Nous vivons au sein de frontières physiques mais aussi psychologiques et psychiques, lesquelles peuvent être déplacées, ajustées, façonnées : architecturées de la petite à la grande échelle ! Extrait Livre 1 : Quoi pour quoi ? Chronique HABIT@.
Ami lecteur,
à cet instant précis où tu lis, il y a en toi un état, peut-être une sensation, une émotion : content ? malade ? triste ? apaisé ? Peut-être tu as trop froid, trop chaud ? Peut-être n’en as-tu pas conscience ?
Tu vas être pris dans le flot de ces phrases qui se succéderont, résonneront dans ta tête, inscriront un sillon ou au contraire glisseront sans adhésion.
Pourquoi ?
Il y a ton état intérieur qui rencontre ces mots.
Tu peux prendre quelques minutes si tu souhaites, pour voyager là : dedans toi. Réveiller des sens complémentaires aux cinq bien connus : interoception.*
Mais revenons à cette chronique et cessons un instant de focaliser sur cet état intérieur.
Cessons aussi de focaliser sur ces mots.
Il y a aussi autre chose.
Cet autre chose est notre sujet.
Cet autre chose c’est…
– Réfléchis quelques secondes avant de scroller un peu plus bas –
Cet autre chose c’est l’environnement.
Comme ton paysage intérieur, cet environnement est différent pour chaque lecteur. Il est peut-être naturel, artificiel, hybride, subi ou choisi. Il peut aussi avoir été, ou être transformé, modifié, construit.
Où es-tu, à cet instant précis ? Dans quel habitat, quel espace ?
Au bord de la mer,
Sur un banc dans la ville,
À la terrasse d’un café,
Dans le métro, le bus
Dans un lit,
Sur une chaise,
Au bureau,
Il fait jour ? nuit ? froid ? chaud ? Le soleil brûle ou réchauffe ?** Le gris ternit ? apaise ?
Perçois-tu d’autres vivants ? Des insectes, des oiseaux, des mammifères, des végétaux, d’autres humains, connus ? Inconnus ?
Quels éléments ressens-tu en ce moment ? L’air – frais, sec, humide – ; le sol – dur, doux, chaleureux (son effusivité), réfléchissant, résonnant, etc. – ; le plafond – la hauteur, le bleu du ciel, le blanc du plâtre – ; les murs – brillants, lisses, marqués, ornés, froissés – ; les reflets, les matières – du métal, du bois, du cuir, du coton, du cachemire ? Quels objets autour de toi ?
Quelle est la lumière qui éclaire ces mots : le soleil, un reflet, l’extérieur, une source directe, rétroéclairée ?
Le smartphone seul ?
Finalement quel est ce paysage général dans lequel tu t’insères ? Un horizon découvert à l’infini, ou l’enveloppement au cœur d’un cocon ou… Quels sont tes degrés de libertés dans ce paysage ? tes possibilités de changement ?
Prends quelques secondes pour appréhender ce lieu.
Et puis commence à le décrypter avec un peu plus d’attention, observe l’incidence inconsciente qu’il a ou pourrait avoir sur toi, sur le texte que tu lis. Cherche les signes proches ou lointains qu’il t’envoie. Comment te sens-tu ? l’environnement t’apaise, t’excite, te réconforte, t’inspire ? Te sens-tu bien ici ? Préfères-tu te décaler un peu, changer de place, de lieu ? T’installer plutôt là ?
Par-dessus ce paysage, projette, si tu veux, un changement, un potentiel désir… un rêve.
Prends à nouveau quelques minutes. Comme une méditation non plus à l’intérieur de toi mais vers l’extérieur. Puis, éventuellement, vers un extérieur que tu augmenterais ou réduirais, que tu modifierais…***
Notre corps est une enveloppe poreuse.
Intérieurs et extérieurs se définissent par rapport à des limites. Et ces limites sont multiples.
Notre peau est une limite,
nos habits sont une limite,
les cloisons de l’habitacle sont une autre limite, les murs d’une maison encore une autre limite, les murs d’un immeuble, le trottoir, une haie, une rivière.
Ce sont des frontières physiques mais aussi psychologiques, psychiques. Souvent ces frontières peuvent être déplacées, ajustées, façonnées : architecturées de la petite à la grande échelle ! Elles peuvent devenir mobiles.
Intérieur et extérieur sont des notions contextuelles.
Il y a, autour de nous, des intérieurs ou des limites sur lesquelles nous pouvons agir. Le premier intérieur aux limites élastiques, c’est notre habitat au sens commun c’est-à-dire le lieu d’habitation de notre corps.
Notre corps est à la fois notre habitat et une part de nous.
Notre appartement est à la fois notre habitat et une part de nous.
Notre ville, etc.
Le nous se déploie de l’individuel au collectif.
Prends à nouveau quelques minutes pour visualiser les différentes limites de ton habitat à cet instant précis, dans ce lieu que tu habites le temps de la lecture,
mais aussi de manière plus générale, dans ton habitation plus permanente, ton refuge.
Les limites de ton habitat peuvent être incluses les unes dans les autres, à la manière des matriochkas (ta chambre, ton appartement, ton immeuble, ton îlot), ou au contraire physiquement séparées (ton appartement, ton café (plus loin dans le quartier), ta voiture, ton banc, ta forêt).
Ainsi, entre la lecture de ces lignes, focalise à nouveau un peu sur ton environnement. Essaie de le circonscrire.
Mon habitat à moi est multiple et élastique. J’y fais des expérimentations, qu’au fil des pages je partagerai avec toi.
Mon environnement actuel (à l’instant où j’écris), agit probablement sur ces mots écrits. Comme je reprendrai, retaillerai, réagencerai ce texte, d’autres environnements viendront se superposer.
Là, pour cette première sortie de mots, en ville, il y a un ciel gris, de l’eau, quelques arbres, des feuilles qui se détachent, des vélos, les reflets d’un sol mouillé, des piétons… Je regarde par une fenêtre. Il fait humide, je n’ai pas très chaud. Les habits et le toit me protègent. Je suis paisible et mes degrés de liberté sont grands.
Je poursuis, mon travail de relecture de la suite.
Là, un autre jour, je suis en short et t-shirt, il ne fait pas trop chaud. J’entends la mer, les vagues et par moments un léger courant d’air me caresse.
Là, un autre jour, j’ai l’impression de me retrouver dans un moment similaire à celui de la sortie des mots, il y a quelques années.
Puis là, 30 novembre 2024, je réajuste ce texte pour la chronique que tu lis. Je suis assis sur un banc dans mon habitat**** à quelques centimètres d’une baie vitrée. Il est presque midi, le soleil me chauffe le dos (le poêle est éteint). Si je tourne la tête vers la gauche je suis ébloui. Devant moi à gauche, un halo, lumière concentrée qui rebondit et vacille doucement – c’est ce matin la subtilité de cet instrument d’environnement. L’espace est encombré, mes filles finissent de décorer le sapin qui nous accompagnera pour quelques semaines (il y aura l’odeur, la vue, la lumière), pas très loin, une tour a poussé hier soir dans le salon. Elle subsistera quelques jours peut-être.
L’environnement est doux. L’habitat enveloppe et résonne.
Et, toi ? T’es-tu déplacé ? as-tu choisi le lieu où tu lis ? L’as-tu décortiqué, affiné ? Et si tu relisais cette chronique (ou une autre) ailleurs, ce serait où ?
Ici ou là, peut-être sa couleur s’en altérera.
Eric Cassar
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Lire En finir avec le logement : HABIT@.01 et HABIT@.02 – Cartographier la mer
* Conscience de l’état interne de son corps : émotion, tension, douleur, soif, faim, température corporelle, etc.
** L’article paraît en France au début de l’hiver, peu de chance pour les premiers lecteurs d’être accablé par la chaleur.
*** Commencer par observer et apprécier la complexité de son environnement, être attentif à ce qui est apprécié… à ce qui produit bien ou mal-être.
**** http://www.arkhenspaces.net/fr/portfolio/2018-paysage-habite-_-saint-quentin-france/