le hasard semble bienveillant et le futur apparaît se teinter à l’horizon d’une couleur promettant de nombreux succès à venir. Les architectes plus chevronnés dans leur pratique savent tous que rien par la suite ne se passera comme prévu. La vie est paraît-il ce qui vous arrive quand vous rêvez à autre chose. C’est peut-être mieux ainsi, un peu de chance au début pour gagner en confiance avant de rentrer dans le cœur du réacteur et ses innombrables amertumes. Un antipasti acidulé avant le goût doux-amer du plat de résistance.
La commande, une fois le bâtiment livré, semble presque idéale : « c’est l’amie d’une de nos compagnes dont le père souhaitait construire un centre équestre qui nous a mis en contact ».
Anecdote séculaire et incroyable racontée par le duo. La première commande, d’importance, apparaît comme par magie, au bon moment. L’agence a dû convaincre tout de même, et tout le temps, avancer étape par étape, phase après phase, pour gagner la confiance du maître d’ouvrage. Processus naturel décuplé par la jeunesse de la structure mais appuyé sur une solide expérience. Le projet est merveilleux, une superbe première occasion, un centre équestre implanté dans un domaine arboré et classé en périphérie de l’agglomération Lyonnaise.
L’agence inscrit le projet dans un site malgré tout compliqué. Un bâtiment existant qui sert de point de départ ou d’appui théorique, des zonings abstraits qui découpent la parcelle et un programme complexe forment un cahier de charges aux marges de manœuvre réduites.
La stratégie d’implantation d’un plan en équerre aux parties disjointes permet à la fois de lier les programmes tout en les organisant de manière étanche. D’un côté le manège, le club house, les bureaux, les fonctions supports et de l’autre les boxes. Cette organisation géométrique rigoureuse est découpée à l’ouest par une diagonale, fruit de la vision théorique des zones non constructibles.
L’architecture porte les stigmates des contraintes administratives et s’en amuse. Le plan en L permet aux boxes de jouer le rôle de soutènement du terrain naturel et d’installer une rupture de pente nécessaire à la mise en place d’un grand manège à plat. C’est un long volume allongé, une architecture du paysage pour régler des problématiques topographiques.
L’ensemble des formes et des volumes est rendu cohérent par le vocabulaire architectural. « L’architecture vient unifier les différents volumes à travers un travail de rythme en façade qui reprend la verticalité du paysage. La densité des trames exprimées offre une lecture transparente des espaces et donne de la profondeur au bâtiment », précise le binôme.
La palette de matérialité est réduite, brute le plus souvent. Les éléments sont à la fois structurels et modénatures. Point de fioriture architecturale, ce qui permet de contrôler le budget et de l’expliciter. Toute la matière mise en œuvre est nécessaire. Le client apprécie. Les soubassements sont en béton pour offrir une robustesse adaptée aux ruades et autres coups de sabots de ses occupants permanents.
Le langage est binaire, les pieds sont robustes et les coiffes aériennes. Ce n’est rien d’autre que celui de l’architecture agricole, c’est bien assez. La légèreté des coiffes en bois répond aux besoins de lumières et de ventilation naturelle comme l’expliquent les architectes. « L’utilisation du bois, dans ce projet, réinterprète les codes traditionnels du mode agricole à travers un langage contemporain. Son usage répond à l’usure inhérente à son exposition autant qu’au respect des normes liées à la pratique équestre », disent-ils.
Le traitement architectural est résolument contemporain. Il s’inscrit dans son époque et son territoire. Le temps passé à sillonner les routes rhônalpines en reconnaissance pour Chroniques met à jour une filiation forte de l’architecture locale avec son voisin autrichien du Voralberg. C’est désormais le langage architectural local récurrent, probablement ce que l’histoire retiendra des années 2000 dans ce territoire de l’arc alpin. Du bois, de la ventelle, des liteaux, des soubassements maçonnés. Le vocabulaire des granges alpines en somme fabriqué à l’horizon des technologies contemporaines.
Le projet s’inscrit dans cette nouvelle tradition et, dans ce registre, se place sur le podium. En témoigne les distinctions reçues par la jeune agence, notamment la nomination au prix de la Première d’œuvre 2021. Un premier projet de rêve donc, avec le maillot blanc de meilleur jeune en attendant le maillot jaune. Seul ce diable de Pogacar en était capable, nous leur souhaitons le même destin.
Ce premier projet en reconnaissance et dans l’histoire de l’agence F+G architectes préfigurent une belle année à bicyclette sur les routes de l’architecture contemporaine. Il résonne avec le parcours de notre Thibault Pinot national qui démarra son premier tour de France en 2014 par une victoire en fanfare à l’Alpe d’Huez. Une première victoire pour un premier Tour comme un premier projet de centre équestre. La magie du début, l’insouciance qui fait gagner, l’avenir prometteur, les commentateurs qui font de vous le héros des années à venir. Et puis la vie, les blessures, les loupés, les MAPAs à 5 % qui vous écœurent, les candidatures recalées, ce monde professionnel qui peut dégoûter et faire perdre l’espoir.
L’architecture en va comme du vélo : il faut de belles épiphanies pour partir s’entraîner sous la pluie des mardis pluvieux, y penser sans cesse. Ce sont deux sports d’endurance avec beaucoup de compétiteurs et un seul vainqueur par étape. F+G s’est échappé en jeune loup du peloton et regagne un temps sa masse anonyme. Nul doute que de prochaines belles victoires arriveront. On leur souhaite un futur à la Thibault Pinot, de finir sans forcément tout gagner mais en ayant désormais un lieu-dit qui porte son nom, le virage Pinot. Preuve que dans un cyclisme aseptisé, il est encore possible de célébrer la dignité d’un coureur plus que son palmarès. Horizon magnifique que l’architecture devrait embrasser, offrir des lieux pour célébrer la dignité et où il fait bon vivre ensemble quelque part.
Une halte au bouchon Le Cèpe, directement à Vourles, permet au suiveur de finir cette reconnaissance au cœur de la gastronomie lyonnaise. La carte et les arrivages offrent tout ce qui est attendu d’une telle cantine. Un jarret de veau confit accompagné d’un verre de Condrieu blanc à bonne température conclut cette reprise sur les routes. La prochaine reconnaissance devra être à la hauteur. La forme sera meilleure et probablement que dans la plus vicieuse des montées l’on se donnera du courage en pensant à ce virage devenu mythique et cet air de légende « Chalalalalala Thibaut Pinot ».
Guillaume Girod (en reconnaissance)
* Le Tour de France 2024 s’élancera de Florence en Italie le Espagne le samedi 29 juin pour une arrivée à Nice le dimanche 21 juillet. Comme les équipes de coureurs reconnaissent les étapes en amont, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques d’architecture, pour leur septième participation, en font désormais autant.
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018