
« Photographier l’architecture, ce n’est pas tant figer l’espace que capter le temps invisible », suggère Pierre L’excellent. Le temps des autres, le sien, celui du bâtiment, le photographe entend « faire dialoguer les instants et les durées ».
Il y a ce que l’on voit. Un espace qui s’inscrit dans un paysage, une matière qui embrasse des usages, un détail qui caresse notre regard. Et puis il y a tout le reste : ce que le bâtiment a traversé pour être là, devant nous. Et ce qu’il traverse encore, en silence.
Quand je capture un lieu, j’ouvre mon regard pour libérer son essence. Je questionne son évidence immédiate, mais aussi tout ce qui ne se donne pas instantanément. Ce qui résiste. Ce qui demande qu’on attende, qu’on revienne, qu’on prenne le temps d’observer.
Parfois, c’est la lumière qui parle. Elle change une matière, fait apparaître une courbe, un creux. D’autres fois, c’est l’usage – une main sur une rampe, des pas dans l’ombre. Des indices minuscules qui nous racontent beaucoup. Qui parlent du temps invisible.

La photographie fixe un instant, mais ce n’est qu’un prétexte. Ce qui m’intéresse, c’est l’avant, l’après, le latent. Les jours de chantier, les années de conception, les vies qu’on imagine déjà.
Je me souviens de bâtiments photographiés à des moments très différents. Bruts, en plein chantier, encore marqués par la poussière et façonnés par les gestes. Puis livrés, presque figés, mis au monde. Et quelques mois plus tard, habités, là. Il s’était passé quelque chose. Ces lieux avaient trouvé leur rythme, leur respiration. L’architecture embrassait sa fonction. Elle vivait.

Ces écarts temporels forment comme une sorte de mémoire parallèle, une sédimentation allusive. Un rideau qui s’ouvre, une plante qui grimpe, une lumière qu’on allume à contre-jour… autant de signes que le temps fait son œuvre.
Il m’ait souvent demandé : quelle est la meilleure heure pour photographier ? Il n’y a pas de bonne réponse. Il y a des attentes, des hasards, des rendez-vous manqués parfois. Et puis, soudain, le moment où tout s’aligne.

Il faut apprendre à écouter le lieu, comme on écouterait une personne. Il y a des bâtiments bavards, d’autres timides. Certains se donnent d’emblée, d’autres demandent qu’on les questionne avec curiosité. C’est une affaire de rythme, une conversation qui se nourrit de nos échanges.
Alors je continue d’attendre, de revenir, de me laisser surprendre. Parce que dans ces instants empruntés, dans ces creux entre deux états, deux temporalités, apparaissent les images les plus justes.

Peut-être qu’au fond, photographier l’architecture, ce n’est pas tant figer l’espace que capter le temps. Invisible, mais bien là. Et s’il fallait lui donner forme, ce serait peut-être ça : une lumière, un silence, un battement ou un souffle. Finalement, faire dialoguer les instants et les durées. Chercher dans le présent les traces du passé et les promesses du futur.
Pierre L’Excellent
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