Tant que la bonne question ne sera pas posée, la solution ne pourra pas être proposée. À l’évidence, le problème du logement reste quantitatif mais qu’en est-il de la qualité, et plus particulièrement de la qualité architecturale ?
Le vrai problème est comment faire évoluer un espace au gré des activités, comment le transformer avec l’évolution de la famille ? Comment s’y prendre dans un pays où la mobilité géographique n’est pas de règle ?
Il n’est pas question de l’achat une pièce supplémentaire ou d’un espace extérieur, il s’agit de donner une réponse possible à partir d’un même espace, d’une même surface. Il faut passer d’une réflexion quantitative et technique à une réflexion qualitative favorisant la fluidité, la diversité et l’appropriation.
Existe-t-il un logement idéal ?
« La Maison du Fada », montrée en exemple à la Cité de l’Architecture, est réductrice dans une société qui évolue sans cesse, qu’il s’agisse de nos modes de vie, de nos activités, de notre rapport au travail ou du temps passé dans notre espace intérieur.
Si tout a été dit ou exploré au sujet du logement, reste le problème du prix du foncier, du prix de la construction, du financement… tout est bon pour expliquer une situation désastreuse et l’architecture n’est pas en reste. Les bailleurs et les promoteurs savent ce qu’il faut faire. Pour eux, ce qui définit la qualité est le prix, le prix, le prix. Inutile de parler de normes et de réglementations, la situation est complètement bloquée.
L’erreur est de penser « locatif » comme solution possible à presque tous les problèmes. Sur cette question du logement, Friedrich Engels disait « le travailleur doit être propriétaire de son logement ».
Les similitudes sont grandes entre l’époque de l’abandon de l’industrie domestique et celle que nous abordons du télétravail. Une difficulté existait déjà, celle de la mobilité, elle s’est accentuée.
N’est-ce pas le bon moment pour réfléchir autrement ?
Alors que les architectes se sont soumis au diktat de l’économie de la construction, les résultats escomptés sont décevants. Face à l’attention portée à la planète, l’uniformisation est une mauvaise réponse. Rien sur la diversité mais une question stupide revient sans cesse : êtes-vous architecte de béton, architecte de bois, d’acier ou architecte de récupération ? Un peu comme l’idiot qui pose la question : vous êtes peintre ? Vous faites de la peinture à l’eau, à l’huile ou à l’acrylique ?
Le sujet n’est malheureusement pas anecdotique. Alors que l’attente est forte d’un logement qui correspondrait à « notre modernité », nous faisons l’économie de l’architecture en n’innovant plus. En misant tout sur une économie technique, nous assistons à la disparition du sens de l’architecture.
Comment rendre une conception architecturale indépendante du système constructif ?
Actuellement, seule la vérité technique a droit de cité, pourtant bien des « vérités » se sont révélées mensongères. C’est le cas avec « le chemin de grue » qui a été le guide de l’économie de la construction. La grue n’avait pas de flèche mais que des rails, alors nous ne pouvions concevoir que des barres et surtout pas « d’îlot ». L’économie n’acceptait que le « coffrage tunnel » et le « refend porteur », donc pas de façade porteuse imaginable, pas de possibilité de refend parallèle à celle-ci. Ensuite sont arrivés les nouveaux systèmes constructifs « poteau poutre », tridimensionnels, proliférant, et ont suivi les composants, l’industrialisation ouverte. Il fallait aller vite.
La situation n’a pas beaucoup changé, cinquante ans après, il faut aller vite.
Les efforts ne portent plus sur les composants de structure mais sur le bilan carbone, sur les matériaux utilisés. Le béton est désormais honni, vive le bois, le bambou, le pisé, l’enduit à la chaux ! Peu de gens se souviennent, qu’il y a quarante ans, l’heure était à l’expérimentation du village de terre de l’Isle d’Abeau (entièrement construit avec de la terre crue), du village solaire de Melun Sénart ou de la filière construction bois soutenue par le Plan Construction.
De l’innovation technique à l’innovation conceptuelle, le chemin est difficile tant les deux semblent indissolublement liés.
Les années ‘80 ont été marquées par la volonté de sortir du « coffrage tunnel », de la trame unique de la façade en éléments de béton préfabriqués. À cette époque, la façade porteuse n’était pas envisageable et le système « poteau poutre », qui avait cours partout de l’Angleterre à l’Italie en passant par l’Espagne, était impossible à promouvoir.
Les standards se sont développés et, bien que les techniques de construction aient évolué, la conception est restée sur sa voie. Le constat positif, difficile à croire, est que la conception, en restant figée, s’est rendue indépendante de la construction. Nous n’utilisons pas les nouvelles façons de construire pour ce qu’elles peuvent apporter, la conception ne s’est pas libérée des contraintes initiales portées par une « industrialisation primitive ». Les programmes architecturaux se résument à un collationnement de surfaces et de normes, avec un fonctionnement hérité de l’appartement bourgeois du XIXe siècle.
Le télétravail réinvente ce qui était jadis « l’industrie domestique »
Finalement, l’évolution de la société va nous aider car le logement ne pourra plus être ce qu’il était, il va falloir reconsidérer la notion de qualité du logement.
Si le rêve se porte majoritairement sur la maison individuelle et son « jardinet », avec la crise de l’énergie la part de rêve va être de plus en plus limitée. Les nouvelles manières de travailler induisent incontestablement de nouvelles attentes, de nouveaux besoins. Le télétravail nous renvoie à un moment où l’exigence du confort moderne et l’intolérance n’étaient pas de même nature. Avec la maison individuelle et son potager, la pièce commune sans télévision, sans ordinateur, sans console de jeux, sans internet, sans téléphone suffisait largement.
L’étalement urbain a désormais atteint ses limites, il nous faut trouver un type d’habitat compatible avec l’évolution des modes de vies et compatible avec nos nouvelles mobilités. Il nous faut inventer un nouvel archétype, une sorte « d’hôtel particulier » plurifamilial plutôt qu’un « palais pour le peuple ».
Le logement est indissociable d’une vision de la ville.
Comment rendre le collectif « enviable » avec les avantages de l’individuel sans ses inconvénients ? On ne peut pas évoquer la question du logement sans énoncer un projet de ville.
Quelle ville voulons-nous ? Le premier constat est celui de la disparition du « bien commun » désormais sorti du bréviaire de l’urbanisme.
La question du logement mérite une attention particulière car, contrairement aux équipements publics ou aux « ouvrages fonctionnels », il n’existe pas de corpus qui pourraient servir de références. Comment répondre à toutes les exigences normatives, réglementaires, techniques, économiques, culturelles, urbaines, urbanistiques, esthétiques, sociologiques ? Les élus s’y intéressent quantitativement et esthétiquement pendant que les promoteurs s’y emploient économiquement. Des arbitrages devraient s’imposer alors que pour beaucoup l’important est le nombre de logements à construire. De fait, chaque situation devrait emporter une réponse particulière. Il faut espérer que la quête de l’habitat « modulaire » a fait long feu et que plus personne ne rêve d’utiliser des conteneurs comme habitat.
L’important est de faciliter l’appropriation.
L’appropriation c’est faciliter la distribution d’un logement, un choix adaptable tout de suite et dans le temps.
L’architecture doit permettre d’apprécier un lieu de vie au quotidien. Pour moi, il faut repartir de l’intérieur du logement, de l’évolution des usages, des différences culturelles, des nouveaux comportements familiaux pour envisager des réponses dignes des attentes. Auparavant, les maîtres d’ouvrage demandaient aux architectes de leur présenter « des cellules », aujourd’hui ils produisent eux-mêmes leurs programmes avec des exigences et des particularités pas toujours gage de qualité. Il leur faut juste des façades pour vendre plus vite !
Le logement doit apporter des réponses sans cesse plus variées si l’on veut tenir compte du contexte, d’une culture, d’une histoire, de situations toujours différentes. Il faut admettre qu’il n’y a pas de réponse unique.
Je plaide pour la remise en cause du tunnel dans lequel le logement est définitivement enfermé.
Si l’on pense à un espace de 65 m², le programme architectural que je propose va s’énoncer à partir de réponses différentes : fluidité/évolutivité/sécurité/ adaptabilité/ mixité. Je cherche d’abord à favoriser le rapport entre l’intérieur et l’extérieur, puis je propose l’espace le plus évolutif possible en cherchant les conditions qui permettent de transformer un trois-pièces en un quatre-pièces, de façon temporaire, pour satisfaire à l’adaptation des occupants.
La mixité dans l’habitat est la condition de l’urbanité.
La mixité est revendiquée comme remède, notamment dans la loi Alur. Elle risque pourtant d’être un mal car la réalité de la mixité consiste à passer d’une démarche fonctionnaliste à une démarche holistique et à ne pas s’arrêter au logement.
La mixité ne doit pas être limitée aux modes de financement du logement, elle concerne l’intégration des activités.
Autrement dit, le chemin va être difficile quand il va falloir surmonter nos « intolérances ». En effet, nous sommes devenus de plus en plus intolérants en ville comme à la campagne. Pourtant il m’apparaît que la ville va devoir se refaire essentiellement sur les territoires mobilisés pour des activités diverses et qui constituent « nos périphéries ».
Une vision à moyen et long terme s’impose.
Avoir un projet de ville passe par l’énoncé de ce qui va être le bien commun autour duquel vont se développer les activités.
Là aussi, les architectes doivent avoir un rôle moteur sur la structure du foncier, sur l’organisation du bâti, sur l’affectation des rez-de-chaussée. L’heure est propice car la crise va permettre de remettre en question les vieux réflexes.
Du logement à l’îlot au quartier, il y a des ruptures mais aussi un continuum démocratique, une pensée qui pousse à revoir nos façons de faire pour créer les conditions d’un vivre ensemble. Le centre-ville est devenu inaccessible, c’est la périphérie qui devient « la ville en devenir », c’est elle qui va assumer la production du bien commun, elle qui va le structurer au-delà du fonctionnalisme élémentaire de circuler, travailler, habiter et se récréer le corps et l’esprit.
Quel que soit l’ordre de l’énoncé, « le plaisir de vivre en ville » n’est pas une énième fonction, elle n’est commandée par personne.
Le vingtième siècle a fait l’expérience de l’art total, s’en est suivi une détestation de l’architecture et une explosion conceptuelle de « la ville ». Le moment est venu de repenser les composantes de l’architecture et de la ville pour les agencer de mille manières différentes.
Le centre historique des villes européennes rejette l’automobile et devient généralement un espace « patrimonial ». La périphérie change de nature et se structure comme un atoll autour de son lagon. La tâche des années à venir consistera à proposer, à partir d’une vision d’ensemble, une structure rayonnante, mixte, variée, diversifiée, une image mémorisable pour que le GPS devienne inutile…
La ville est un sujet technique mais aussi un sujet partageable par tous et pour lequel l’intérêt général doit revenir au premier plan. Il faut du temps, faute de quoi nous serons toujours dans le chaos.
Alain Sarfati
Architecte & Urbaniste
Retrouvez toutes les Chroniques d’Alain Sarfati