Pour cette troisième journée de reconnaissance, la quatrième étape* offre une transition toute trouvée entre l’Italie et la France, de Pinerolo à Valloire (Savoie) sur 138 km avec au programme la montée vers Sestrières, le col de Montgenèvre, le col du Lautaret puis le Galibier. Une étape pour grimpeur, un monument pour les suiveurs pas encore repus de leur séjour en terre italienne.
Cette reconnaissance démarre en douceur, par une première pause – il y en aura d’autres – puisqu’une fois passé le col du Montgenèvre, arrivé en France, un détour s’impose vers le sud direction Abriès. L’occasion de découvrir le chalet de l’Atelier Fernandez Serres réalisé en 2004 et nommé au prix de la première œuvre de la même année.
Ce premier ouvrage du duo Ivry Serres et Stéphane Fernandez, aujourd’hui séparé, incarne à la façon de la première reconnaissance de l’année** cette épiphanie que constitue souvent le premier projet et qui résonne avec le travail des frères Pedevilla :*** fabriquer une architecture contemporaine dans les Alpes, plus précisément dans le parc régional du Queyras (Hautes-Alpes).
C’est une commande d’architecture domestique, classique au sens des premiers contacts qui génèrent les premiers projets, où les architectes doivent fabriquer du sens dans un paysage souvent malmené par l’architecture de l’époque et fabriquer une maison où il fait bon vivre quelque part.
Le projet est inscrit dans un fort dénivelé et revisite l’archétype de la grange alpine : soubassement maçonné et étage en structure légère. Il est coutume de dire par ici qu’un bâtiment doit avoir des bonnes bottes et un beau chapeau. Le duo se charge de réussir cet assemblage complexe entre la massivité et la légèreté par un ouvrage gracile planté dans la pente. D’aucuns de penser alors à Kate Moss au festival emboué de Glastonbury, en bottes de ferme et robe à paillettes. L’alliage est possible, Fernandez Serrez le démontre. Ivry Serres confirme ces intentions dans une interview donnée à France Culture pour le prix de l’équerre d’argent 2022 : « je pense qu’aujourd’hui, la modernité se base sur ces ambiguïtés, entre le lourd, le léger, l’opaque et le transparent », expliquait-il. Des propos postérieurs de vingt ans à la conception de ce chalet valident encore ce chemin de pensée.
L’ouvrage est donc construit dans la pente au travers d’un épais socle maçonné pour le sous-sol et le rez-de-chaussée qui tient les terres et la gravité. Il fonde le projet au sens propre comme au sens figuré, il le relie au sol et à la roche par la minéralité. Un angle est dangereusement évidé pour accueillir une menuiserie d’angle en vitrage collé, il est l’exception à la règle, l’endroit du réel qui se soustrait à l’intuition ; il perturbe la compréhension attendue du dispositif, la coiffe semble tenir sur un angle vitré.
Cette dernière, élégante et gracile, multiplie les plans et les profondeurs. Le rythme vertical du bardage au nu de la rive du toit en débord de la façade crée une épaisseur remplie d’ombres malicieuses. C’est un beau chapeau. Ainsi que l’expliquent les architectes, le rythme rappelle les constructions locales faites de fustes, ces maisons construites en rondins de bois brut : « (ils) caractérisent les constructions très anciennes dans la vallée. Autrefois, ils étaient utilisés pour entreposer du bois, du foin, ou du linge et avaient des fonctions d’isolation. Cette forme a été réutilisée ici pour résoudre la structure porteuse des bow-windows suspendus et la cinétique de la façade en bois. Ainsi par un dispositif perspectif simple, les fustes ont été doublés de façon à générer une masse critique selon l’angle de vue. Cette vibration se modifie à chacun de nos pas pour se découvrir au plus près ».
Ces bow-window suspendus relient le dehors et le dedans, le paysage et l’intime, la famille et son environnement. Ils installent cette tradition constructive au cœur des Alpes et revisitent l’image classique de la cabane suspendue dans les arbres. Une façon d’habiter en relation avec le lieu par un dispositif tenu et minimum, un vitrage et un coussin. « Ces éléments composent des tableaux profonds mettant en scène et en perspective la vue et l’habitant. L’espace de la fenêtre devient utile », précise Ivry Serres.
Le projet reprend les principes séculaires locaux et participe à l’écriture collective d’un paysage bâti dans les Alpes. Sa fabrication savante et douce permet à tout un chacun de requestionner sa vision de la maison dans ces territoires. Il met sur la table la capacité de l’architecture à faire sens sur le temps long en arborant les signes de la modernité. Peu de bâtiments réussissent cet équilibre dans la construction domestique de l’Arc Alpin, le pastiche façon gros chalet pullule mais ne parvient jamais à dire son époque, il ne porte que les consensus mous d’images collectives fabriquées par le plus petit dénominateur commun. Le projet de Fernandez Serres pousse la réflexion plus loin en ajoutant à la question de la fabrication la dimension onirique. Ils ont réussi ici pour leur premier ouvrage à installer précisément une ambition à la fois douce et ferme que résume Ivry Serres : « Il y a des architectures qui crient et d’autres qui chantent ».
Nous avons tous eu envie de crier au fond d’une vallée pour entendre son écho lequel, en revenant, nous signifie que nous sommes là au milieu d’un paysage hors d’échelle. Des architectures crient effectivement et se définissent par l’écho qu’elles créent, le bruit qu’elles font dans le paysage.
Fernandez Serres ont préféré chanter, pas trop fort, sans écho, sans chercher à faire du bruit inopportun. Wajdi Mouwad, dramaturge libanais, évoque sa passion pour les chauves-souris pour expliquer certains dispositifs oratoires : « (elle) est un animal tout à fait étonnant parce qu’elle ne peut voir que par écholocation, pour voir elle doit crier (…) et puis se taire pour avoir le temps d’entendre l’écho autour de son propre cri (…) une chauve-souris entend par une sorte d’alternance entre cri et écoute » .
Fernandez Serres ne crie donc pas dans les montagnes, ni ailleurs, ils chantent simplement et l’ont fait ailleurs avec brio. Ils apportent sur la route du Tour, dès le retour en France, une vision de cette architecture contemporaine alpine de qualité si rare dans le paysage. Ils donnent du cœur à l’ouvrage pour reprendre la route et affronter le reste de l’étape qui s’annonce gargantuesque.
Pour une fois, les écouteurs sont remisés dans la poche arrière du maillot et l’on chante pour se donner du courage. C’est une bonne idée de traverser le monde sans crier mais en chantant. Et d’espérer que le duo, dont les chemins se sont séparés à l’âge adulte, se retrouve parfois pour pousser la chansonnette et évoquer leurs amours adolescents d’architecture alpine. Rien ne sert de crier.
Guillaume Girod (en reconnaissance)
* Le Tour de France 2024 s’élancera de Florence en Italie le samedi 29 juin pour une arrivée à Nice le dimanche 21 juillet. Comme les équipes de coureurs reconnaissent les étapes en amont, les suiveurs du Tour de France contemporain de Chroniques d’architecture, pour leur septième participation, en font désormais autant.
** Lire TDF 2024 – Étape 5 – Les écuries de la Roche par F+G Architectes
*** Lire TDF 2024 – Étapes 2 et 3 – Pedevilla Architects, les cousins qui ont tout compris ?
Pour les suiveurs, retrouver :
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2024
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2023
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les Reconnaissances d’étape du Tour de France contemporain 2022
– Toutes les étapes du Tour de France contemporain 2021.
– Le Tour de France contemporain 2020 : Le départ ; La suite ; La suite de la suite ; L’arrivée.
– Le Tour de France contemporain 2019 : 1ère semaine ; 2ème semaine ; 3ème semaine.
– Le Tour de France contemporain 2018